Parmi les événements inédits que nous avons vécus durant la pandémie de la Covid-19, des milliers de travailleuses et de travailleurs ont été soumis à l’obligation des gouvernements de travailler depuis leur domicile. Le télétravail s’est imposé à la fois comme mesure sanitaire protégeant les vies humaines et comme manière de garantir le maintien d’un large pan d’activités productives et non marchandes au-delà de l’immobilité contrainte. Cette mesure contraignante a constitué une expérimentation sociale, politique et économique à grande échelle qui n’a pas manqué d’être commentée et analysée. On a pu constater que cette mise au télétravail obligatoire par les États a suscité très peu de résistance auprès de la population, alors qu’en ont résulté des situations fortement problématiques dans beaucoup de milieux professionnels qui ne le pratiquaient pas auparavant, en termes d’équipement, de flou juridique, d’organisation et d’intensification du travail, etc. Sans doute que l’idée même de continuer à travailler depuis le domicile paraissait naturelle à beaucoup de travailleuses et travailleurs, tant il existait déjà une normalisation de pratiques de travail hors du bureau constituant ce qu’on peut appeler un télétravail dit informel (lire et répondre à ses emails professionnels chez soi, terminer un rapport le soir hors de ses heures de travail, etc.) ; mais aussi que cette docilité sociale collective a été la conséquence d’une confiscation des possibilités de contester (ne fut-ce que par le débat démocratique) avec la mise en place d’un « régime d’exception » où seule la doctrine sanitaire dictée par le haut a fait autorité[1].
D’autres analyses ont souligné que la pandémie a amplifié les inégalités préexistantes entre travailleurs. Les télétravailleurs ont été vus comme des personnes relativement privilégiées et ce, à juste titre dès qu’on les compare à celles subissant des conséquences bien plus dramatiques de la pandémie et de ses crises subséquentes : la mise à l’arrêt complète ou partielle de certaines activités a fait exploser les chiffres du chômage ; les fractions précaires du salariat ou ceux se situant à ses marges et dans l’économie informelle se sont retrouvées sans protection sociale ; les transferts d’argent de travailleurs immigrés vers leur famille se sont effondrés, laissant des ménages entiers sans revenu ; les professionnel·les de la santé ont davantage encore que précédemment subi les désinvestissements dans l’hôpital public ; les travailleurs des métiers dits essentiels, déjà peu valorisés professionnellement, ont, de plus, été surexposés au risque de contamination[2]. Certaines analyses, enfin, ont mis en évidence que le télétravail obligatoire a fait ressortir de très fortes inégalités entre les personnes, principalement en termes de logement et de genre, les déséquilibres entre hommes et femmes quant aux effets liés à la porosité des frontières entre travail rémunéré et travail domestique risquant d’autant plus de perdurer qu’à l’avenir les femmes vont être plus nombreuses que les hommes à télétravailler[3].
Dans le présent article, nous voudrions revenir sur la manière dont ce phénomène massif de mise au télétravail a constitué une opportunité autoritaire pour procéder davantage encore au grand « virage numérique » de notre société. Les périodes de confinement ont ici agi comme une « stratégie du choc »[4] sans chef d’orchestre : sans que cela soit le résultat d’opérations délibérées et concertées par quelques individus au pouvoir, elles ont permis une reconfiguration du capitalisme numérique contemporain et son extension à de nouvelles sphères et activités de la vie sociale, partout où a été décidée la mise à distance de métiers exercés auparavant en présentiel. Or, les impacts d’une telle reconfiguration sur les mondes du travail sont immenses et il importe de s’en préoccuper. Alors qu’aujourd’hui la question de la mise en place d’un télétravail structurel et concurrençant le travail en présentiel s’impose largement tant dans les entreprises privées que dans le secteur (para)public, nous chercherons à identifier et problématiser ses effets en considérant les particularités de l’économie numérique, son modèle productif, ses formes renouvelées d’exploitation et son modèle managérial. Pour cela, il nous semble heuristique de penser les convergences qui s’effectuent entre des situations de travail distinctes dès qu’y sont introduites des intermédiaires digitaux qui sont dans les mains des majors du numérique.
Cette étude souhaite ainsi apporter des pistes de réflexion aux organisations syndicales et à tout collectif autonome de défense des travailleuses et travailleurs qui cherchent à se positionner sur la question du télétravail. S’il est présenté par beaucoup d’entreprises comme l’avenir inévitable et positif du travail et que de nombreux travailleurs y voient eux aussi des avantages personnels, nous voudrions expliciter et rendre visibles les enjeux numériques qui le sous-tendent et qui sont rarement identifiés comme tels lorsque le télétravail est débattu. Si la pandémie a renforcé les liens unissant les travailleurs à l’économie numérique, les deux sont pourtant, encore souvent, abordés indépendamment l’un de l’autre[5].
Aux fins de cette étude, nous reviendrons, d’abord, sur le contexte de digitalisation croissante du travail qui préexistait avant la pandémie, afin de souligner comment la mise en place du télétravail a accentué cette tendance. Nous montrerons, ensuite, en quoi le travail à distance s’inscrit dans les transformations contemporaines de l’organisation de l’entreprise productive. Nous montrerons comment cela chamboule non seulement les entreprises privées mais aussi les services et secteurs de l’aide publique, en engendrant une nouvelle remise en cause de l’État social. Enfin, nous nous attacherons à saisir les effets du télétravail sur les individus au travers des dimensions suivantes : l’emprise du travail sur la vie privée à travers l’hyper-flexibilisation du temps et du lieu de travail, ainsi que les nouvelles modalités de contrôle managérial algorithmique. Nous chercherons, pour terminer, à interroger ce qui rend le succès du télétravail paradoxal, et proposerons des pistes stratégiques à même de le repolitiser, considérant les enjeux numériques qui auront été identifiés.
- Éléments de contexte
Rappelons tout d’abord que le contexte précédant la pandémie était celui de mutations importantes du travail liées au recours croissant à la digitalisation. Vendramin et Valenduc, parmi d’autres, défendent que ces mutations sont liées aux développements récents de l’économie numérique qu’ils définissent comme « une forme d’organisation de l’économie qui exploite, depuis le niveau de l’entreprise jusqu’au niveau mondial, le potentiel d’une nouvelle génération de réseaux, d’objets communicants, de logiciels de traitement de données massives et de machines de plus en plus intelligentes »[6]. Ces mutations, au-delà des spécificités des situations de travail concrètes et des statuts d’emplois variés, sont promues par les acteurs de l’économie numérique et caractérisées par une flexibilité spatio-temporelle de l’organisation du travail. La mobilité du travail devient le maître mot. En 2005, Microsoft lançait ainsi le programme New World of Work visant à développer « le travail nomade », tout en proposant parallèlement de nouveaux outils permettant de s’affranchir d’un lieu fixe de travail. Ce programme avait été soutenu en Belgique dès 2012 par une coalition constituée de Microsoft, Proximus, ING, le SPF Sécurité sociale et des consultants[7].
La pandémie a accéléré ces tendances, en bousculant l’usage et l’ampleur de la pratique du télétravail qui, avant les périodes de confinement, existait de manière relativement restreinte. En Belgique, 8% de salariés travaillaient ainsi à domicile avant la pandémie contre 29% en 2020. Le travail à domicile a non seulement augmenté parmi des catégories de salariés au sein desquelles il se pratiquait déjà – soit principalement des fonctions de cadres, de direction, et des professions intellectuelles et scientifiques – ; mais il a de plus fait irruption dans les professions dites intermédiaires et les employés de type administratifs[8]. Si des catégories importantes de travailleurs ne sont donc pas concernées par la question du télétravail – pensons globalement à l’emploi ouvrier –, on a assisté à un élargissement des métiers considérés comme pouvant être effectués à distance du lieu de travail habituel. La « télétravaillabilité » d’une fonction, devenue une notion omniprésente dans la littérature managériale mais aussi dans les rapports destinés aux politiques publiques, a donc été revisitée depuis les confinements, ce qui montre qu’il ne s’agit pas que d’une question technique, mais aussi d’une question idéologique, normative et politique (Qui décide qui doit télétravailler et pourquoi ? Quels sont les intérêts en jeux ? Et à qui ça coûte ?). La figure de la travailleuse ou du travailleur à distance s’est, de fait, diversifiée avec le confinement : l’enseignant donnant cours par visioconférence, le médecin proposant des vidéo-consultations, le graphiste travaillant depuis un espace de co-working, l’agente d’une mutuelle réalisant ses rendez-vous clients en ligne, le jeune cadre d’une entreprise parti travailler sur une île accueillant des digital nomads, etc. Ces fonctions ont comme points communs d’avoir été redéfinies sous l’effet de la digitalisation du travail : les tâches concrètes de travail ont été adaptées, des intermédiaires digitaux détenant les moyens de liaison se sont imposés, le lieu de travail a été externalisé (nous y reviendrons). En outre, avec la pandémie, les frontières entre le travail à domicile, le travail à distance et le travail nomade tendent à se brouiller à la faveur de l’idéologie managériale du work from anywhere, soit celle de pouvoir travailler partout et à tout moment, avec comme seule contrainte une prise pour brancher l’ordinateur et une connexion à Internet.
Depuis la fin (du moins jusqu’à nos jours) de l’obligation par les États de mettre en place le télétravail partout où il pouvait être réalisé, on assiste à une stabilisation à la hausse du recours au télétravail. De nombreuses grandes entreprises poussent désormais dans cette direction, voyant une opportunité à long terme de réformer l’organisation du travail en leur sein. Marc Zuckerberg a ainsi annoncé vouloir que Facebook soit « l’entreprise la plus en avance du monde sur le télétravail[9] » ; alors que Twitter a (récemment) fait savoir que ses employés pouvaient désormais travailler à domicile « pour toujours » et à temps-plein (full remote work) s’ils le désiraient, tant qu’ils choisissaient l’option dans laquelle ils sont le plus « productif[s] et créatif[s] »[10]. Au sein du groupe de construction automobile PSA, il s’agit également de « renforcer le travail à distance, et d’en faire la référence pour les activités non reliées directement à la production », soit de faire en sorte que le télétravail devienne la règle et non l’exception[11]. Et cet engouement managérial pour le télétravail n’est pas restreint à ces grands groupes, même si l’option d’un télétravail à temps plein est plutôt mise de côté au profit de ce qu’il est dorénavant convenu d’appeler le mode hybride, soit le mélange de présentiel et de distanciel. De cette manière, dans la fonction publique, partant d’un constat (par ailleurs contestable) que les services ont pu continuer à fonctionner durant la pandémie, la question des intérêts à instaurer durablement le télétravail est devenue incontournable. Selon le ministre flamand des Affaires intérieures Bart Somers (Open VLD), « il est temps qu’on sorte de la vision très classique qui veut que, pour travailler, il faut être présent au bureau. Ce sont les prestations qui comptent. Sur ce point, la crise du Coronavirus a mené à une petite révolution psychologique au niveau du lieu de travail » ; tandis que, plus généralement, l’extension du télétravail est envisagée sérieusement comme un moyen de rationaliser et de réduire le coût de la gestion immobilière[12]. Or, alors que, pour les pouvoirs publics, l’idée d’implémenter partout le télétravail devient une obsession liée aux restrictions budgétaires, il y a comme un aveuglement face au fait que l’augmentation du télétravail va de pair avec l’augmentation de la puissance des acteurs numériques et du modèle économique qu’ils véhiculent.
En ce sens, l’augmentation du télétravail s’inscrit en continuité avec la dernière décennie post-crise 2008 qui a vu une réorganisation importante du capitalisme mondial avec l’essor de l’économie numérique. Celle-ci a largement bénéficié de la pandémie, avec comme le souligne Ursula Huws, une situation en 2020 caractérisée par une emprise très forte des entreprises numériques sur l’organisation du marché du travail, et corrélativement, une population toujours plus dépendante des technologies numériques pour travailler, consommer, accéder à des services[13]. Ce faisant, elles tendent à imposer de profondes réorganisations de la production.
- De la désagrégation de l’entreprise…
La généralisation et la normalisation du recours au télétravail par les employeurs s’inscrit dans l’évolution du modèle traditionnel d’entreprise sous le nouveau capitalisme productif. Sous ce dernier, la technologie digitale est depuis longtemps considérée comme pouvant permettre une flexibilisation de l’organisation du travail et de l’utilisation de la main d’œuvre. Des consultants comme Accenture conseillent ainsi depuis plusieurs années aux employeurs de considérer les potentialités de la digitalisation du travail afin d’exploiter une « main-d’œuvre liquide » (sans lieu de travail ni de contrat fixe)[14]. Alors que le sociologue Zigmunt Bauman dénonçait avec la notion de « société liquide » les insécurités et incertitudes générées par les tendances d’une société valorisant un état de flux et de transformation permanente, ainsi qu’un consumérisme flexible appliqué aux dimensions sociales, professionnelles et affectives de la vie moderne)[15], elle est ici considérée à l’inverse comme les caractéristiques d’une organisation du travail dont il faut tirer profit ; soit celles qui favorisent une mise au travail continue, sans contrainte de temps ou d’espace. Cette modalité de mise au travail se traduit dans la remise en question des structures d’entreprise considérées comme trop contraignantes. L’ancien modèle d’entreprise productive, centralisée et grande employeuse, devient alors dorénavant, selon Pierre Veltz :
(…) un centre de coordination mettant en œuvre les ressources de manière totalement flexible, le travail lui-même étant redéfini comme une ressource liquide de contributeurs indépendants mobilisables à volonté. Certains consultants parlent de « human cloud ».
De fait, de nombreuses firmes ressemblent désormais à des nébuleuses mouvantes de prestataires, à tous les niveaux de qualification. Certaines firmes engagent des dirigeants à la demande pour lancer une nouvelle ligne de produit. L’économie des « services à la demande » est bien sûr un domaine où cette tendance vers une « force de travail liquide » se développe de manière privilégiée. Mais la mutation est potentiellement bien plus vaste, et n’épargne aucun secteur[16].
De fait, cette mutation ne cesse de prendre de l’ampleur et de s’étendre à de nombreux secteurs. Le télétravail de masse y participe, pour la raison fondamentale qu’il accentue la principale caractéristique de ce nouveau modèle productif : celle d’un dépassement des frontières physiques de l’entreprise par l’intermédiaire de la digitalisation. Par divers processus de division et d’externalisation, de sous-traitance, de mise au travail à distance, etc. l’entreprise comme espace fixe et intégrateur, rassembleur d’une main-d’œuvre « interne », tend à se dissoudre. Le télétravail, consistant précisément en une délocalisation et une relocalisation du travail aux domiciles des travailleuses et des travailleurs, accompagne ce mouvement de désagrégation des unités productives en une multitude de lieux de travail gérés à distance. Dorénavant, le travail tend à se délocaliser et s’effectuer hors d’une structure d’entreprise formelle ce qui a, selon Mateo Alaluf, une conséquence importante sur l’organisation collective des travailleurs :
La « distanciation physique » au cœur du nouveau modèle productif permet désormais au capital d’exploiter le travail à distance tout en se passant de l’entreprise. Dès lors que celle-ci n’est plus l’endroit de la concentration physique du travail, l’entreprise n’est plus un lieu central de décision. L’activité économique s’organise désormais dans des plates-formes et des chaînes de valeur qui débordent et se substituent aux entreprises[17].
L’entreprise, donc, semble de moins en moins un espace où travailleuses et travailleurs peuvent défendre collectivement leurs conditions de travail, alors que c’était en son sein que s’étaient développées les institutions de défense des intérêts ouvriers. Alors que la négociation des conventions collectives de travail permettait une homogénéisation entre les travailleurs, le travail à distance les atomise et accroît les inégalités de conditions de travail et d’emploi. On comprend ainsi que, sous ce mouvement, c’est la question même de la pérennité de la condition salariale qui est en jeu. Avec la « liquéfaction » de la force de travail, s’imposait déjà l’idée d’un salariat devenu obsolète par rapport aux possibilités offertes par des travailleurs mis à l’effort dans une organisation par projet.
Toujours selon Veltz :
Il faut comprendre que, à l’horizon de ces changements, se profile une profonde révision du salariat lui-même, c’est-à-dire du cadre juridique et social dans lequel le travail individuel est mis au service de l’activité collective de la firme. Le décalage entre le fait et le droit s’élargit. Car même lorsque les cadres juridiques formels du salariat sont maintenus, le travail devient – redevient, car ce fut longtemps la situation dominante, avec le « travail à la tâche » – une prestation de service, un contrat de projet, dans une logique de gestion par les objectifs et non plus par les moyens[18].
Avec la déspatialisation du travail hors de l’entreprise via le travail à distance, c’est non seulement une nouvelle possibilité de mettre à distance le cadre juridique contraignant du salariat qui se présente, mais aussi de procéder à une hyper-externalisation et d’étendre le modèle d’entreprise allégée. Un cas-limite de ce processus – qu’il faudrait documenter concrètement – serait ainsi que les conditions de travail et d’emploi des télétravailleurs se rapprochent de celles des travailleurs œuvrant déjà hors d’une structure d’entreprise formalisée, tels que les salarié.es uberisé·es des plateformes numériques. Celles-ci ont été caractérisées notamment par Nick Srnircek comme des entreprises allégées ayant recours à une hyper externalisation : elles externalisent le capital fixe et les travailleurs et ne sont propriétaires que de l’essentiel, soit de la plateforme et de la capture des données[19]. Le modèle économique de plateformes comme Uber, Deliveroo, Airbnb, TaskRabbit, etc. a ainsi massivement recours à des travailleurs non-salariés à qui incombent les frais d’effectuation du travail (coût des outils de travail – achat ou leasing du taxi, vélo, smartphone, camionnette et électricité, etc. –, coût de l’entretien, coût des assurances, etc. ; mais aussi ce que recouvre normalement le salaire indirect via les cotisations patronales et sociales)[20].
Sans un minimum de contrôle sur les modalités de mise au télétravail des employé.es, il est probable que celui-ci, comme Sophie Binet (Secrétaire générale adjointe de l’Ugict-CGT, en France) l’a souligné, soit considéré comme une opportunité d’étendre ce modèle d’entreprise capitaliste à des nouvelles catégories de salarié·es :
(…) depuis l’expérience du confinement, le patronat voit un intérêt nouveau au télétravail car les directions d’entreprise peuvent l’utiliser en lien avec les ordonnances Macron, pour le mettre en place de façon light, sans aucune prise en charge des équipements et, au final, sans garantie de respect du temps de travail, sans droit à la déconnexion. Sans aucune garantie de ce qui constitue les fondamentaux du droit du travail, avec un télétravail qui devient une forme de statut d’indépendant et permet d’ubériser de l’intérieur le salariat. Comment ? Tout simplement en s’affranchissant de l’obligation de prise en charge des frais d’équipement ou de lieu de travail, de respect du temps de travail…[21]
On voit bien comment le fait de mettre au travail à distance, combiné à des réformes de la législation du travail facilitant la flexibilisation de l’emploi, s’inscrit en cohérence avec ce modèle d’entreprise allégée se déchargeant d’un maximum de frais, d’obligations, et qui en mettant le travail à distance, tente en réalité de mettre à distance la législation du travail. Soulignons qu’il s’agit à plus long terme d’une réelle réforme idéologique du travail : si le télétravailleur est perçu comme un travailleur à distance de l’entreprise, pouvant prendre en charge les moyens de son travail et dont le contrôle du travail se fait à distance, il est alors de plus en plus clair que l’entreprise peut le considérer comme un prestataire de services et non plus comme un travailleur salarié envers qui elle a des obligations, notamment en termes de mise à disposition d’un lieu de travail. Les recompositions déjà à l’œuvre avant la pandémie de l’espace physique du bureau tendaient d’ailleurs à aller dans ce sens avec la généralisation des flex office, cette organisation des bureaux sans place attitrée où les employé.es sont sommés de rassembler le soir leurs affaires et où les premiers arrivés le matin sont les mieux servis[22].
En outre, le télétravail participe de l’internationalisation de l’entreprise et d’une hyper concurrence globalisée des travailleuses et des travailleurs. Ce processus est loin d’être neuf : la mise à distance du travail grâce aux technologies de la communication sert depuis les années 1970 à tirer profit d’un marché du travail inégal et globalisé. Pensons typiquement à la manière dont les services clientèles des entreprises ont été externalisés, sous-traités et relocalisés dans des pays du Sud global offrant une main d’œuvre moins rémunérée et moins protégée pour faire fonctionner l’industrie du call center. Mais en popularisant et normalisant la nomadisation du travail se généralise également dans l’esprit managérial l’idée d’une géographie du marché du travail sans frontières, où la notion même de marché d’emploi local est bousculée par des possibilités toujours plus étendues de recruter partout dans le monde (en outre facilitées par l’existence d’entreprises transnationales comme LinkedIn). Ne plus être contraint de recruter localement est d’ailleurs un des arguments-clé en faveur du télétravail parmi ses promoteurs. A la limite, l’entreprise pourrait se passer de délocaliser physiquement une partie de ses activités dans des pays du Sud global, mais pourrait, via un télétravail à temps plein, simplement sous-traiter de manière digitale à des télétravailleurs du Sud. Cela signifie donc des possibilités accrues de concurrence entre travailleurs et une hyper division du travail.
Pour saisir aujourd’hui tous les enjeux du travail à distance sous le capitalisme contemporain, il ne suffit donc pas de mettre en évidence qu’il participe, par l’intermédiaire des technologies numériques, à des modèles productifs toujours plus flexibles et pensés pour réduire et rationaliser les coûts (ce à quoi toute innovation technologique a toujours servi sous le capitalisme). C’est que, fondamentalement, il rend possible le développement de l’économie numérique elle-même en recouvrant une série d’activités toujours plus étendue. Particulièrement, ce sont deux caractéristiques principales qui sont véhiculées par le travail à distance : l’extension de la capture de données et l’importation du modèle économique de la plateforme. C’est particulièrement dans les secteurs non marchands que ces enjeux apparaissent suite à la pandémie.
- …A la plateformisation des services publics ?
Ce qui vient d’être soulevé comme tendances amorcées par le télétravail dans les entreprises privées tend à s’appliquer au secteur public et parapublic. Là aussi, le travail à distance se présente comme un outil pour réduire les coûts fixes. En particulier, il semble offrir une réponse à la fois efficace et consensuelle aux problèmes engendrés par les désinvestissements dans les services publics. Déjà en croissance avant la pandémie, le travail virtuel lié au secteur de l’e-santé a par exemple explosé[23]. Les téléconsultations médicales se sont démultipliées via de nombreuses entreprises de l’économie numérique, tel qu’Alibaba HealthCare, HealthHero ou HelloCare. En France, la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, en 2017 avait annoncé vouloir développer la télémédecine pour lutter contre les déserts médicaux à côté de mesures financières incitatives pour l’installation de médecins dans des territoires isolés[24]. De la même façon, nous allons y venir, l’usage pérenne d’un enseignement hybride est envisagé comme une alternative à la construction de nouveaux locaux nécessaires pour accueillir des étudiants toujours plus nombreux.
Une problématique propre à ce secteur émerge toutefois des périodes de confinements. Fondamentalement, la distanciation physique transforme les missions et la nature de l’État social. On a pu voir pendant la pandémie des processus similaires (en acte) à ce que E. Morozov mettait déjà en avant quelques années auparavant, à savoir que l’économie de la Silicon Valley participe à l’érosion de l’État social, en y introduisant des mécanismes bien plus important que de simples outils technologiques. Elle s’y introduit d’autant plus qu’elle trouve notamment à se justifier en proposant des solutions technologiques présentées comme plus performantes que les services fournis par l’État social[25]. Ce faisant, elle impose des mécanismes qui refondent entièrement ses fonctions.
D’une part, la digitalisation d’une série de services sociaux induite par le travail à distance remet fortement en question leur accessibilité. Pour les usagers, l’instauration du télétravail dans ces services se traduit concrètement par une délocalisation de l’accueil, du guichet et des rendez-vous individuels sur ce que nous pourrions appeler l’espace numérique (ligne téléphonique, site internet, plateforme de rendez-vous en ligne, espace client, etc.). L’accès aux services autrefois proposés en quelque sorte « en interne » suppose dorénavant l’existence d’un équipement domestique (ordinateur, imprimante/scanner, lecteur de carte d’identité connexion wifi, smartphone, etc.). On assiste par conséquent, ici aussi, à une forme d’externalisation (qui ne dit pas son nom) à la fois des outils et de la prise en charge des usagers, qui tend à se normaliser au vu du maintien de la fermeture de nombreux guichets depuis la pandémie. Or, si pour beaucoup, la possession et l’utilisation de ces outils numériques semblent aller de soi, cela ne l’est pas pour diverses catégories de la population pour qui la digitalisation de ces services sociaux les rend inaccessibles, engendrant des situations où elles ne sont plus en mesure de faire valoir leurs droits. Des acteurs du monde médico-social et associatif ont ainsi tiré la sonnette d’alarme à propos des situations dramatiques dans lesquelles des citoyens se retrouvent[26]. Sous la distanciation physique, c’est donc la dimension démocratique même de ces services qui est remise en question, dès lors qu’ils ne sont plus capables de fonctionner sans opérer de discrimination liée aux fractures numériques. Si bien que l’on peut considérer qu’elle est vectrice d’une nouvelle restriction des droits sociaux qui se rajoute à celles propres au paradigme de l’activation et aux violences institutionnelles qu’il génère. Encore une fois, ce sont les personnes les plus paupérisées qui doivent encaisser les coûts de cette digitalisation[27].
D’autre part, la distanciation physique se présente comme le cheval de Troie d’une remarchandisation de l’État social en introduisant la possibilité d’y générer des profits. Les auteurs Jeannot et Cottin-Marx développent cette idée par le concept de privatisation numérique[28]. Les auteurs mettent en avant par ce terme les processus de restriction du domaine public et de confusion de ses frontières avec celles du privé opérés par les développements technologiques récents. Ce nouveau mouvement de privatisation des États, comparé aux vagues précédentes, a cette fois pour caractéristique l’introduction de mécanismes propres à l’économie des plateformes au sein du secteur public. Cela se décline concrètement de différentes façons, dont les plus explicites sont : l’utilisation de données publiques gratuites à des fins privées, la sous-traitance des fonctions de mise en relation des usagers et des administrations à des intermédiaires privés numériques, tout comme celle de la conservation de données publiques via des logiciels privés qui les associent à un code propriétaire, la disparition d’offres publiques face à des positions dominantes d’entreprise numérique. La privatisation numérique s’accompagne en outre d’une série de nouvelles normes et de standards s’imposant aux manières de faire des politiques publiques et à reconsidérer l’emploi public, à travers des outils d’évaluation et une généralisation de la concurrence avec les travailleurs ubérisés.
Les processus engendrés par l’enseignement à distance lors de la pandémie sont exemplatifs de cette privatisation numérique. L’enseignement par visioconférence obligatoire pendant les confinements a été une occasion en or pour pousser encore un cran plus loin la promotion de l’utilisation du numérique dans ce secteur[29]. En France, un projet nommé Hype-13 subsidié par l’État et rassemblant un consortium d’Universités et EdTech France, groupe d’entreprises visant à digitaliser l’éducation et la formation, travaille sur un projet « d’hybridation des formations dans l’enseignement supérieur » lancé par le Ministère de l’Enseignement supérieur de la Recherche. Le consortium dit vouloir travailler « sur ce qui existe ou ce qui doit être transformé ou créé pour répondre à l’urgence d’une rentrée hybride » ; impliquer les chercheurs « dans les domaines de l’intelligence artificielle et collective, afin d’intégrer des outils automatisés de suivi des progrès asynchrones individuels des étudiants et apprenants (…) » ; ou encore, renforcer « la mobilité virtuelle entre établissements, l’ouvrir à l’échelle nationale voire l’élargir à l’échelle internationale (…) »[30]. La numérisation de l’enseignement est par ailleurs loin de concerner uniquement l’enseignement supérieur, mais est aussi à l’œuvre dans les écoles secondaires où les majeurs du numériques courtisent les enseignant·es et les élèves[31].
De quoi ce projet est-il le nom, sinon de celui « d’une plateformisation » de l’enseignement ? Car derrière cette volonté de rendre pérenne l’enseignement hybride, au moins trois enjeux problématiques propres à l’économie numérique, qui engendrent des effets inédits sur l’autonomie et la liberté des enseignants, sont à soulever. Premièrement, l’enseignement à distance (tel qu’il s’est réalisé durant le confinement et qui tendra à se maintenir sous la forme de l’hybride) se réalise par l’extension sans précédent d’outils de liaison privés entre étudiants et enseignants, ce qui renforce au sein de ce secteur public l’intrusion du privé dans son fonctionnement. L’utilisation de la suite Microsoft Office 365 Education, proposant divers outils informatiques dont celui de visioconférence Teams, s’est ainsi généralisée dans l’enseignement supérieur mais aussi dans les établissements scolaires, sans que celle-ci ne fasse l’objet d’une quelconque concertation auprès du corps enseignant ou étudiant. La possibilité d’utiliser, à la place de ces outils propriétaires, des logiciels open source n’a été soulevée par aucune autorité universitaire et le corps enseignant a subi les choix informatiques pris par celle-ci. Deuxièmement, l’utilisation de ces outils génère automatiquement des traces numériques et ouvre donc la possibilité de leur exploitation par l’institution. C’est ainsi que Microsoft a intégré par défaut à sa suite Office 365 des outils de son logiciel Workplace Analytics qui rend possible l’évaluation de la productivité du travailleur par l’employeur[32]. Celle-ci est évaluée à travers un score global qui se fonde sur l’utilisation quantitative des outils de la suite Office 365 et donc des réunions en ligne, du chat collaboratif, du partage de contenu, d’utilisation de la messagerie, etc.
Outre l’aspect très critiquable de cette surveillance insidieuse, notons l’aberration de l’importation de modèle d’évaluation issu du privé dans l’enseignement. Car ce n’est pas seulement que cela introduit l’idée que chaque enseignant peut être en permanence évalué dans son travail – à la limite, les étudiants pourront bientôt, après chaque cours, évaluer en ligne la prestation de l’enseignant comme on évalue la qualité d’un restaurant –, c’est que le référentiel même d’évaluation ne tient absolument pas compte des particularités de la fonction pédagogique en elle-même, qui ne se mesure pas à une productivité quantitative. C’est également ce même procédé qui amène de plus en plus des experts en numérique à se prononcer sur les solutions à amener pour améliorer l’enseignement, en ignorant toujours la parole des enseignants et étudiants et leur expertise, elle, pédagogique[33].
Troisièmement, l’enregistrement des cours pose plus globalement la question de la propriété intellectuelle des contenus, en particulier les droits de reproductibilité. Si la question n’est pas neuve, elle a également été accentuée pendant la pandémie. A cet égard, l’histoire vécue d’Aaron Ansuini, étudiant de l’Université de Concordia, a agi comme une triste allégorie : en janvier 2021, l’étudiant réalisa en googlant le nom de son professeur que celui-ci était mort en 2019 et qu’il suivait des cours qui avaient été enregistré avant son décès[34]. Ansuini n’avait eu aucune information de la part de l’Université, lors du début du cours, qu’il allait suivre des cours posthumes. Si légalement, l’Université paraît être dans son droit de réutiliser des cours enregistrés sans enseignant, cela pose évidemment des enjeux à la fois moraux – ici en l’occurrence de consentement et de non transparence envers les étudiants – ; et des enjeux d’emploi. Les possibilités d’enseigner sans enseignant ne sont pas si dystopiques, mais sont en réalité déjà sujets à tensions et controverses dans les universités. Dans le même article, Monica Chin rappelle ainsi que certaines universités au Royaume-Uni avaient menacé des enseignants, en grève contre les réductions annoncées sur les pensions de maintenir les cours, en utilisant des leçons enregistrées. La tendance à la dépossession numérique inscrite dans l’injonction faite aux enseignants d’enregistrer leurs cours montre ainsi comment l’enseignement à distance fonctionne comme une nouvelle subsomption de savoirs aux logiques marchandes. Une séance de cours enregistrée devient alors un produit standardisé, et interchangeable, de telle sorte qu’elle tend à se confondre avec n’importe quelle vidéo YouTube.
- Des travailleurs connectés à domicile
De nouvelles conditions d’emploi et de travail sont désormais impliquées par le télétravail. Il faut, pour en rendre compte, saisir les nouvelles modalités d’extraction de l’effort des travailleurs et de leur contrôle telles qu’elles accompagnent la gestion managériale à distance de la main-d’œuvre. Ursula Huws propose pour les analyser le concept de main-d’œuvre « logguée », terme qui, en anglais, renvoie à trois processus distincts mais interreliés dans le capitalisme numérique :
Tout d’abord, les différents processus de travail sont décomposés en tâches distinctes — un peu comme un arbre abattu est découpé en bûches ou rondins (en anglais « log ») distincts —, qui (bien que ces tâches puissent en pratique nécessiter des compétences tacites considérables) sont traitées comme standardisées et interchangeables du point de vue de l’exécution et de la rétribution. Deuxièmement, les processus de gestion et de contrôle sont gérés par des plateformes en ligne, le travailleur ou l’utilisateur du service devant être en ligne (ou « connecté », en anglais « logged on ») afin d’être informé des travaux disponibles et de rendre compte de l’avancement de leur exécution. Troisièmement, le fait même que chaque aspect du travail soit géré en ligne signifie que chaque interaction laisse une trace numérique, générant des données qui peuvent être utilisées non seulement pour enregistrer et suivre les activités en cours, mais aussi pour construire des algorithmes toujours plus sophistiqués afin d’améliorer l’efficacité des activités futures. Les travailleurs et les utilisateurs sont donc soumis à une surveillance étroite, ce qui signifie que leurs activités sont également « consignées » dans le sens qui était historiquement utilisé pour décrire le suivi des mouvements dans le journal de bord (en anglais « log ») des navires[35].
Ce concept, en particulier, permet de mettre en évidence que la digitalisation de la relation managériale de subordination, commune à de nombreuses catégories de travailleurs, génère des effets en matière de capture du travail réalisé, mais aussi de maximisation de la capture de la subjectivité et de la vie sociale des travailleuses et travailleurs, surtout lorsqu’elle s’impose au domicile. Un nombre considérable d’entreprises ont ainsi adopté durant la pandémie des outils et logiciels de surveillance qui ont été très rapidement créés ou perfectionnés[36]. Dans un récent article, Manokha mentionne des logiciels qui permettent à l’employeur de surveiller leurs télétravailleurs de près[37]. Le logiciel Sneek, populaire auprès des employeurs, permet au manager de capturer des photos des employés via la webcam de leur ordinateur portable qui sont réactualisées toutes les une à cinq minutes, ainsi que de les connecter automatiquement à une vidéo en direct en cliquant sur leur visage, sans même que le télétravailleur ait autorisé le lancement de la vidéo. Le logiciel Prodoscore, dont l’utilisation dans les entreprises s’est aussi popularisée pendant la pandémie, trace l’activité des employés sans que ceux-ci le sachent et les évalue sur une échelle de productivité. Si ces outils de surveillance ne sont pas toujours aussi intrusifs, ils procèdent tous d’un même processus, toujours selon Manokha, à savoir étendre l’œil de l’employeur à l’intérieur des espaces privés, de telle sorte qu’ils génèrent une nouvelle forme d’aliénation des travailleuses et travailleurs, soit une dépossession du domicile qui tend à ne plus devenir un espace privé mais un lieu de travail duquel l’employeur se donne le droit d’avoir accès[38]. La désagrégation de l’entreprise comme unité de production implique donc en même temps un renforcement de sa fonction panoptique.
Plusieurs éléments de cette digitalisation sont à souligner. D’abord, cette surveillance des télétravailleurs tend à ressembler aux pratiques de contrôle et de rationalisation du travail telles qu’elles s’exercent là où sont introduits des outils digitaux. On peut citer à cet égard le cas très exemplatif des préparateurs de commandes dans les entrepôts logistiques de la grande distribution. Le sociologue Gaborieau explique que dans une grande partie de ceux-ci, les ouvriers travaillent sous une commande vocale qui dicte des indications en continu et qui contrôle chaque geste devant être validé via un programme de reconnaissance vocale. Outre que cette rationalisation et ce contrôle des activités diminuent l’autonomie des travailleurs et en modifient les pratiques de travail, la commande vocale génère aussi des cadences élevées par un processus d’auto-accélération, dont les conséquences sont comparables à celles engendrées par la « sur-sollicitation digitale » des télétravailleurs. Gaborieau dit à ce propos :
En « auto-accélérant », l’ouvrier oublierait l’espace d’un instant le manque de sens de son activité pour mieux la réaliser, respectant ainsi l’injonction taylorienne qui consiste à lui refuser les facultés de conception de son propre travail. Ce comportement serait favorisé par le port du casque audio et entraînerait la constitution d’une « bulle sonore » qui encouragerait une fermeture sur la sphère individuelle de travail, occasionnant parfois jusqu’à un « sentiment de déshumanisation du travail »[39].
Ce taylorisme digital tend en réalité à s’accroître à de nombreuses situations de travail : pensons également, parmi tant d’autres situations, à la manière dont le métier de facteur, du tri à la distribution, est aujourd’hui organisé via le logiciel Géoroute qui calcule le temps de chaque tâche (charge du courrier, relief du paysage, distance entre les maisons, etc.)[40] ; et, plus généralement, à la manière dont l’ensemble du secteur de la livraison est aujourd’hui complètement refaçonné par ces transformations du travail[41]. Comme Cédric Durand le suggère, cette préférence pour le contrôle ne se justifie pas uniquement par des critères d’efficacité ou de performance. Ce sont aussi des rapports de pouvoir qui sont en jeu, notamment en termes de latitude laissée aux salariés sur le contrôle de leur propre travail[42].
Ensuite, de la même façon que cela s’opère dans les secteurs précités, les télétravailleurs « loggués » étendent désormais les activités que l’on peut ranger sous le terme de digital labor (travail digital), soit, au sens large, l’ensemble des activités qui sont effectuées en ligne (surfer, faire des recherches sur un moteur de recherche, consulter des blogs, acheter, etc.) et dont les traces sont exploitables par des entreprises privées[43]. Avec l’encadrement digital des télétravailleurs, nous pourrions dire que ceux-ci travaillent deux fois : une fois pour la fonction qu’ils occupent effectivement, et une deuxième fois pour les données qui sont générées par et sur les pratiques de travail elles-mêmes, appropriées par les détenteurs des moyens de liaison digitaux et ouvrant à un tout nouveau champ d’exploitation (humeur, émotions, tonalité de la voix, rythme, etc. des employés). Il est difficile de ne pas appréhender ici cette extension de ces outils managériaux de contrôle aux processus identifiés par Shoshana Zuboff avec sa thèse de la montée d’un capitalisme de surveillance[44]. L’encadrement digital des télétravailleurs crée des données numériques qui, non seulement sont captées dans un cycle de valorisation, mais qui aussi, via l’intelligence artificielle, fabriquent des prédictions du comportement des travailleuses et travailleurs. La révision de l’algorithme managérial en viendrait alors littéralement à modeler et à sélectionner les attitudes au travail souhaitées par l’employeur. Ce capitalisme des données, doté du pouvoir d’agir sur la modification comportementale, pourrait alors œuvrer à un véritable processus de docilisation des travailleuses et travailleurs, remettant en question d’une manière tout à fait inédite le droit de ces derniers à s’opposer à leur employeur.
Parallèlement, le télétravail tend globalement à étendre l’emprise du travail sur la vie des individus. Des enquêtes indiquent ainsi que le travail réalisé à domicile accroît la disponibilité temporelle des travailleurs[45]. Selon Bingen et Trionfetti, les télétravailleurs, par auto-activation, se sentent davantage obligés, par le fait qu’une partie du travail réalisé à distance devienne invisible, de manifester l’accomplissement de leur travail et d’exprimer leur disponibilité. Les télétravailleurs tendent ainsi à réduire leurs moments de pause du fait de la dispersion spatiale des travailleurs et de l’absence consécutive de moments de sociabilité et des rituels sociaux au travail, au profit d’une intensification des cadences du travail[46]. Il est fort probable que les personnes concernées par cette extension flexible de la journée de travail étaient déjà celles qui avaient l’habitude d’effectuer du télétravail informel après le bureau, sous la forme d’heures supplémentaires généralement non comptabilisées ni réclamées. Le télétravail généralisé et obligatoire pendant la pandémie a par contre accentué ce processus en engendrant une colonisation sauvage de la sphère privée par le travail qui, si elle est aujourd’hui un peu plus adoucie par un recours plus circonscrit au télétravail, a eu le temps de s’insinuer dans les esprits laborieux.
La conséquence en est la normalisation progressive d’un travail pouvant s’effectuer « H 24 et 7/7 »[47], aux yeux des travailleuses et travailleurs, mais aussi pour les membres de leur ménage. Les cycles temporels de la vie quotidienne et de la reproduction sociale (repos, repas, travail domestique, etc.) s’en trouvent encore davantage heurtés par un rythme professionnel fait d’échéances rapides et continues. Ce sont, par conséquent, les temporalités familiales, les moments à soi, de loisir et de repos qui se heurtent à ce que Armano et Briziarelli nomment l’extension de la subsomption soit, dans son acception marxiste, la manière « dont le capitalisme absorbe et contrôle des éléments du social, donc pas seulement le travail »[48] et, en l’occurrence, le domicile privé. Les auteurs proposent d’y voir un phénomène en tension, fait d’accaparement réciproque et contradictoire entre la domesticité et le travail. Les mèmes qui ont circulé pendant la pandémie en sont révélateurs :
(…) le nombre considérable de mèmes humoristiques de travailleurs surpris dans une tenue ou une posture inappropriée alors qu’ils travaillent à distance est révélateur de ce paradoxe : d’une part, la reconnaissance préoccupante d’un travail qui a atteint notre chambre à coucher et nous a surpris en tenue de pyjama ; d’autre part, un travail qui est en partie domestiqué par notre environnement, nos besoins et nos désirs[49].
On pourrait aussi s’interroger quant aux impacts sur les enfants qui ont vu leurs parents travailler à la maison à toute heure et dans toutes les pièces de l’habitation. La possible recrudescence du travail des adolescents, avec la relocalisation du travail à domicile facilitant des formes de cumul d’activités via l’économie numérique et l’augmentation du crowdwork, pose également question[50].
- L’attrait paradoxal pour le télétravail et son dépassement
Venons-en à présent à aborder un point important de cette mise en perspective critique du télétravail qui concerne la manière dont elle peut être effectivement réappropriée pour défendre les intérêts des travailleuses et travailleurs. Car la réalité est, de fait, plus compliquée dans les milieux de travail où le recours au télétravail se maintient après la pandémie : sa critique serait en effet facile à diffuser si le télétravail ne suscitait de la part des travailleuses et des travailleurs eux-mêmes un tel engouement. II n’y a pas que les employeurs qui poussent au recours au travail à domicile : plusieurs études montrent en effet que le maintien d’un télétravail partiel (en général, moins de la moitié du temps de travail presté) se fait à la demande même des employés. Le télétravail est devenu pour la plupart un droit, une conquête sociale à obtenir. Il faut, par conséquent, également s’attacher à comprendre les raisons de cette adhésion. Nous soulignerons, toutefois, la nécessité de les déconstruire afin de dépasser le paradoxe de l’attrait pour le télétravail, précisément en proposant à quelles conditions cette modalité de travail peut-être repolitisée et recollectivisée au-delà des intérêts personnels d’y avoir recours.
Il faut se souvenir, rappelle Fanny Lederlin, dans quel contexte était le monde du travail avant le début de la pandémie :
Condamnés quotidiennement à prendre des transports en commun surchargés ou à passer des heures dans les embouteillages, fatigués de s’agiter dans des open spaces indiscrets où ils voyaient se réduire leurs délais de production, épuisés par la quête d’une utilité et d’un sens à leur travail, et touchés par de nouvelles maladies professionnelles (burn-out, bore-out, …), de nombreux travailleurs étaient au bord de la crise de nerfs avant que ne surgisse, tel un lapin blanc sorti d’un chapeau, le télétravail[51].
Ainsi, le télétravail imposé est apparu pour certains[52], sinon comme une solution miracle, en tout cas comme une forme de soulagement inattendu mettant entre parenthèses une série de pénibilités, de dysfonctionnements et de souffrances au travail. La fin du télétravail obligatoire sonna alors comme un retour brutal et redouté à ces réalités (ce qui n’a pas manqué d’être présenté comme le très psychologisant « syndrome de la cabane ») qui, bien que mises à distance pour un temps, n’ont pas pour autant cessé structurellement d’exister. Depuis lors, l’idée que le télétravail pouvait considérablement améliorer la vie sociale s’est propagée, au niveau individuel, mais aussi au niveau collectif : il a notamment été mis en avant que le télétravail serait une solution à la réduction des émissions de CO2 et donc au réchauffement climatique. Or, comme le souligne pertinemment Lederlin, le télétravail ne peut être cet outil, pour une raison évidente : il ne s’oppose pas au productivisme mais, au contraire, s’inscrit dedans en rendant possible le maintien d’activités même dans des situations d’immobilité contrainte, et même en accentue de nouvelles potentialités en repoussant les limites du « fini » (qu’elles soient, par exemple, corporelles ou spatio-temporelles)[53].
C’est, au fond, ce qui définit l’attrait paradoxal pour le télétravail : il est perçu comme une échappatoire aux souffrances du travail générées par la flexibilisation (horaires, espace de bureau, etc.) et à un management écrasant, voire comme une solution écologique, alors qu’il ouvre tendanciellement la voie d’une flexibilisation accrue et d’un travail productif qui ne s’arrête jamais. Quels éléments peuvent expliquer un tel paradoxe ? Sans prétendre y répondre de manière exhaustive, deux facteurs peuvent être mis en avant. Primo, aux éléments de contexte précédant la pandémie peut être ajouté celui de l’affaiblissement généralisé des réponses collectives du monde du travail face aux attaques néolibérales qu’il subit. Face au déficit de puissance d’agir politique et collective, s’imposent alors des réponses individualisantes où le travailleur cherche à se libérer individuellement des contraintes du travail, dans une quête de détachement, et non de s’émanciper collectivement par le travail[54].
On peut aussi considérer que le désir de télétravail constitue une réponse tout à fait sensée aux problèmes croissant de coût du logement dans les villes : ils poussent toujours plus d’individus à se loger loin de leur lieu de travail, sans que ces frais de déplacement ne soient forcément couverts par l’employeur. Pour ces personnes, le télétravail constitue, du moins dans l’immédiat, une réelle économie. Dans les deux cas, l’attrait pour le télétravail révèle bien, en miroir, la dégradation des conditions de travail et d’existence en présentiel.
Secundo, si le télétravail semble tellement attractif, c’est aussi nous semble-t-il en raison de l’invisibilisation des processus mis en avant dans notre analyse. Si c’est le cas, c’est parce qu’il y a un déficit évident de publicisation des enjeux liés à l’économie numérique dans un contexte généralisé de solutionnisme ambiant et d’obsession pour combler la « fracture numérique ». Mais aussi parce que cette invisibilisation est ce qui caractérise de manière inhérente les mécanismes d’exploitation de l’économie numérique : il y a de fait une obscurité totale sur ce qui est fait de nos données (à quel point elles nourrissent l’intelligence artificielle, notamment) qui fait partie des obstacles à la lutte contre le capitalisme numérique. Or, c’est justement dans la conscientisation de ce processus d’extension que la question de l’émancipation peut être soulevée, en ce qu’elle créé les bases d’une nouvelle communauté de travailleuses et travailleurs : parce que la généralisation du travail à distance participe d’une extension de l’emprise des acteurs numériques dans l’organisation du travail, de son contrôle et de sa flexibilisation, il accroît aussi le nombre d’individus intégrant cette digital working class (classe laborieuse digitale). Davantage encore aujourd’hui, les travailleurs et travailleuses ont pour condition commune d’intégrer les chaînes de production digitales globales. Il importe donc que ces derniers s’occupent des outils numériques d’évaluation, de liaison et de contrôle, de la même façon que le mouvement ouvrier s’est toujours occupé, d’une façon ou d’une autre, de reprendre le contrôle sur les moyens de production. Pour cela, l’éducation populaire se doit de discuter les idées qui commencent à circuler à propos de la manière de reprendre du pouvoir d’agir en intervenant sur la planification, la conception des algorithmes et la finalité de l’utilisation des données[55].
Conclusion
Nous avons, dans cet article, proposé que la question du télétravail ne devait pas être pensée indépendamment d’une lecture critique de l’économie numérique et des enjeux fondamentaux qu’elle soulève. Car dès lors qu’on l’aborde sous cet angle, apparaissent des défis plus complexes que ceux qui sont habituellement soulevés par le télétravail lorsqu’il est pensé comme une préférence individuelle ou une simple optimalisation de l’organisation du travail. Nous avons pour cela cherché à en saisir les effets en les articulant aux transformations qui sont à l’œuvre dans de nombreux segments de la production où les outils digitaux sont introduits de manière croissante. Et c’est là que notre recherche nous amène à un constat clair : l’emprise du numérique sur le travail, amplifiée depuis la pandémie, nous projette dans un système politico-économique qui, à bien des égards, tourne la page du capitalisme productif précédent. De la désagrégation de l’entreprise à la plateformisation des services publics s’opèrent en effet des processus convergents : la mise à distance du travail, envisagée comme outil de flexibilisation spatio-temporelle et de rationalisation des coûts, crée en même temps des nouvelles opportunités pour générer des profits, via la privatisation numérique et la production de données, sur le travail lui-même ou l’usager de services.
Parmi les conséquences identifiées sur les travailleuses et travailleurs, celle de la diminution du pouvoir d’agir apparaît en particulier : sous contrôle et commande digitale, ils et elles perdent leur autonomie, au télétravail comme ailleurs ; la digitalisation des services de l’État social crée des barrières à l’accès pour les usagers d’exercer leurs droits sociaux ; elle tend, de plus, à déposséder les travailleurs du secteur public de ce qui est au centre de leur fonction (la relation pédagogique pour les enseignants ou l’accompagnement social pour les travailleurs sociaux). Nous voudrions alors, en guise de conclusion, souligner un paradoxe frappant : la production de ces nouvelles formes de dépossessions propres à l’économie numérique s’accompagne aussi d’une perte d’efficacité des moyens de résistances qui secouaient le capitalisme productif précédent. Alors que l’entreprise devient de moins en moins le lieu de rencontre physique entre le capital et le travail, que les travailleurs gérés à distance sont atomisés et docilisés par le management algorithmique, il devient plus que nécessaire de réinventer d’autres moyens de résistances et d’autres revendications (il ne suffit plus, par exemple, de revendiquer un refinancement des services publics, il faut aussi dé-privatiser les moyens de liaisons numériques utilisés en leur sein). Sans quoi, les travailleuses et travailleurs risquent de se retrouver piégés entre des tendances de l’économie numérique de plus en plus autoritaires et des possibilités de s’y opposer, elles, de plus en plus obsolètes.
- [1] Stiegler Barbara, De la démocratie en pandémie. Santé, recherche, éducation, Paris, Gallimard, Tracts, 2021.
- [2] Bouquin Stephen, « A quand les luttes virales ? Le travail en temps de pandémie », Econosphères, juin 2020, URL : https://www.econospheres.be/A-quand-les-luttes-virales-Le-travail-en-temps-de-pandemie, consulté le 02 juillet 2022 ; Girès Joël, « Covid-19 : les métiers essentiels surexposés, mais peu valorisés », Observatoire belge des inégalités, mai 2020, URL : https://inegalites.be/Covid-19-les-metiers-essentiels, consulté le 02 juillet 2022.
- [3] Arabajieva Kalina, Franklin Paula, « La maison comme bureau relance le débat entre travail rémunéré et non rémunéré », Le Soir, 10/05/22, URL : https://www.lesoir.be/441029/article/2022-05-10/la-maison-comme-bureau-relance-le-debat-entre-travail-remunere-et-non-remunere, consulté le 05 septembre 2022.
- [4] Klein Naomi, La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, Arles, Leméac/Actes Sud, 2008.
- [5] Ce lien est par exemple généralement abordé en termes de protection des données (c’est notamment le cas dans la CCT n°85 encadrant le télétravail), mais beaucoup moins en termes de gouvernance algorithmique ou de la propriété des logiciels, alors que ce sont des questions de plus en plus cruciales.
- [6] Vendramin Patricia, Valenduc Gérard, Le travail virtuel. Nouvelles formes d’emploi et de travail dans l’économie digitale, 2016, p.5, URL : http://hdl.handle.net/2078.1/174224.
- [7] Vendramin P., Valenduc G., Ibid.
- [8] Chiffres de Statbel. Voir : https://statbel.fgov.be/fr/nouvelles/le-travail-domicile-se-fait-une-place-dans-de-nouveaux-types-de-professions.
- [9] Cité par Marrel Manon, « Généralisation du télétravail. Attitudes et comportements des salariés », Mémoire en Gestion et management, 2020, p.14, URL : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-03151267/document, consulté le 05 septembre 2022.
- [10] Kelly Jack, « Twitter Employees Can Work From Home ‘Forever’ Or ‘Wherever’ You Feel Most Productive and Creative », 05/2022, URL : https://www.forbes.com/sites/jackkelly/2022/03/05/twitter-employees-can-work-from-home-forever-or-wherever-you-feel-most-productive-and-creative/?sh=23f4531015e4, consulté le 03 juillet 2022.
- [11] Cité par Marrel Manon, « Généralisation du télétravail. Attitudes et comportements des salariés », Op. cit., p.14.
- [12] Thomas Julien, « Le télétravail, nouvelle norme pour les fonctionnaires ? », Moustique, 06/2020, URL : https://www.moustique.be/actu/2020/06/09/le-teletravail-nouvelle-norme-pour-les-fonctionnaires-184074, consulté le 03 juillet 2022.
- [13] Huws Ursula, « Le travail dans un monde dominé par des applications », Lava, n°16, 2021, pp. 66-83.
- [14] Veltz Pierre, La société hyper-industrielle. Le nouveau capitalisme productif, Paris, Seuil, 2017.
- [15] Bauman Zygmunt, La vie liquide, Rodez, Editions du Rouergue, 2006.
- [16] Veltz Pierre, La société hyper-industrielle. Le nouveau capitalisme productif, Op.cit., p.70.
- [17] Alaluf Mateo, « Travail et entreprise à l’heure de la distanciation physique », Les Mondes du Travail, n°26, 2021, p.191.
- [18] Veltz Pierre, La société hyper-industrielle. Le nouveau capitalisme productif, Op.cit., p.70.
- [19] Srnicek Nick, Le capitalisme de plateforme. L’hégémonie de l’économie numérique, Montréal, Lux, 2018.
- [20] Voir à ce sujet Piret Cécile, « Le stade ‘Uber’ du capitalisme et le travail », Analyse de l’Arc, 2019, URL : https://www.arc-culture.be/publications/le-stade-uber-du-capitalisme-et-le-travail/, consulté le 20 août 2022.
- [21] Öngün Emre, Yon Karel, « A l’épreuve du télétravail. Entretien avec Sophie Binet, Alexandra Jean, Frédérique Letourneux », Revue Mouvements, n°106, 2021, p.63.
- [22] Selon l’enquête menée en France par l’Ugict, la détérioration du bien-être au travail suite à l’introduction de tels espaces décriés pour leurs effets dépersonnalisant du travail est justement souvent invoquée par les salarié.es comme une motivation pour rester en télétravail.
- [23] Randall Patrick, « l’e-santé, un marché mondial en ébullition », Les numériques, décembre 2021, URL : https://www.lesnumeriques.com/pro/l-e-sante-un-marche-mondial-en-ebullition-a172011.html, consulté le 28 juin 2022.
- [24] Baudino Franck, « La télémédecine doit prendre toute sa place » Constructif, 2017/3, n°48, p.62-64.
- [25] Morozov Evgeny, Le mirage numérique. Pour une politique du big data, Paris, Les Prairies Ordinaires, 2015.
- [26] Voir l’entretien avec le Travail Social en Lutte dans ce numéro.
- [27] Voir l’article de Gilles Jeannot dans ce numéro.
- [28] Jeannot Gilles, Cottin-Marx Simon, La privatisation numérique. Déstabilisation et réinvention du service public, Paris, Raisons d’agir éditions, 2022.
- [29] Notons que ce ne sont pas uniquement les lobbys du numérique qui la considèrent comme telle, mais que cette opinion est également partagée par les autorités rectorales des universités. Caroline Pauwels, ancienne rectrice de la Vrije Universiteit Brussel (VUB) déclarait ainsi dans une vidéo YouTube le 25 mars 2020 à propos de l’enseignement à distance : « Nous avons dû effectuer le passage au monde numérique de manière radicale, voire brutale. Nous devions le faire. Et oui, cela a nécessité des ajustements importants. Ce passage au numérique pourrait être le résultat le plus positif de la crise du corona ». Cité par le manifeste « Non à la rentrée virtuelle à l’ULB » de l’Atelier des Chercheur-euse-s pour une désexcellence des universités, URL : https://encourspasenligne.be/manifeste/, consulté le 20 août 2022.
- [30] Voir : https://hype13.fr/le-consortium/
- [31] A ce sujet, voir : Romainville Alice, « L’école prise d’assaut », TRACeS de ChanGements, n°249, 2021, URL : https://www.changement-egalite.be/TRACeS-249-Ecole-a-distance, consulté le 25 août 2022.
- [32] Hern Alex, « Microsoft productivity score feature criticised as workplace surveillance », The Guardian, novembre 2020, URL : https://www.theguardian.com/technology/2020/nov/26/microsoft-productivity-score-feature-criticised-workplace-surveillance, consulté le 03 juillet 2022.
- [33] Voir à ce propos l’intéressante carte blanche d’un enseignant : Julien Cueille, « Au secours ! Le distanciel revient… », Le blog de Mediapart, novembre 2021, URL : https://blogs.mediapart.fr/julien-cueille/blog/271121/au-secours-le-distanciel-revient, consulté le 06 septembre 2022.
- [34] Chin Monica, « If you’re starting an online class, check to make sure your professor is alive », The Verge, février 2021, URL : https://www.theverge.com/22262230/online-college-class-covid-professor-dead, consulté le 06 septembre 2022.
- [35] Ursula Huws, « Le travail dans un monde dominé par des applications » Lava, n°16, 2021, p.76
- [36] Aida Ponce Castillo fait en effet remarquer que ces technologies ont été directement mises sur le marché et adoptées par les entreprises, là où elles sont normalement soumises à des évaluations en termes de risque et de sécurité et, dans certains cas, soumises à la concertation sociale. Voir l’article : « An expert’s opinion : An interview with Aida Ponce del Castillo on the impacts of remote working on employees », décembre 2020, URL : https://sciencemediahub.eu/2020/12/23/an-experts-opinion-an-interview-with-aida-ponce-del-castillo-on-the-impacts-of-remote-working-on-employees/, consulté le 05 septembre 2022.
Ici aussi, la pandémie semble avoir fonctionné comme un laboratoire social à grande échelle dans un contexte d’État d’urgence duquel les entreprises ont largement bénéficié.
- [37] Manokha Ivan, « Covid-19 : Teleworking, Surveillance and 24/7 Work. Some Reflexions on the Expected Growth of Remote Work After the Pandemic », Political anthropological research on international social sciences, 1, 2020, p.273-287.
- [38] Ibid.
- [39] Gaborieau David, « Travailler sous commande vocale dans les entrepôts de la grande distribution », in Thébaud-Mony Annie et al. (Sld), Les risques du travail, Paris, La Découverte, 2015, pp. 219-222.
- [40] Hausman Thomas, « Le métier de facteur face aux transformations du secteur postal », Observatoire belge des inégalités, mai 2019, URL : https://inegalites.be/Le-metier-de-facteur-face-aux, consulté le 07 septembre 2022.
- [41] A ce sujet, voir : Altenried Moritz, « On the last mile : logistical urbanism and the transformation of labour », Work organisation, Labour & Globalisation, vol°13, 2019/1.
- [42] Durand Cédric, « L’esprit du capitalisme numérique : la préférence pour le contrôle », Permanences Critiques, juin 2021, pp.37-45.
- [43] Marion Nicolas, « Qu’est-ce que le digital labour ? » Analyses de l’ARC, 2018, URL : https://www.arc-culture.be/publications/quest-ce-que-le-digital-labour-exploitations-et-alienations-en-societe-numerique/, consulté le 07 septembre 2022.
- [44] Zuboff Shoshana, L’âge du capitalisme de surveillance, Paris, Editions Zulma, 2019.
- [45] Voir, par exemple, le rapport « Analyse et impact du télétravail en région de Bruxelles-capitale », Institut bruxellois de statistique et d’analyse, octobre 2021.
- [46] Bingen Aline, Trionfetti Maria Cecilia, « Figures de la flexibilité : l’impact de nouvelles formes de travail sur la santé des travailleurs », Gresea, septembre 2019, URL : https://gresea.be/Figures-de-la-flexibilite-l-impact-de-nouvelles-formes-de-travail-sur-la-sante, consulté le 10 septembre 2022.
- [47] Manokha Ivan, « Covid-19 : Teleworking, Surveillance and 24/7 Work. Some Reflexions on the Expected Growth of Remote Work After the Pandemic », Art. Cit.
- [48] Armano Emiliana, Briziarelli Marco, « Capitalisme pandémique. De l’émergence de l’espace numérique abstrait à l’extension de la subsomption », Les mondes du travail, n°26, 2021, p.154.
- [49] Armano Emiliana, Briziarelli Marco, Ibid., p.158.
- [50] Lederlin Fanny, Les dépossédés de l’open space. Une critique écologique du travail, Paris, PUF, 2020.
- [51] Lederlin Fanny, « Télétravail : un travail à distance du monde », S.E.R., « Etudes », 2020/11, p.36.
- [52] Il faudrait toutefois faire une recherche approfondie afin d’évaluer les expériences très contrastées du confinement et d’identifier les caractéristiques sociologiques des individus l’ayant vécu favorablement.
- [53] Lederlin Fanny, « Télétravail : un travail à distance du monde », Art. cit.
- [54] Voir l’article de Fanny Lederlin dans ce numéro.
- [55] Le numéro de dossier « Inégalités programmées, capitalisme, algorithmes et démocratie » du CIEP, n°29, 2021, propose des pistes intéressantes pour y remédier.