BruZelle : précarité menstruelle et associative

BruZelle : précarité menstruelle et associative

Brisons les tabous. Changeons les règles !

Voilà le mot d’ordre de BruZelle, une association belge qui œuvre à la lutte contre la précarité menstruelle depuis 2016 notamment en organisant des collectes et des distributions de serviettes menstruelles jetables. Nous avons rencontré Veronica Martinez, directrice et fondatrice de BruZelle, pour échanger autour de la précarité, menstruelle dans un premier temps, mais aussi de précarité associative illustrée par le fait que les associations sans but lucratif (ASBL) dépendent du bon vouloir des pouvoirs subsidiants pour mener leurs projets sociaux, culturels et associatifs. Des projets dont l’utilité sociale est certes reconnue, mais qui doit être sans cesse redémontrée dans une course aux financements qui ralentit le travail de terrain et maintient les actrices et acteurs sociaux dans l’attente et l’incertitude.

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En guise d’introduction, pouvez-vous nous décrire quand et comment est née BruZelle ?[1]

L’idée de BruZelle a vu le jour en octobre 2016, suite à une rencontre que j’ai eue avec une dame sans domicile fixe dans le métro qui m’a demandé un tampon là où je pensais lui proposer plein d’autre choses, c’est-à-dire un peu d’argent, un vêtement chaud, de la nourriture. Je pense que c’était ma première rencontre avec la précarité menstruelle. Elle m’a expliqué qu’il n’y avait aucune distribution structurelle de produits menstruels et qu’elle ne trouvait pas toujours ces produits-là au même endroit. Il m’a fallu quand même une bonne année pour percuter l’urgence de lutter contre la précarité menstruelle. J’ai fait mes recherches et je me suis rendu compte que là où se trouve la précarité féminine, la précarité menstruelle n’est jamais très loin.

Je n’ai pas de formation au niveau social, donc j’ai commencé cette aventure en constatant qu’il y avait un manque et en essayant de voir comment y pallier de façon pragmatique. Et c’est comme ça qu’ont commencé les premières collectes, d’abord entre copines, dans les garages des unes et des autres. Notre première collecte privée est partie vers le camp de migrants de Grande-Synthe à Calais. Je ne sais plus comment ces personnes ont été informées de cette collecte, ce n’était même pas encore du BruZelle à l’époque, j’imagine que quelqu’un dans notre groupe en a parlé. Ensuite, nous avons répété ces opérations de collecte sous forme de collectif citoyen, et nous avons commencé un peu à être connues, notamment parce que nous collaborions avec DoucheFLUX[1]. Donc les commandes ont vraiment commencé à arriver de façon régulière. À l’époque dont je te parle, nous étions encore toutes bénévoles, et nous nous réunissions le week-end et les soirées, à côté de notre emploi salarié.

À partir de 2017, nous avons fait les démarches pour devenir une ASBL, pour pouvoir prétendre à des subsides viables. Nous étions trois : Valérie, Yves et moi, et nous avons reçu un premier subside de la Commission communautaire commune de Bruxelles-Capitale (COCOM[2]) que nous n’avions pas demandé au départ. À l’époque c’était Madame Fremault qui avait ce qu’on appelle une queue de subsides, c’est-à-dire qu’elle avait distribué ses subsides et qu’il lui restait une enveloppe. Elle était touchée par le travail de BruZelle et nous a proposé environ 25 000 euros. Nous n’avons pas dit non évidemment. Ce premier subside nous a permis de louer le local dans lequel on se trouve et d’en payer les frais inhérents. Mais nous étions toujours bénévoles à l’époque.

Puis nous avons introduit une demande de subsides en bonne et due forme à la COCOM parce que je voulais travailler à temps plein chez BruZelle. Il fallait gérer les commandes qui augmentaient, ainsi que les demandes de rencontres, les interviews, les rendez-vous… Ça devenait très compliqué à côté d’un boulot et d’une vie privée. Nous avons reçu un premier subside de la COCOM d’une hauteur de 40 000 euros, toujours pour payer le local et pour payer 70% de mon salaire. Donc en août 2020, j’ai commencé à travailler pour BruZelle en tant que salariée. Aujourd’hui, nous sommes trois personnes. Il y a moi, Juliette qui a été engagée grâce à un subside de la Fédération Wallonie-Bruxelles et Hannah qui vient d’être engagée grâce à un subside que nous avons reçu de l’institut pour l’égalité des hommes et des femmes.

Pouvez-vous nous parler de vos missions ? Plus concrètement, que vous permettent de faire ces subsides ?

Il y a deux grandes missions dans BruZelle. La première c’est la collecte et la distribution gratuite de serviettes menstruelles. Au niveau de la distribution, il y a toute une organisation d’ateliers qui se met en place. Il y a un atelier couture mensuel pour réaliser la trousse BruZelle, un atelier de couture de serviettes menstruelles lavables, lui aussi mensuel, et enfin un atelier de remplissage de trousses qui, lui, est hebdomadaire. Par exemple, si nous avons des trousses et des dons, nous organisons les ateliers pour que les demandes qui nous sont envoyées soient honorées. Pour vous donner une idée, mercredi passé, nous avons fait à peu près 650 trousses et la semaine avant nous en avons fait 1000. Chaque trousse contient 20 serviettes, donc nous arrivons à des sommes assez importantes.

Après la distribution vient la sensibilisation. Pour ce faire nous avons plusieurs possibilités. Nous allons dans les écoles, dans les maisons de quartier, auprès des mouvements de jeunesse pour parler de santé et de précarité menstruelles, pour parler des règles, de comment ça fonctionne, qu’est-ce que l’appareil génital féminin et quels sont les éléments qui le composent, c’est quoi l’endométriose, etc. Déconstruire le tabou autour des règles, c’est super important aussi. Cette mission de sensibilisation s’adresse à un panel très important de personnes, des plus jeunes aux plus âgées. Dans les maisons de quartiers, nous organisons souvent des ateliers, parce qu’il y a une demande pour participer de façon active à la lutte. Souvent l’éducatrice ou l’animatrice nous dit que les participantes sont aussi en demande d’informations et d’explications. Et alors, depuis peu, nous travaillons sur un programme qui s’appelle « Règle de 3 », destiné spécifiquement aux jeunes. L’idée c’est d’aller dans les écoles, dans les Maison de Jeunes et d’informer, de déconstruire le tabou et de libérer la parole. Le but c’est qu’au bout du compte ce soit enseigné à l’école, d’une façon ou d’une autre, mais aussi d’interroger les directions d’école et les pouvoirs organisateurs en disant qu’il y a un souci de méconnaissance. Le mieux serait d’avoir des subsides pour engager quelqu’un qui ne fait que ça…

Sur votre site, vous invitez les gens à participer à la lutte contre la précarité menstruelle en devenant bénévoles « afin de compléter l’équipe et de nous aider à accomplir différentes tâches, toutes indispensables au bon fonctionnement de l’association »[3]. Quelles sont ces tâches ? Combien de bénévoles avez-vous ?

Nous avons trois ou quatre bénévoles qui sont responsables de leurs ateliers, mais les bénévoles qui donnent un coup de main, c’est aléatoire. Moi je crée des évènements sur la page Facebook de BruZelle et s’inscrit qui veut. En général je dirais qu’il y six personnes aux ateliers sans problème. Il y a des personnes qui viennent tout le temps parce que ça leur fait du bien, elles aiment bien participer à des ateliers à la sortie de leur boulot, en mode after-work. Et il y a souvent des nouvelles personnes qui viennent aussi. Ces ateliers servent à apprendre à coudre une trousse et/ou apprendre à créer sa serviette menstruelle lavable. Mais ça sert aussi à mettre des personnes autour d’une table, d’avoir un échange de savoirs et d’expériences. Nous essayons toujours d’amener une discussion sur la précarité menstruelle ; en général je lance la conversation en parlant de ma propre expérience et de fil en aiguille, le sujet vient sur la table, nous parlons de ça puis ça débouche toujours sur d’autres questions, sur des interrogations, etc.

Indépendamment des bénévoles responsables d’ateliers, nous pouvons compter sur l’aide précieuse des bénévoles d’antenne. Ces personnes développent le concept de BruZelle dans leur ville ! Il y en a plusieurs notamment à Ath, Liège, Namur, Anvers, Leuven et le Brabant Wallon …

Quel est le profil de votre public de bénévoles ? Ces personnes sont-elles touchées par la précarité menstruelle ? 

Dans un premier temps, non. Ce sont des personnes qui viennent s’inscrire pour donner un coup de main à la lutte contre la précarité menstruelle. Mais elles-mêmes, pour autant que je sache – parce que ce n’est pas à moi d’aller vérifier si tu es précaire – non. Par contre, ce qui est relativement nouveau chez BruZelle, c’est qu’il y a une demande qui émane des personnes qui reçoivent nos trousses. Donc nous avons eu des personnes qui sont venues vers nous en disant qu’elles fréquentent telle ou telle association, parfois depuis plusieurs années, qu’elles reçoivent des trousses BruZelle tous les mois, et qu’elles aimeraient ne plus les recevoir de façon passive. Elles ont envie de faire quelque chose et veulent savoir comment aider. Moi je ne leur ai jamais rien demandé, on est d’accord que les personnes qui reçoivent des trousses ne sont redevables de rien du tout.

Et donc elles sont venues créer des serviettes menstruelles lavables pour leur propre usage. Et puis elles cousent aussi des trousses et souvent elles les remplissent elles-mêmes. C’est super valorisant pour elles et pour nous aussi, moi ça me fait un bien fou de les voir partir contentes.

Nous avons aussi un public qui est sorti de la précarité menstruelle, des personnes qui ont trouvé des solutions, qui ne fréquentent plus telle ou telle ASBL, parce que pour elles ça s’est arrangé. Par contre, elles ont envie d’intégrer la lutte contre la précarité menstruelle pour continuer à aider celles qui y sont toujours. Là on parle vraiment de précarité menstruelle pendant les ateliers parce que soit elles l’ont vécue soit elles le vivent et c’est là qu’on peut vraiment récolter des témoignages enrichissants pour nous, qui nous permettent de mieux calibrer notre travail auprès d’elles et auprès des autres.

Au final, nous avons un tas de profils de bénévoles qui font des choses tellement diverses dans BruZelle, sans qui nous ne pourrions évidemment pas travailler. Les ASBL sans bénévoles ne fonctionnent pas, il n’y a rien à faire. BruZelle dépend directement des bénévoles, ce sont elles qui organisent les ateliers, ce sont elles qui participent aux ateliers, je veux dire : sans ça, c’est impossible. Il faudrait plus les mettre en avant.

Par contre, il y a très peu de bénévoles masculins, même si tous les ateliers sont mixtes. Sauf s’il y a une demande de non-mixité, nos activités sont par défaut mixtes. Parce que les règles c’est l’affaire de tout le monde.

Et qu’en-est-il de votre public de bénéficiaires : êtes-vous en contact avec elles ? Est-ce que vous faites des distributions en rue ?

Non, nous ne maraudons pas. Il existe des associations comme Infirmiers de rue et DoucheFLUX qui font ça très bien. D’ailleurs ils maraudent avec nos trousses donc il n’y a vraiment pas besoin de le faire. Il y a plein d’associations qui font ça très bien sur Bruxelles, il n’y a aucune raison que nous le fassions en plus. En plus ça ne s’improvise pas comme ça, nous n’avons pas cette formation-là.

On l’a mentionnée quelques fois sans vraiment la définir, mais qu’est-ce que c’est, concrètement, la précarité menstruelle ? Quels sont les obstacles principaux auxquels font face les personnes qui sont en situation de précarité menstruelle ?

La précarité menstruelle c’est quand tu dois choisir entre un produit de première nécessité ou acheter des protections menstruelles. Nous travaillons beaucoup avec des banques alimentaires, où ils préparent des colis « hygiène et nourriture », parfois tu trouves notre trousse là-bas.

Depuis 5 ans j’ai constaté que l’obstacle principal pour les personnes en errance c’est de trouver les mêmes produits aux mêmes endroits. C’est pour ça que Doucheflux, par exemple, c’est super, parce que dans un seul endroit, tu as une variété de services qui te sont proposés, qui vont de l’accueil à l’écoute en passant par la distribution de nos trousses sur place. Pour moi c’est l’idéal : aller dans un seul endroit et trouver une kyrielle de solutions. L’accès à l’eau est également un problème récurrent. Nous distribuons dans des squats où le manque d’accès à l’eau ne permet pas forcément une hygiène correcte. Tu ne vas pas dans un squat où tu sais que l’eau courante est compliquée à avoir pour aller proposer des serviettes menstruelles lavables.

Un autre obstacle se trouve au niveau de la visibilité institutionnelle de la précarité menstruelle, et de sa prise en compte par les organismes d’aide sociale. En effet, nous interpellons très souvent les assistants sociaux des CPAS qui calculent les budgets pour les familles sans compter le coût des produits menstruels. Dans une famille, il y a peut-être une maman, et deux ou trois filles… ça coûte, les règles, quand t’as pas les moyens. Maintenant j’espère qu’ils ont rectifié le tir. Mais c’est quelque chose qui n’est pas prévu quand tu budgétises avec une personne. Parce que c’est tous les mois, tous les 28 jours, multiplié par le nombre de personnes menstruées dans la maison. Sur un budget serré ça chiffre vite.

Vous parlez de l’accès à l’eau dans certains endroits comme raison de favoriser les serviettes plutôt que les tampons. Est-ce la seule raison pour laquelle vous ne distribuez que des serviettes jetables ? Pouvez-vous nous expliquer votre démarche ?

Au départ, quand nous avons fondé BruZelle, la trousse contenait 10 tampons et 10 serviettes jetables. La démarche, c’était de laisser la possibilité de choisir ce qui convenait le mieux aux personnes qui recevaient nos trousses. Puis nous avons rencontré un médecin d’Infirmiers de rue – parce qu’au départ on travaillait avec les personnes sans-abri – qui nous a dit qu’il comprenait notre intention mais qu’il ne fallait pas oublier que les personnes dans la rue ont souvent des problèmes psychiques qui leur font perdre la notion du temps, et – pour cette raison – les tampons ce n’est vraiment pas une bonne idée, parce qu’elles risquent de ne pas en retirer un avant d’en mettre un autre. Elles peuvent aussi être sous influence de l’alcool ou d’autres drogues et ça fait aussi perdre la notion du temps. Nous avons aussi eu l’occasion de parler avec elles, et elles nous ont dit qu’elles n’avaient pas toujours accès à de l’eau et que pour se laver les mains c’était compliqué. Par ailleurs, nous travaillons beaucoup avec des migrantes ou des personnes de confession musulmane qui, pour des raisons culturelles, préfèrent ne pas utiliser de tampons. Ensuite il y a les femmes infibulées qui n’ont juste pas la possibilité d’insérer un tampon. Donc nous les avons retirés.

Passons à des sujets plus pragmatiques. Pouvez-vous nous parler de la logistique de votre activité ?

La logistique est assez lourde. Si tu es une ASBL qui travaille avec des personnes en situation de précarité menstruelle, alors tu peux faire appel à BruZelle. Nous acceptons parce que nous avons la chance pour le moment d’avoir des dons qui nous permettent de répondre à toutes les commandes qui nous arrivent, ce qui n’a pas toujours été le cas. A la suite de ta demande, nous organisons un atelier. Si tu demandes 100 trousses, à l’atelier suivant, mercredi prochain par exemple, dans les commandes qui vont être préparées, nous allons préparer tes 100 trousses et une fois qu’elles sont préparées, je te rappelle le lendemain en disant voilà c’est prêt il faudrait venir les chercher etc. C’est très simple en fait, mais la logistique est lourde derrière.

Quand les trousses sont terminées et prêtes à partir, elles sont mises dans des caisses à bananes. C’est super pratique, ça te fait 25 trousses par caisse, donc c’est facile quand tu dois calculer. Par contre nous sommes dépendantes des caisses de bananes et personne ne nous les rend jamais. C’est au niveau de la gestion du contenant que c’est le plus compliqué. Donc nous avons aussi des bénévoles qui font ça, à savoir aller dans les grands magasins et dès qu’il y a des boites de bananes vides, elles les rapportent.

Une fois les commandes prêtes, il faut venir les chercher ou vous faites aussi des distributions ?

La majorité vient les rechercher. Je pense que c’est la moindre des choses. Nous travaillons gratuitement, ces trousses sont mises à disposition gratuitement également et je pense qu’il y a une implication qui peut se faire de l’autre côté tout simplement. Donc en général c’est plutôt l’association qui vient les chercher. Quand vraiment ce n’est pas possible alors nous avons la chance de pouvoir compter sur une bénévole qui une fois par semaine peut éventuellement se rendre ici et là pour déposer des trousses.

Comment sont gérées les boîtes de collecte dans les lieux publics ?

En général, les personnes nous contactent tout simplement. C’est assez fluide, le travail de BruZelle. La boite de collecte, c’est toi qui la choisis. Une grande, une petite, etc. La règle habituelle c’est une caisse de bananes parce que l’ouverture de l’urne est déjà faite. Et donc la personne choisit sa boîte, elle fait comme elle veut, la seule chose que nous demandons c’est qu’elle soit personnalisée aux couleurs de BruZelle, qu’elle soit reconnaissable. Tous les documents sont disponibles sur notre site internet. Une fois la boîte remplie, soit la personne responsable de la boîte vient apporter les dons, et c’est chouette parce que ça nous permet de rencontrer les personnes derrière les initiatives, et nous aimons beaucoup tisser des liens, c’est vraiment important. Ce que nous faisons de plus en plus, c’est quand nous avons des nouvelles personnes qui veulent installer une boite de collecte dans un lieu public, nous leur disons : les premiers dons, n’hésitez pas à les mettre dans vos propres toilettes. Ça me parait évident que si tu installes une boite de collecte, tu trouves aussi ces produits menstruels gratuitement dans tes toilettes.

Comment avez-vous été amenées à faire un partenariat avec Always ?

Pendant des années quand nous avons vraiment eu besoin de dons, et que nous n’en avions pas assez, tous les ans, nous envoyions des mails à des marques, personne ne répondait. Et je pense qu’en 2019-2020, nous avons vraiment eu des grosses demandes de protection menstruelle, je pense qu’Always s’est dit que c’était le moment de faire un coup de communication sur la précarité menstruelle. Donc ils ont fait une communication qui leur est propre puis ce sont eux qui sont venus vers nous en disant qu’ils pouvaient nous donner un certain nombre de serviettes à distribuer où nous voulions. La première fois c’était 168 000 serviettes menstruelles distribuées gratuitement. Ça nous permet d’assurer des ateliers pendant des mois, parce que sans ça ce serait très compliqué. Leur aide a donc été non négligeable. Maintenant je pense aussi que chacun y trouve son compte dans ce partenariat ; eux y trouvent une communication qui a du sens et nous recevons des dons qui ont encore plus de sens. Après ce n’est pas indéfini évidemment.

Vous faites un travail assez conséquent, qui demande beaucoup de temps et d’énergie. Est-ce que vous faites également un travail politique sur d’autres niveaux ? Avez-vous des revendications en tant qu’association ?

J’aimerais bien que nous le fassions, mais je n’ai pas de personne qui a ce profil chez nous, moi je ne l’ai pas, mes collaboratrices non plus. BruZelle est une revendication en soi, je veux dire à chaque fois que quelqu’un reçoit une trousse, à chaque fois que quelqu’un met un paquet de serviettes hygiéniques dans une boite de collecte, pour moi c’est un warning vers les politiques donc nous faisons de la politique dans ce sens-là. Maintenant, faire des cartes blanches, des communiqués de presse, moi je n’ai pas le profil pour faire ce genre de choses. En tout cas, et je parle pour moi, je suis plutôt une femme de terrain, mais je sais que c’est hyper important.

Quelle est votre position sur la gratuité des produits menstruels ?

La gratuité c’est un sujet compliqué. Pour moi, ça n’existe pas, sauf si tout d’un coup, comme en Écosse, le gouvernement exige que tu te débrouilles pour qu’il y ait des produits menstruels dans ton établissement scolaire, dans tes centres culturels, etc. parce que maintenant c’est obligatoire.

C’est une question de volonté politique, il faut avoir le cran de le faire. Par contre, ma crainte c’est que si tu obliges ces gens à mettre des produits à disposition dans les toilettes par exemple, ce coût va se répercuter ailleurs. D’office l’argent ne va pas tomber du ciel. Donc c’est pour ça que je dis qu’il n’y a pas de gratuité. Si moi je suis un centre culturel, mon gouvernement m’oblige à mettre des produits menstruels dans les toilettes, ça va se répercuter dans les boissons, dans les entrées, dans la cafét’, dans le catering.

Quelqu’un qui reçoit quelque chose de gratuit doit savoir qu’il y a un tas de gens derrière qui ont travaillé pour le faire et pour pouvoir le rendre gratuit. T’as des gens qui ont travaillé sur les champs pour collecter le coton, des gens qui ont travaillé à la création/confection même des produits, des gens qui travaillent à la logistique, à l’organisation, à la collecte. Même si dans l’absolu c’est quelque chose qui devrait exister, parce qu’on ne choisit pas d’être réglée et que ce n’est pas aux personnes menstruées à porter ce poids et cette charge mentale. Ce serait bien que les mutuelles interviennent à ce niveau-là par exemple. Ou alors que les produits menstruels fassent partie de l’aide médicale d’urgence, pour les personnes sans-papiers.

Selon moi, tu devrais avoir des produits menstruels à disposition partout. Tu as du papier hygiénique partout, pourquoi est-ce qu’il n’y a des produits menstruels nulle part ? Là où tu trouves du papier toilette, tu devrais trouver des serviettes ou des tampons.

Comment arrivez-vous à vous projeter sachant qu’il faut renouveler vos demandes de subsides tous les ans ?

Je sais combien nous dépendons des subsides pour pouvoir travailler. Mon poste est précaire, le poste de mes collaboratrices est précaire, tout ça parce que les subsides ne sont pas structurels, ce sont à chaque fois des subsides facultatifs et toutes les années c’est à refaire. Si nous avons la chance qu’ils soient reconduits, tant mieux, et s’ils ne sont pas reconduits alors il n’y a plus de BruZelle.

J’espère que les autorités politiques vont se rendre compte qu’il faut arrêter le facultatif, ça ne mène nulle part, à part à des emplois précaires et des situations où tu ne peux pas te projeter dans ton propre avenir non plus. L’énergie que tu passes à remplir les demandes de subsides, tu ne les passes pas à travailler sur le terrain, à répondre à la demande, à faire ce pourquoi tu es là, ce pour quoi BruZelle existe. Donc nous dépendons directement, en effet, des cabinets et des ministres qui nous subsidient.

Comment faire pour obtenir des subsides structurels ?

Si tu juges, en tant que ministre, que la problématique de la précarité menstruelle doit être gérée de façon structurelle, tu fais le nécessaire pour pouvoir le faire. Moi je n’ai ni les clefs de l’antre politique ni les moyens politiques mais j’imagine que c’est une question de volonté. Mais là, j’ai quand même constaté depuis 2020 comme un éveil politique autour de la question. Nous avons parfois eu des personnes qui travaillent dans la politique qui nous ont demandé une expertise, des chiffres, une réalité de terrain pour pouvoir écrire des résolutions.

 

Comment est-ce que vous envisagez l’avenir de l’association ?

Mon souhait c’est vraiment que ce ne soit plus le citoyen qui doive répondre à la précarité menstruelle. Pour moi, c’est le politique qui doit répondre. Parce que si un jour BruZelle n’existe plus en tant qu’organe de distribution ou de sensibilisation, nous resterons là comme organe de contrôle, nous serons là derrière pour vérifier que c’est bien fait et la ramener si ce n’est pas le cas. Et l’autre solution c’est que les politiques te donnent les moyens décents de travailler correctement, tant pour le travail qui est fait que pour le respect des travailleurs et travailleuses. Mais je crois que la lutte contre la précarité menstruelle sera toujours là, parce que les règles seront toujours là, parce qu’il y aura toujours des personnes menstruées qui seront précaires, parce que je ne sais pas comment le politique va gérer. Comme je l’ai dit, quand tu distribues une trousse ou un paquet de serviettes, pour moi c’est à chaque fois un acte militant, c’est à chaque fois dire aux politiques qu’ils ne font pas leur boulot. S’il faut le dire 1 800 000[4] fois, nous le dirons.

Même si j’entends bien qu’il y a un problème, je préfère quand même que l’État subsidie des ASBL pour faire le boulot plutôt que de ne rien faire du tout. Mais c’est clair que ce n’est pas au citoyen à porter cette charge-là. Ce qui était le cas au début de BruZelle quand nous étions toutes bénévoles, nous n’avions aucun partenariat avec aucune marque, c’étaient des collectes privées donc l’État n’intervenait pas du tout. Il est intervenu quand les subsides sont arrivés. Et quand nous réitérons nos demandes de subsides, d’année en année, les personnes qui lisent les demandes de subsides voient bien que les chiffres augmentent du simple au double chaque année. Ils doivent quand même bien se rendre compte que la demande est toujours là, qu’elle est toujours plus importante et que le travail est toujours nécessaire.

  • [1] DoucheFLUX est « un centre de jour pleinement opérationnel offrant des services de première nécessité, un hébergement de transit pour femmes et couples, une multitude d’activités redonnant confiance en soi et dignité aux personnes sans chez-soi… » https://doucheflux.be/
  • [2] La COCOM est une institution bruxelloise compétente en matière d’aide aux personnes et de la santé.
  • [3] https://www.bruzelle.be/fr/comment-nous-aider/
  • [4] 1 800 000, c’est environ le nombre total de serviettes distribuées depuis la création de BruZelle en 2017