Numérique : qui paie la fɍacture ?

Numérique, qui paie la facture ?

C’est un fait, on a même envie d’écrire ‘’c’est comme ça’’, puisque ça nous a été imposé sans débat : la société est numérique.
En 2023, nous avons tenté d’obtenir de nos candidat·e·s politiques des réponses sur leurs intentions programmatiques en la matière. Vous l’avez fait avec nous, via ce formulaire, que nous maintenons en ligne jusqu’aux élections d’octobre.

Nous pourrions donc passer à autre chose, puisqu’ à les entendre, demain, le numérique sera ce qu’il aurait toujours dû être – un choix -, des alternatives seront restaurées partout où il n’y en a pas (plus), du matériel sera fourni à ceux et celles qui en ont besoin et des formations seront proposées à tous ceux et celles qui veulent faire ce choix.

L’ARC et toutes les associations qui se démènent pour limiter la casse sociale seront correctement financées pour ce faire, les bénéfices engendrés par la numérisation renfloueront les caisses des services publics, ce sera beau, ce sera bon, on sera bien.

Mais ça, c’est à les entendre et, soyons de bon compte, entre ce qu’on entend de la bouche des candidat·e·s à l’aube d’une campagne et ce qu’on constate au lendemain des élections, il y a bien des fossés que l’associatif et des citoyens et citoyennes dénoncent et tentent de combler comme iels peuvent.

C’est pourquoi cette année nous remettons le couvert. Cette fois, c’est la voix de ce que notre société appelle les ‘’fracturé·e·s numériques’’ que nous allons faire entendre. Nos publics bruxellois et wallons vont nous dire ce que leur coûte cette numérisation qu’ils n’ont pas demandée et qui les a totalement ignorés. Ils vont nous montrer la facture numérique qu’ils payent au quotidien : ce que ça leur coûte financièrement, ce que ça leur coûte physiquement, socialement, psychologiquement, culturellement. Et ils vont réclamer à tous les niveaux de pouvoir une réponse à la question suivante : comment la plus-value générée par le numérique est-elle effectivement utilisée pour réduire ces coûts ?

Argument de la campagne

La numérisation de la société dans son ensemble n’est pas, faut-il le rappeler, sans impacts sur ses dimensions les plus essentielles et structurelles : elle touche l’économie, la culture, la vie sociale et politique, la santé, l’environnement, l’administration, l’éducation, etc. Si personne ne conteste au numérique son importance, c’est parce que précisément on mesure combien il est devenu, aujourd’hui, l’un des piliers incontournables de l’organisation de la société toute entière. C’est donc légitimement qu’on parle de société numérique et qu’en conséquence, on peut s’interroger sur les politiques numériques qui se proposent d’encadrer cette réalité.

La numérisation a donc, comme toutes les problématiques sociétales, un enjeu de pondération entre ses coûts et ses bénéfices. Cette pondération est au cœur de toutes les politiques numériques, qu’on les prenne au niveau européen (voir l’indice DESI1) ou au niveau belge. La valeur ajoutée, du point de vue économique (développement, économie d’échelle, création d’emplois, etc.), se paie de coûts correspondants (infrastructures, accompagnement, etc.) à toutes les échelles de la société, non seulement financièrement, mais aussi socialement, culturellement, politiquement, etc. Disposer, comme le fait l’indice DESI, d’indicateurs de performances et d’objectifs de développement n’est pas une mauvaise chose en soi, mais il manque souvent l’effort correspondant : l’indice des impacts négatifs et des coûts importants que représentent, pour la population, ces objectifs2.

Il est aujourd’hui admis que ladite « transition numérique » s’accompagne d’un phénomène social d’ampleur : la « fracture numérique », expression générique utilisée pour parler des inégalités numériques. En effet, aux incitations du numérique se heurtent des difficultés importantes pour la population, non seulement parce que l’appropriation des technologies se fait à des vitesses variables, mais aussi parce que la digitalisation génère des difficultés nouvelles dans tous les domaines qu’elle touche : complexification des procédures, réduction des interlocuteurs humain, charges économiques liées à l’acquisition du matériel/des connexions/des logiciels, standardisation non-uniformisée des services, menace sur l’emploi de nombreuses personnes, etc. Et puisqu’elle touche tous les domaines, ce n’est pas d’une fracture numérique dont il faut parler, mais bien des fractures numériques : de nouvelles fractures sociales sont apparues avec le numérique, et elles dépassent largement le problème de l’appropriation des technologies numériques par les populations. Elles concernent chaque secteur, chaque domaine de la société.

Alors, à la question des bénéfices vantés de la numérisation, ceux qui se chargent de l’accompagnement des citoyen·nes fragilisés, précarisés et/ou mis en difficultés se doivent de répondre : qui paie la « facture » de la numérisation ? Si l’on imagine bien combien d’économie peut générer la société numérique, quels en sont les coûts ? Comment chaque domaine politique les évalue, les pondère, y répond ?

On peut se demander, même, si le politique mesure bien combien les citoyen·nes paient la transition : de leur portefeuille bien sûr, mais de leur personne aussi, de leur qualité de vie, de leur santé, de leur participation à la société, à la culture, à l’économie, à la vie sociale. Pour répondre à cela, il faut – aujourd’hui plus que jamais – répondre à ces deux problèmes : quelles sont « les fractures du numérique » d’une part, et qui en paie la facture d’autre part ?

Cette campagne veut, précisément, sensibiliser le grand public, les secteurs concernés et les acteurs politiques à cette question. Son objectif est d’obtenir, par ailleurs, une réponse politique à la question suivante : comment la plus-value générée par le numérique est-elle effectivement utilisée pour réduire ces différentes fractures structurelles ?

Modalités de la campagne
Un premier objectif est de faire voir et de faire entendre ceux et celles qui paient le plus cher la « facture numérique ». Cela se fera grâce au travail de terrain mené par toutes les implantations de l’ARC : chaque antenne a son rapport privilégié avec un public particulièrement vulnérable et exposé aux fractures numériques.

On peut penser aux personnes âgées, aux mamans solos et aux femmes précarisées et/ou migrantes, aux sans-chez-soi/immenses, aux personnes sans emploi, etc.

De manière kaléidoscopique, ces différents publics, issus de tous les territoires où l’ARC est active en éducation permanente, seront les personnes ressources et les cibles du travail de campagne : à Liège, à Verviers, à Namur, à Bruxelles, à La Louvière. Le travail d’animation de la campagne se fera donc de manière préférentielle avec ces publics cibles visés par les différentes antennes.

Compte tenu de la diversité des publics visés, l’interpellation sectorielle pourra se faire en fonction des différentes précarités/fractures/inégalités interrogées : numérique et secteur santé / numérique et secteur logement / numérique et secteur alphabétisation / etc.

L’interpellation des pouvoirs publics se fera également de cette manière, en rapport avec les politiques locales et les différents portefeuilles ministériels/ communaux/ etc. concernés par la question que nous adressons : sur le mode de « en tant que politique en charge de l’égalité des chances / du logement / du social-santé/ etc., comment évaluez-vous la facture que paie les citoyens du fait de la numérisation de … »

1Plus d’infos sur l’indice DESI via ce lien. Pour rappel, les objectifs mesurés par le DESI sont aujourd’hui réunis comme tel : 1) des infrastructures numériques sûres et durables (infrastructure) ; 2) la transformation numérique des entreprises (business) ; 3) une population éduquée au numérique et des professionnels du numérique hautement qualifiés (compétences) ; 4) la numérisation des services publics (gouvernement). Reprendre la lecture du texte
2Il existe des initiatives comme le Baromètre de l’inclusion numérique publié par la Fondation Roi Baudoin, mais elles ne répercutent pas l’analyse des coûts de la numérisation dans tous les domaines où elle a, pourtant, des impacts importants. Reprendre la lecture du texte