Les ambivalences de l’éducation populaire des travailleurs entre pacte social et néolibéralisme.

Les travailleurs et leur rapport à l'éducation populaire

Que nous apprend l’héritage ouvrier de l’éducation permanente sur les manières contemporaines de penser le travail au sein des organisations, associatives et syndicales, qui en font leur objet d’actions et de revendications ? Cette étude a pour visée de soulever ce qui, dans l’histoire de l’éducation populaire et de la formation des travailleuses et travailleurs, a façonné un certain référentiel d’émancipation sociale ayant défini l’horizon politique de ses luttes. Elle défend plus particulièrement la thèse que le mouvement d’institutionnalisation de l’éducation populaire au sein des structures d’État, accompagnant celui des principales organisations ouvrières, a inscrit ce référentiel dans une hégémonie de type social-démocrate ou fordiste qui est devenue, dans le sens commun, une évidence dont on peine encore aujourd’hui à se défaire, alors même que l’assaut néolibéral sur le travail attaque durement ses bases matérielles.

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Tant les réformes successives de l’éducation permanente que le contexte de crises multiples donnent lieu régulièrement à des publications participant d’un savoir critique sur le rôle social de ce secteur. Cette démarche continue d’autoréflexion – dans laquelle cette étude s’inscrit pleinement – témoigne d’un certain attachement des acteurs du secteur à la notion d’éducation populaire, mais aussi de leurs inquiétudes sur la capacité de l’éducation permanente à contribuer à la réalisation effective des missions d’émancipation sociale qu’ils persistent à défendre[1]. Dans ce contexte, les « valeurs originelles » de l’éducation populaire sont fréquemment mobilisées en tant que référence structurante pour l’avenir du secteur. Ainsi peut-on notamment lire, ici, qu’il est nécessaire de « poser un regard vers l’avenir en assurant la continuité avec les origines de l’éducation populaire pour en “ garantir ” la pérennité des valeurs »[2]; et, là, que « c’est donc dans le rapport qu’elle parviendra à rétablir avec les sources de son utopie originaire que l’éducation permanente trouvera la réponse aux questions de son avenir »[3]. Surtout, il est précisé que ces sources puisent dans les luttes du mouvement ouvrier et dans une éducation populaire conçue et pensée « pour et par les travailleurs »[4] ; tandis que d’aucuns estiment la piqûre de rappel nécessaire, comme ici, Jean Blairon, déplorant dans un entretien l’immixtion croissante de l’insertion socioprofessionnelle et de l’éducation permanente et rappelant « [qu]’en Belgique, l’éducation permanente, comme dans d’autres pays, a ses horizons de références, ce sont les luttes du mouvement ouvrier. Cela semble oublié aujourd’hui » (nous soulignons)[5]. Soulever ce qui semble constituer une forme d’amnésie collective interpelle et nous invite à formuler les questions suivantes : qu’avons-nous oublié, au juste, et de quoi cet oubli est-il le nom ? Que signifie faire référence à l’héritage ouvrier pour donner un sens au rôle contemporain de l’éducation permanente ? Avec quel regard critique pouvons-nous nous saisir de cet héritage ?

Afin de tenter de répondre à ces questions et d’expliciter les implicites contenus dans la mobilisation du passé ouvrier comme un « retour aux sources », il est nécessaire de déplier des réalités sociales inscrites dans la genèse et l’évolution de l’éducation populaire et de la formation des travailleurs en Belgique. Fondamentalement, l’histoire des mouvements sociaux du travail et le développement de l’éducation populaire sont à penser conjointement comme les manifestations des dynamiques de classes et de leur conflictualité.

Deux dimensions, plus particulièrement, sont à considérer. D’une part, pour éviter de naturaliser la conception de l’émancipation des travailleuses et travailleurs dont le mouvement ouvrier serait porteur et problématiser son caractère construit et historiquement situé, il s’agit de la concevoir comme le reflet de la formation de la classe ouvrière, la manifestation d’un état de prise de conscience politique et de sa matérialisation dans des expressions politiques et culturelles changeantes et évolutives. D’autre part, pour éviter de surestimer l’autonomie relative du champ de l’éducation permanente et des valeurs et pratiques qui s’y déploient, il s’agit de l’inscrire dans les dynamiques de constitution de pouvoir et de contre-pouvoir. Puisque l’éducation populaire des travailleurs s’est développée au sein d’un État capitaliste, il faut également s’interroger sur la nature des relations existantes entre les deux. En suivant les pas d’Antonio Gramsci, nous l’appréhenderons comme une extension de l’État aux organisations de la société civile, et par conséquent, comme la consolidation de l’hégémonie de la classe dominante sur l’ensemble de la société. Il s’agira aussi, bien entendu, d’appréhender en quoi ces processus ne se développent pas sans engendrer des contradictions et des contre-tendances.

Partant de cette problématisation, notre étude souhaite plus spécifiquement montrer que l’éducation et la formation des travailleurs en Belgique héritent aujourd’hui d’un référentiel d’émancipation collective qui a été façonné par l’histoire des luttes précédentes. Comme nous allons le voir, cette histoire est marquée par la mise en place de la société du compromis social, appelée aussi société fordiste ou sociale-démocrate. Ce basculement de société a profondément réorienté les visées et les pratiques des mouvements sociaux liés au travail et, en premier lieu, le syndicalisme dont les organisations ont été institutionnalisées par l’État. L’éducation populaire des travailleurs a accompagné ce mouvement à plusieurs égards, tant dans les associations du secteur que dans les entreprises, où elle participe à la formation intellectuelle des représentants des travailleurs. Alors que le potentiel de transformation sociale du syndicalisme a été, du moins en partie, absorbé dans cet horizon de société, notre recherche souhaite ouvrir la discussion sur l’actualité de ce référentiel d’émancipation pour l’éducation populaire et les possibilités d’en faire un bilan critique pour préparer les perspectives d’avenir.

Pour ce faire, notre recherche procède en trois temps. D’abord, nous préciserons l’usage que nous faisons du concept de classe sociale et l’analyse sociologique qu’il permet. Ensuite, sans retracer en détail l’histoire de l’éducation et de la formation des travailleurs – plusieurs ouvrages référés dans cette étude ont fait ce précieux travail –, nous en soulèverons la dynamique d’institutionnalisation et ses implications en termes de pratiques d’éducation populaire et de répertoires d’actions, au vu des enjeux soulevés par l’instauration d’un régime de concertation sociale. Enfin, nous mettrons en évidence la profonde ambivalence pour l’éducation et la formation des travailleurs de revendiquer une visée émancipatrice dans les limites fixées par l’hégémonie de la classe dominante, tant dans la société civile que dans la sphère de la production. Si les dynamiques d’absorption des contestations caractérisent le cadre dans lequel les activités d’éducation permanente se déploient, elles créent en même temps, continuellement, de nouveaux terrains de résistance là où elles s’exercent.

  1. De l’usage des classes sociales : cadrage théorique

Parce qu’il nous semble qu’une partie des difficultés soulevées par la référence au passé ouvrier de l’éducation permanente résulte d’ambiguïtés analytiques, il est important de présenter d’emblée l’approche sociologique que nous mobilisons lorsque nous parlons de classe sociale et, plus particulièrement, de classe ouvrière. La classe sociale est certainement l’un des concepts en sciences sociales les plus polysémiques et les plus discutés. Nous assumons toutefois un point de départ qui n’est pas de remettre en question la pertinence même d’une analyse de la société en termes de classe sociale, mais de réfléchir à comment nous pouvons comprendre le monde social à partir de cette catégorie centrale et ce qu’elle donne à voir.

 

Commençons d’abord par préciser l’approche que nous écartons. Nous ne nous inscrivons pas dans celle qui consiste à étudier la classe sociale comme un ensemble de propriétés individuelles déterminées par des conditions de vie, bien qu’il s’agisse d’un usage assez familier et dominant dans les débats publics[6]. Sa logique est simple mais puissante : les individus sont dotés d’attributs sociaux qui influencent et expliquent une diversité de phénomènes sociaux, comme par exemple l’accès à la santé et à l’éducation, les attitudes politiques ou les pratiques culturelles. Selon les indicateurs choisis (le diplôme, le revenu, la consommation, le logement, etc.), on peut positionner les individus dans la hiérarchie sociale, les classes sociales étant alors considérées littéralement comme des strates, sans que ne soient qualifiées la nature des rapports sociaux qui les relient entre elles, si ce n’est celui d’une inégalité de distribution des ressources. Bien que cette approche stratificationniste ait un réel intérêt, permettant d’étudier finement la structure de classe d’une société donnée, elle tend à vider le concept de classe sociale de sa dimension relationnelle. Or, celle-ci est pourtant fondamentale dès lors que nous considérons la classe sociale non pas comme une catégorie mais comme relevant d’un processus politique et historique émergeant des rapports de production caractérisés par de la domination et de l’exploitation. Nous nous inscrivons ainsi dans la continuité de l’historien marxiste Edward P. Thompson qui propose d’étudier la classe sociale en tant que formation (making) :

Les sociologues qui ont arrêté la machine à remonter le temps et qui, au prix d’un lourd labeur conceptuel, sont descendus voir dans la salle des machines, nous disent qu’ils n’ont pu nulle part localiser et répertorier une classe. Ils ne trouvent qu’une multitude de gens aux professions, revenus, statuts différents. Ils ont bien sûr raison puisque le terme de classe ne renvoie pas à telle ou telle pièce de la machine, mais à la façon dont celle-ci fonctionne une fois en marche (non pas à tel ou tel intérêt mais au conflit des intérêts), au mouvement lui-même, à la chaleur, au vacarme. Une classe est une formation sociale et culturelle (trouvant souvent une expression institutionnelle) que l’on ne peut définir dans l’abstrait ou isolément mais seulement dans ses relations avec d’autres classes ; et finalement, la définition ne peut s’élaborer qu’en fonction de la dimension temporelle, c’est-à-dire en termes d’action et de réaction, de changement et de conflit. Quand nous parlons d’une classe, nous avons à l’esprit une catégorie de population définie de manière très vague, de gens qui partagent le même ensemble d’intérêts, d’expériences sociales, de traditions et le même système de valeurs (…). Mais une classe en elle-même n’est pas une chose. Elle advient[7].

Thompson s’oppose à l’idée selon laquelle une classe sociale pourrait être une catégorie à objectiver et à mesurer pour privilégier une approche qui met au centre la dimension subjective. La formation de la classe ouvrière, dans ce sens, constitue de manière élémentaire un processus permanent à travers lequel les membres de cette classe en viennent à penser et à agir d’une façon classiste, à partir d’une prise en charge consciente de leurs expériences des déterminations :

Les classes n’existent pas comme entités séparées, qui regardent autour d’elles, découvrent une classe ennemie et commencent ensuite à lutter. Au contraire, les personnes se trouvent dans une société structurée de manière déterminée (essentiellement, mais non exclusivement, dans les relations de production), expérimentent l’exploitation (ou la nécessité de garder le pouvoir sur les exploités), identifient des intérêts antagonistes, commencent à lutter pour ces enjeux et dans le processus de la lutte se découvrent comme classe, et en viennent à connaître cette découverte en tant que conscience de classe. La classe et la conscience de classe sont toujours les dernières et non les premières phases du processus historique réel[8].

Ces rapports d’exploitation et les formes concrètes de subjectivités qui en émergent varient dans le temps et dans l’espace et s’incarnent dans des organisations singulières, selon leur imbrication avec des mouvements (sociaux, religieux, politiques) et des traditions préexistantes. Ancrer de la sorte la production de subjectivités de classes permet d’éviter l’écueil encore souvent présent lorsque l’on pense la classe sociale comme un acteur collectif, ayant pris conscience de ses « intérêts », et agissant en fonction de ceux-ci. Concevoir la classe ouvrière comme un acteur collectif ne signifie pas en faire une entité personnifiée (« la » classe ouvrière) dotée d’une volonté propre et cohérente. Cette personnification abusive de l’acteur collectif tend à ignorer dans l’analyse le mouvement réel de formation de classe, qui s’observe pourtant historiquement dans l’accumulation très concrète de faits sociaux presqu’ordinaires ayant un caractère de classe et qui, à long terme, en viennent à constituer des processus plus larges. Surtout, pour Edward P. Thompson, la personnification de la classe ouvrière autorise le raisonnement selon lequel « il devient possible de déduire la conscience de classe « qu’elle » [la classe ouvrière] devrait avoir (mais possède en fait rarement) si « elle » avait une conscience juste de sa situation et de ses intérêts réels (…) »[9]. Cette assomption essentialiste est encore très présente dans les débats sur la formation de la classe considérée comme le passage de la « classe-en-soi » à la « classe-pour-soi »[10]. Dans ce type de raisonnement, les chercheurs présupposent la conscience de classe (ou la conscience politique) que devrait nécessairement avoir la classe ouvrière de par sa position dans les rapports de classe. Il en résulte que l’on peut inférer de la structure de classe les idées et les organisations de la classe ouvrière, comme le fait que les ouvriers voteraient naturellement pour les partis socialistes, voire qu’ils seraient disposés à développer une conscience de classe révolutionnaire (ou, à l’inverse, réactionnaire). À l’inverse, d’après cette perspective, toutes les idées qui s’éloigneraient des « intérêts réels » de la classe ouvrière ne pourraient être rendues intelligibles que par la notion de fausse conscience. Bien que cette expression ne soit plus vraiment utilisée aujourd’hui, le raisonnement logique qui s’y trouve nous semble, lui, omniprésent. Il consiste à taxer d’ignorance, d’illusion ou d’irrationalité tout comportement supposé contraire aux intérêts de classe présupposés.

L’approche par la formation de la classe ouvrière chez Thompson s’oppose à ce raisonnement : au lieu de définir à l’avance la « vraie » conscience de classe de la classe ouvrière et d’aller observer si elle existe dans le monde réel, il s’agit d’étudier empiriquement les formes de consciences de classe fragmentées, partielles, et contradictoires, qui émergent dans un contexte historique donné et de les comprendre par l’analyse des phénomènes politiques et des mouvements sociaux. Ces formes de conscience de classe s’incarnant dans les organisations culturelles, politiques, sociales issues de la classe ouvrière, l’approche d’Edward P. Thompson ouvre à l’étude de leur développement.

  1. Un mouvement d’institutionnalisation

2.1. De la formation de « mondes ouvriers » …

La période allant de la fin du XIXème au début du XXème (1880-1914) est particulièrement effervescente pour la formation de la classe ouvrière belge. Une constellation d’organisations se développent et jouent un rôle central dans la constitution de deux mouvements ouvriers distincts, le mouvement socialiste et le mouvement ouvrier chrétien, et dans leur conquête du pouvoir politique. Ce sont les caisses de secours mutuels qui interviennent pour compenser la perte de revenu occasionnée par la maladie, le chômage ou la vieillesse, mais qui peuvent aussi se transformer en caisses de résistance en cas de grève ; ce sont les sections syndicales, les sociétés coopératives de production et de consommation, les maisons du peuple et leurs infrastructures polyvalentes ; ce sont également les premières initiatives d’éducation populaire et d’instruction ouvrière qui émergent, avec les cercles d’études sociales, les semaines syndicales, les bibliothèques ouvrières, les écoles ouvrières supérieures et les universités populaires, etc[11].

Les relations entre ces organisations et les partis politiques sont très enchevêtrées. Le Parti ouvrier belge (POB), créé en 1885, en est l’émanation directe, tandis que l’aggiornamento ouvriériste du Parti catholique à la suite de la publication du Rerum Novarum[12] en 1891 se construit par l’intermédiaire de ses organisations implantées dans les milieux ouvriers. La situation de rivalité entre les deux mouvements contribue, en retour, à la dynamique foisonnante menant à la création de deux véritables « mondes ouvriers » au sein de la société capitaliste. Ces organisations assurent deux fonctions essentielles pour la formation de la classe ouvrière. Premièrement, elles constituent des lieux de rassemblement des travailleurs une fois la journée à l’usine finie. Marcel Liebman caractérise ainsi la coopérative socialiste comme pouvant être tout à la fois :

Centre d’agitation aux jours de grève, lorsque s’exprime leur colère et se prépare leur riposte ; foyer où, dans des circonstances moins agitées, s’ébauche une convivialité socialiste ; taverne – bien qu’on y proscrive souvent les boissons alcoolisées – et local de jeu et de discussions, de distractions, de détente et d’échanges pour des travailleurs libérés pour un temps – une soirée, une heure parfois – de la contrainte, du bruit, de la discipline, de la fatigue, de l’enfermement des fabriques[13].

Créant les conditions de possibilité de rencontres physiques entre travailleuses et travailleurs, ces organisations participent, à l’extérieur de l’usine, de la production d’un sentiment d’appartenance à une même classe sociale. Elles peuvent, à l’occasion, être le support d’expériences d’auto-organisation et de pratiques collectives de solidarité. Deuxièmement, ces organisations sont essentielles au travail d’articulation d’éléments de la conscience de classe des travailleurs avec les fondements politiques et programmatiques des mouvements socialistes et chrétiens. Elles assurent, en ce sens, une fonction de ralliement idéologique, disciplinant les ouvriers les plus radicaux et fidélisant une future base électorale alors que la conquête du suffrage universel et donc de l’accès de la classe ouvrière au parlement va être au centre des revendications de cette époque. Au sein du mouvement ouvrier chrétien, cette fonction d’articulation est explicitement énoncée dans les objectifs de l’éducation ouvrière, comme en témoigne cet extrait du règlement d’un cercle d’études sociales créé en 1893 et animé par des prêtres et des intellectuels du mouvement :

Son but est d’initier les ouvriers et les jeunes gens de la région à l’étude des questions sociales, en soumettant à un sérieux examen les questions qui, directement ou indirectement, intéressent la classe ouvrière, de former des défenseurs intelligents des intérêts ouvriers, capables de propager, chacun dans sa sphère, par la parole et par la plume, les idées rénovatrices chrétiennes, imprimer ainsi à toutes les œuvres ouvrières du Centre une direction pratique et uniforme (…)[14].

Proto-forme d’« université d’été » ouvrière, les semaines syndicales créées dès 1908 sont également à la fois dédiées à l’organisation pratique des syndicats et à la diffusion des objectifs de prédication pour assurer la cohérence et l’unification idéologique de la doctrine sociale chrétienne auprès des militant.e.s. Le premier but de la semaine syndicale est expliqué de la manière suivante :

1° Instruire tous les propagandistes et les dirigeants ouvriers locaux de la manière de voir des grands organismes directeurs du Mouvement ouvrier chrétien au sujet des questions qui se posent actuellement. Il importe, en effet, de mettre les différentes régions d’accord sur l’application des principes immuables aux circonstances qui changent d’une année à l’autre[15].

Le mouvement socialiste, quant à lui, se confond à l’origine avec son réseau de coopératives, auxquelles va s’annexer le « monde socialiste » des Maisons du Peuple, des organisations culturelles et sportives, des centres d’art dramatique, des locaux de jeu et de discussions, formant une « véritable réplique aux institutions où s’étalent l’orgueil et la puissance de la bourgeoisie »[16]. Il faut adhérer obligatoirement au POB pour être membre d’une coopérative socialiste, et c’est celle-ci qui prend en charge le paiement de l’affiliation au parti[17]. La conception des coopératives comme moyen pour développer le socialisme est revendiquée par les cadres du parti, comme les députés Jules Destrée et Emile Vandervelde qui expliquent, en 1898 : « De même qu’il y a des curés, dans chaque village, pour la diffusion des idées catholiques, de même il y a des employés des coopératives, dans chaque centre industriel, pour la propagation des principes socialistes »[18]. Plus encore :

Les coopératives avec leurs « Maisons du Peuple », c’est le lieu vivant, la matérialisation, l’incrustation de la nouvelle société prolétarienne : marginale et exploitée, en système capitaliste, écrasée encore mais déjà en éveil et dont le coude-à-coude, l’attablement, sous l’égide pour ainsi dire du socialisme, entretient l’espoir de la liberté future, du pouvoir à conquérir[19].

Cette vision élogieuse du caractère politique des coopératives est toutefois à nuancer en considérant la nature alors particulière du mouvement socialiste émergeant. Si le mouvement ouvrier chrétien est marqué par une doctrine politique plus clairement définie, ce n’est pas forcément le cas du mouvement socialiste. Selon Marcel Liebman, le mouvement socialiste, à ses débuts, a en réalité peu d’ambition de nature doctrinale et se soucie fort peu d’éducation ouvrière à proprement parler[20]. Les premières formations destinées à l’éducation ouvrière, tout comme certains journaux socialistes, sont orientées à des fins pratiques. On y diffuse plus d’informations d’ordre hygiéniste et administratif qu’on n’y entrevoit une volonté de politisation des ouvriers. Dans les Maisons du Peuple, la dimension éducative et émancipatrice n’est pas toujours au centre des préoccupations des activités proposées. Un dirigeant socialiste évoque à charge de la coopérative « Vooruit » de Gand la piètre qualité éducative de sa programmation cinéma : « Les titres de films projetés ne paraissent pas révéler, de la part des responsables de la coopérative, un intellectualisme excessif ni un souci immodéré d’éducation socialiste : Un bébé qui vous met dans l’embarras, le Chapeau de ma femme, Les Bottes, Le Premier Vélo de Robinet, etc. »[21]. De cette manière, le socialisme belge de cette époque, loin de l’idée que l’on peut se faire du POB comme l’ancêtre combatif du parti socialiste actuel, se caractérise profondément et paradoxalement par son apolitisme duquel il tire ses contradictions internes :

Un syndicalisme à la traîne du politique, une politique souvent dominée par le poids des préoccupations matérielles et immédiates du mouvement coopératif. Voilà qui donne au socialisme belge sa coloration particulière et, au Parti ouvrier, son caractère profondément pragmatique. Ce pragmatisme n’est pas à proprement parler le réformisme. C’est le réformisme, la conscience en moins. Mais, comme, dans un environnement capitaliste, le développement d’une option révolutionnaire ne se passe pas d’un effort de théorisation, le pragmatisme, au contraire, nourrit un réformisme pratique et en quelque sorte instinctif (…) Ce pragmatisme, ce n’est pas le souci de revendications matérielles visant à l’amélioration rapide de la condition ouvrière, c’est le souci exclusif d’une telle amélioration, en dehors d’une stratégie globale sur laquelle il s’articule[22].

 

C’est probablement en réaction à cet apolitisme que d’autres voix du parti travailleront à mettre en place des initiatives d’éducation ouvrière plus abouties, comme c’est le cas avec la création de la Centrale d’éducation ouvrière en 1911 – ancêtre de Présence et Action Culturelles (le PAC) – qui entend visiblement combler l’absence d’une théorie politique et dont le but est « d’organiser et de coordonner l’activité de toutes les œuvres d’éducation ouvrière et de procurer aux travailleurs les connaissances et les qualités qui les mettent en état de mener la lutte pour leur émancipation comme classe dans tous les domaines »[23].

Notre recherche témoigne finalement de conceptions variées de l’éducation populaire durant cette période. Au terme de celle-ci, les principales organisations ouvrières constitutives du paysage de l’éducation populaire sont fondées et prennent la forme des piliers associatifs qui constitueront le paysage associatif de la période suivante. L’éclatement des piliers dans une diversité d’organisations relativement autonomes (mouvements de jeunes, mouvements de femmes, syndicats, mutuelles, instituts d’études, etc.) favorise l’existence en interne de visées plus ou moins militantes de l’éducation ouvrière. Au sein des deux mouvements ouvriers, les initiatives d’éducation à destination de la classe ouvrière sont tantôt empreintes de moralisme – il s’agit de détourner les ouvriers de la consommation d’alcool, de restaurer la famille comme pierre angulaire de la société catholique, d’instruire la femme ouvrière par des formations ménagères –, tantôt d’une conception paternaliste de la culture – l’éducation ouvrière passant par un meilleur accès à la culture dominante par des aides financières et un travail de vulgarisation[24] –, tantôt encore par des préoccupations liées aux loisirs afin d’occuper les ouvriers pendant le temps libéré par la réduction du temps de travail. Il y a cependant une fonction de l’éducation populaire qui domine compte tenu du caractère alors en pleine formation du mouvement ouvrier : les mouvements socialistes et catholiques ont besoin de former des cadres et des militants pour se développer dans la société. Ces mouvements, bien qu’empreints de réformisme, ont pour objectif d’accroître le pouvoir de la classe ouvrière et d’imposer un projet de société de classe autonome qui ne se superpose pas à celui de la bourgeoisie. Pour cela, ce sont des intellectuels de classe qu’il faut former, c’est-à-dire, au sens de Gramsci, des intellectuels qui sont liés « organiquement » à leur propre perspective de classe et qui vont épouser un rôle de direction du mouvement et d’organisation politique[25]. Et c’est justement cette fonction de formation politique des militants qui sera proscrite par l’État dans la loi Destrée de 1921. Assurant les « subsides aux œuvres complémentaires de l’école », la loi subsidie pour la première fois des initiatives d’instruction ouvrière et d’éducation populaire. La loi conçoit l’action éducative comme un complément d’instruction générale, scientifique et artistique, des milieux populaires rendue possible par la diminution des heures de travail. Comme le soulignent Fourneau et Scohier, la création en 1929 du Conseil supérieur de l’éducation populaire, sous un gouvernement de coalition chrétienne-libérale, s’inscrit dans la même orientation, les objectifs étant de « promouvoir tout ce qui a pour objet de procurer aux travailleurs le moyen de faire un emploi utile et moral de leurs loisirs »[26]. Une série d’organisations sont toutefois exclues de cette loi : les conditions de subventionnement excluent celles ayant pour but toute propagande politique ou religieuse. Face à ce qui ressemble à une répression des initiatives militantes d’éducation ouvrière par l’État, le mouvement socialiste préfère subsidier lui-même une part importante de la formation de ses membres pour s’assurer de son autonomie idéologique. Notamment, l’École Ouvrière Supérieure d’Uccle qui ouvre en 1921 sera subventionnée par les organisations rattachées au mouvement[27].

2.2. …à leur intégration dans l’État belge

Les organisations ouvrières formant des mondes ouvriers vivant presqu’en parallèle des institutions de la bourgeoisie vont connaître, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, un mouvement d’institutionnalisation inédit révélant une transformation de la nature du pouvoir de l’État et des dynamiques de classe en Belgique. Ce mouvement s’inscrit dans la mise en place, comme dans la plupart des pays européens du bloc de l’Ouest, d’un compromis historique entre le capital et le travail, qu’Éric Hobsbawm décrit de la manière suivante :

Ce mélange [keynésien] (…) était une construction politique. Il reposait sur un consensus de fait entre la gauche et la droite dans la plupart des pays « occidentaux » – l’extrême droite fasciste et ultra-nationaliste ayant été éliminée de la scène politique par la Seconde Guerre mondiale, et l’extrême gauche communiste par la guerre froide. Il reposait aussi sur le consensus tacite ou explicite du patronat et des organisations syndicales pour contenir les revendications de la main-d’œuvre dans des limites qui ne mangeaient pas les profits et leur ménageaient des perspectives assez élevées pour justifier les investissements considérables sans lesquels la croissance spectaculaire de la productivité du travail au cours de l’Âge d’or n’eût jamais été possible (…).

Il s’agissait (…) d’un accord acceptable par toutes les parties. Le patronat, qui ne voyait guère d’inconvénients à des hauts salaires durant une longue période d’expansion assortie de profits élevés, se félicitait de la prévisibilité qui rendait plus facile la planification. La main-d’œuvre bénéficiait d’augmentations régulières des salaires et d’avantages secondaires, ainsi que d’un État-providence qui croissait régulièrement et se montrait toujours plus généreux. Quant au gouvernement, cet accord lui assurait la stabilité politique, un affaiblissement des Partis communistes (sauf en Italie) et des conditions de gestion prévisibles pour la politique macro-économique que tous les États pratiquaient désormais[28].

Ce compromis historique se fonda ainsi d’une part sur une alliance politique large écartant de fait la menace communiste et, d’autre part, sur un ensemble de mesures sociales et économiques de type keynésien et redistributif, qui permirent, pour un temps, de contenir les conflits sociaux. Les fondements socio-économiques de ce compromis vont se concrétiser dans la réforme majeure en Belgique du « Projet d’accord de solidarité sociale » ou « Pacte social », donnant lieu à l’arrêté royal du 28 décembre 1944 instaurant le régime de la sécurité sociale. Les organisations des mouvements ouvriers chrétiens et socialistes vont être intégrées à la réforme. Si un organisme de centralisation des cotisations, l’Office National de Sécurité Sociale (ONSS), est créé, c’est aux organisations préexistantes que revient la charge de s’assurer des paiements auprès des ayants droits. Les caisses de chômage et les mutualités qui s’étaient développées dans les « mondes ouvriers » vont dorénavant se charger respectivement des paiements auprès de l’assurance-chômage et de l’assurance-invalidité[29].

Les initiatives d’éducation populaire s’étant développées dans ces mouvements sont également mobilisées dans la construction de la société du Pacte social. Particulièrement, les organisations syndicales, la FGTB et la CSC, deviennent des actrices majeures de l’éducation des travailleurs, en même temps qu’elles deviennent des organisations reconnues, de masse, de plus en plus intégrées dans l’organisation de la société belge. Le pacte social consolide un système d’organes de concertation sociale à l’échelle de l’entreprise, du secteur d’activité et à échelle nationale, servant de terrain de rencontre entre syndicats et employeurs dans les matières sociales, économiques, et de bien-être au travail. La mise en place de cet ensemble d’organes, et la complexité des matières qui y sont traitées, vont nécessiter la formation d’un nouveau type d’intellectuel de classe :

Après la seconde guerre, le besoin de formation des travailleurs s’amplifie de façon notable. Le faisceau des activités d’éducation populaire s’élargit considérablement. Le développement des organes prévus par le Projet d’accord de solidarité sociale de 1944 (délégations syndicales, conseils d’entreprises et comités de sécurité et d’hygiène) nécessite des représentants qualifiés. Les organisations syndicales développent leurs cours de formation à leur intention mais sans aides publiques spécifiques. La Déclaration commune sur la productivité de 1954 donne une impulsion nouvelle à la formation des travailleurs et spécialement à la formation syndicale. L’Office belge pour l’accroissement de la productivité–OBAP finance dès 1956 des programmes de formation de techniciens syndicaux de productivité axés sur les problèmes de l’entreprise mais abordant également le domaine des activités syndicales[30].

 

L’éducation populaire assure donc la formation des travailleurs qui obtiennent un mandat syndical dans les organes de concertation et de négociation. Elle se développe pour répondre aux besoins urgents de professionnalisation et vise « le perfectionnement des connaissances économiques, sociales et techniques des délégués dans leur rôle de représentants des travailleurs »[31]. C’est donc dans ce paradigme fordiste que la formation syndicale des travailleurs prend un nouvel élan et que s’élaborent une hiérarchisation des savoirs et des expertises techniques requises. Surtout, c’est au sein de ces organismes que les représentants des travailleurs vont progressivement intérioriser une injonction à la concertation sociale et penser les luttes sociales du travail à travers ce cadre cognitif.

La reconnaissance par l’État des organisations syndicales afin qu’elles puissent dispenser des formations est actée dans l’accord interprofessionnel de 1971 instaurant l’octroi d’un crédit-temps pour la formation syndicale. Afin que les délégué·es des travailleurs puissent exercer le rôle qui leur a été imparti dans les conseils d’entreprise, les comités de sécurité et d’hygiène et les délégations syndicales, il est convenu que ceux et celles-ci puissent se former sur leur temps de travail et sans perte de salaire. Parallèlement à la formation syndicale destinée aux délégué·es des travailleurs, les organisations syndicales offrent la possibilité aux travailleuses et travailleurs de suivre des cours du soir ou par correspondance[32]. Le droit à la formation des travailleurs devient une revendication importante des organisations syndicales. La FGTB et la CSC élaborent un projet de loi en 1970 qui donne lieu, trois ans plus tard, à la loi Glinne. Cette loi établit un système de crédits d’heures qui accorde aux travailleurs un congé pour suivre une formation sans perte de salaire dans une logique de promotion sociale. Cette logique se généralisera à tous type de formation (y compris les formations universitaires) avec la loi de 1985 qui introduit le système de congé-éducation qui sera ensuite limité par les restrictions budgétaires des gouvernements suivants. Cette revendication s’inscrit dans une conception non marchande de la formation et d’accès non seulement à des qualifications professionnelles – comme le patronat tend à vouloir l’imposer –, mais aussi à des connaissances plus générales, y compris celles en relation avec l’action militante[33]. Ces différentes initiatives syndicales en matière de formation, auxquelles on peut encore ajouter les collectifs alpha et les extensions universitaires, témoignent ainsi de l’importance nouvelle des moyens mis à disposition des syndicats pour encadrer la vie intellectuelle des travailleuses et travailleurs.

L’arrêté royal de 1971 et, surtout, le décret de 1976, fixant « les conditions de reconnaissance et d’octroi de subvention aux organisations d’éducation permanente des adultes en général et aux organisations de promotion socioculturelles des travailleurs », s’inscrivent dans un processus comparable d’arrimage des organisations ouvrières à l’État en même temps qu’ils constituent l’aboutissement du mouvement d’institutionnalisation de l’éducation populaire.

C’est en effet en subventionnant des organisations ouvrières préexistantes que la Communauté française se dote d’une politique en matières socioculturelles et d’éducation permanente. Bien que ce mouvement de subsidiation participe de l’augmentation des organisations socioculturelles qui ne sont pas issues du mouvement ouvrier, ce sont celles-ci qui forment la base du réseau associatif dense toujours caractéristique de la société civile belge d’aujourd’hui. Contrairement à la loi de 1921 qui exclut de la politique de subsidiation les associations soupçonnées de faire de la propagande politique, les centres d’éducation permanente des partis et des organisations sont cette fois reconnus par les pouvoirs subsidiants. Des personnalités du mouvement ouvrier sont de plus directement impliquées dans la rédaction du décret. Le sociologue Georges Liénard, engagé dans le mouvement ouvrier chrétien, en est un des acteurs principaux. Dans un article paru en 1977[34], il revient sur la conception politique du décret, forgée dans le prolongement du mouvement ouvrier et probablement stimulée par l’esprit de mai 68. Fusulier et al. mettent en avant quatre dimensions qui en ressortent :

  • la définition de l’action culturelle comme étant basée sur les intérêts des travailleurs en vue d’agir sur la société pour contrer les inégalités structurelles ;
  • la dimension collective dans la mesure où l’action culturelle n’y est pas définie par rapport au perfectionnement et à la promotion individuels ou à une élite (dominante ou dominée) mais bien par rapport au développement collectif du groupe ;
  • « le principe de discrimination positive » qui attribue plus de moyens aux actions concernant le milieu populaire (Chapitre II du décret), dont l’objectif est de donner « aux mouvements des travailleurs les moyens financiers, donc humains et matériels nécessaires à une action culturelle de masse et de classe » (p. 142) ;
  • « l’unification solidaire des travailleurs » (p. 142)[35].

En ce sens, le décret de 1976 va jusqu’à reconnaître la conception militante de l’éducation populaire issue des mouvements ouvriers et son intérêt dans une logique de compromis social. Si les intellectuels du mouvement ouvrier comme Liénard, attachés à la tradition la plus militante de l’éducation populaire issue des expériences passées, investissent ainsi la reconnaissance du secteur de l’éducation permanente d’une certaine radicalité, défendant un trait distinctif de classe dans l’éducation des travailleurs, la suite présage toutefois le mouvement d’absorption d’une telle conception.

Il ne faut pas attendre longtemps pour que celle-ci soit remise en question et que la figure même du travailleur soit écartée dans les textes décrétaux. Alors que les travailleuses et travailleurs sont le public cible identifié dans le décret de 1976, ils disparaissent totalement dans la réforme du décret de 2003, pour être remplacés par des milieux populaires définis comme des individus vivant dans des situations de précarité sociale ou de pauvreté, impliquant, de fait, une manière différente de concevoir l’action politique et l’émancipation de ces groupes sociaux[36]. Cette évolution est à analyser selon nous à la lumière des effets ambivalents de l’intégration des organisations ouvrières à l’État.

  1. L’ambivalence constitutive du régime hégémonique

En même temps que le processus de reconnaissance des organisations ouvrières par l’État donne des possibilités inédites de développement des associations des travailleurs, par la mise à disposition de moyens financiers et humains qui garantissent l’existence pérenne de structures et assurent les conditions de possibilité d’un encadrement permanent, on assiste à une perte d’autonomie de ces mêmes associations. Afin d’appréhender cette ambivalence constitutive du secteur de l’éducation permanente, le triptyque formé par l’État, la société civile et le lieu de production est à penser comme constitutif d’un même mouvement d’ensemble.

Dans la théorie de Gramsci, l’hégémonie de la classe au pouvoir renforce sa légitimité et sa position de direction et de domination sur l’autre classe par deux mécanismes en équilibre : d’un côté, la coercition, l’usage de la force physique ou de la contrainte pour réprimer la contestation ; de l’autre côté, le consentement, qui produit l’adhésion, passive ou active, des masses au projet de société de la classe dominante. Bien que la notion de consentement ait été souvent interprétée à travers une grille de lecture culturaliste, elle ne se réduit pas aux seuls éléments idéologiques ou culturels. Comme l’explique Razmig Keucheyan, « exercer une hégémonie sur un groupe suppose de prendre en considération et même d’assouvir, dans une certaine mesure, ses intérêts matériels »[37]. Autrement dit, le consentement s’opère dans l’organisation même de larges pans de l’existence de la classe dominée dans une société donnée, à travers laquelle l’hégémonie de la classe dominante peut s’étendre. Or, ce qui particularise le capitalisme avancé selon Gramsci est la montée en puissance de la société civile qui organise l’adhésion à la domination. Il désigne par « société civile » l’ensemble d’organisations et de mouvements comme les associations civiles, les syndicats, les écoles, les médias et les institutions culturelles au sens large. Tout en bénéficiant de droits autonomes comme la liberté d’expression et d’association, ces organisations sont contraintes par les limites fixées par l’hégémonie de la classe dominante. Comme le souligne Michael Burawoy :

Les « tranchées de la société civile » organisent selon lui [Gramsci] efficacement le consentement à la domination en absorbant la participation des classes subalternes, ouvrant ainsi un espace pour des activités politiques, mais seulement dans les limites imposées par le capitalisme. La participation aux élections, le travail dans les corps de métier, la scolarisation, la pratique religieuse et la lecture de journaux ont pour effet de canaliser la contestation dans des activités encadrées par des organisations se disputant l’attention de l’État[38].

 

Selon Sébastien Antoine, cette interpénétration croissante des organisations de la société civile et de la société politique dans l’État est précisément le processus qui est à l’œuvre dans la mise en place de la réforme du Pacte social[39]. L’absorption des principales organisations des mouvements socialistes et chrétiens dans le fonctionnement de l’État met en tension ces mouvements entre le rôle émancipateur qu’ils se donnent et leur intégration dans l’hégémonie de la classe dirigeante. Ce même processus est à l’œuvre dans l’absorption des organisations d’éducation populaire dans le secteur de l’éducation permanente. Le référentiel de l’émancipation des travailleurs qui émerge de cette période en rend compte selon nous de manière très concrète. Contrairement à la période précédente où l’on observe que la classe ouvrière est porteuse d’un projet de classe autonome à travers le développement de ses mouvements, il se construit dans cette période une conception de l’émancipation hétéronome, subordonnée à la classe dirigeante et qui scelle son destin politique dans les limites de l’hégémonie imposée. Le régime de concertation et de négociation sociale qui se met en place dès 1945 en est l’expression la plus claire, rendant possible la participation des travailleurs à la démocratique économique et, par-là, une amélioration réelle de leurs conditions de travail et d’existence, tout en écartant des objets de luttes les questions de propriété privée et d’organisation de la production. Une manière particulière de penser la question du travail en découle alors et va finir par s’imposer. On peut, fondamentalement, la caractériser par le projet de la société salariale telle que Robert Castel l’a définie, c’est-à-dire le développement des protections associées à la condition salariale et de la « propriété sociale » par l’extension des services publics et de la sécurité sociale[40].

Ce processus d’absorption accomplit en réalité un double mouvement idéologique. D’une part, pour plusieurs générations d’intellectuels du mouvement ouvrier – dont font partie ou que rencontrent les intellectuels de l’éducation permanente –, l’idée même qu’une extension des droits économiques et culturels est possible dans une économie capitaliste dont les structures restent inchangées devient l’horizon politique de référence allant de soi. Ce sont des subjectivités politiques et des manières de penser l’émancipation, qui s’expriment dans une certaine conception de la justice de classe et dans des attentes envers l’économie et le rôle redistributif de l’État, qui sont ainsi durablement façonnées par cet horizon. D’autre part, cela a eu pour corollaire que les autres options politiques pour la classe ouvrière ont été balayées du répertoire d’émancipation et des actions collectives. On assiste en effet au même moment à un processus de pacification des rapports de classe dans la société. Ainsi, le syndicalisme d’action directe disparaît au profit du syndicalisme de concertation, les mobilisations sociales se pacifient – mis à part l’épisode insurrectionnel de la grève de 60-61 – et les coalitions sociales-démocrates balaient l’hypothèse communiste, le Parti communiste belge disparaissant simplement de l’échiquier politique[41].

La nature ambivalente de ce référentiel d’émancipation est davantage encore mise en lumière si on tient compte des transformations opérant sur les lieux de production. La société du compromis social coïncide en effet avec la constitution d’un régime de production que nous présenterons ici de manière idéal-typique en mobilisant les travaux du sociologue Michael Burawoy. En appliquant la théorie gramscienne de l’hégémonie à l’usine, il observe qu’un nouveau régime de production se déploie dans la période allant de 1945 à 1975. Contrairement à la période précédente où l’effort des travailleurs et l’extraction de la plus-value sont assurés principalement par la coercition du travail par le capital (absence de protection au travail et de droits syndicaux, reproduction de la force de travail qui dépend directement du travail fourni), ils sont cette fois garantis par le consentement des travailleurs et dans une moindre mesure par l’usage de la coercition. Selon Burawoy, le consentement est organisé à l’extérieur de l’usine par la sécurité sociale et la législation du travail, et à l’intérieur de l’usine par la création d’un « marché interne » – assurant la stabilisation de la main d’œuvre dans l’entreprise en offrant un système de promotion sociale par ancienneté – et d’un « État interne », soit l’« ensemble d’institutions qui organise, transforme ou réprime les luttes concernant les relations de production et les rapports de production à l’échelle de l’entreprise »[42]. Nous pourrions ainsi dire que la société civile est directement impliquée dans l’organisation du consentement à l’extérieur comme à l’intérieur de l’usine, puisque certaines associations se chargent de la sécurité sociale et que c’est aux associations d’éducation permanente que revient la tâche de former les travailleurs exerçant un mandat de représentants au sein de l’État interne.

L’État interne, en tant que modèle de gouvernance, implique un processus subjectif d’intégration des travailleuses et des travailleurs dans l’usine et façonne des « citoyen·nes industriel·les » doté.es de droits et de devoirs :

La vie quotidienne passée sous la surveillance de l’État interne intègre le travailleur à un processus politique et le transforme en un citoyen industriel doté de droits et de devoirs précisés dans le contrat de travail, auxquels s’ajoute un engagement par « contrat social ». Plus difficile à cerner, ce dernier est constitué d’un ensemble d’avantages liés à l’ancienneté – système progressif de pensions de retraites et d’indemnités de chômage, priorité de maintien dans l’emploi en cas de licenciements – et de mécanismes de recours internes conçus pour garantir l’égalité de traitement entre salariés, et donc la « justice industrielle ». Le syndicat sert alors d’arbitre, en protégeant les droits des citoyens industriels, et en contrôlant les sanctions prises à l’encontre des travailleurs qui ne respectent pas le contrat[43].

Fondamentalement, une tension est au cœur de ce régime de production. L’État interne s’expose du moins théoriquement à la lutte des classes puisqu’il reconnaît les antagonismes d’intérêt par l’institutionnalisation des organisations de défense des revendications des travailleurs, rendant ainsi le contre-pouvoir de la classe ouvrière plus puissant dans l’entreprise. En même temps, les institutions du marché interne et de l’État interne désamorcent les conflits de classe, parfois au profit de conflits entre travailleurs pour l’obtention de postes sur le marché interne. Surtout, les travailleurs développent un intérêt à l’accroissement de la productivité puisqu’est assurée une transformation partielle des profits en augmentation salariale. Les ouvriers tendent, par conséquent, à développer le sentiment d’avoir un intérêt commun avec l’entreprise. Ce qui sera profondément dangereux lorsque le moment de l’épreuve de force arrivera – mais à l’initiative de la bourgeoisie.

  1. Un régime de despotisme hégémonique

Si ce régime hégémonique est typique de l’organisation de la production de 1945 à 1975, le processus massif de restructurations industrielles dans les pays du capitalisme avancé, pouvant être appréhendé comme un processus de contournement du régime de production hégémonique par l’installation d’usines en périphérie, produit l’essor d’un nouveau régime de production, un nouveau despotisme basé sur les fondations politiques et idéologiques du régime hégémonique :

Le nouveau despotisme est fondé sur le régime hégémonique qu’il remplace. Il s’agit en fait d’un despotisme hégémonique. Les intérêts du capital et du travail continuent à être concrètement coordonnés, mais là où le travail se voyait auparavant accorder des concessions sur la base de l’expansion des profits, il fait maintenant des concessions sur la base de la relativité d’un capitaliste par rapport à un autre – c’est-à-dire les coûts d’opportunité du capital. Le point principal de référence n’est plus le succès de l’entreprise d’une année à l’autre, mais le taux de profit qui pourrait être réalisé ailleurs. Dans les entreprises qui perdent des bénéfices, les travailleurs sont obligés de choisir entre des réductions de salaire (…) et la perte d’emplois. Le nouveau despotisme n’est pas la résurrection de l’ancien ; ce n’est pas la tyrannie arbitraire du contremaître sur les travailleurs individuels (bien que cela arrive aussi). Le nouveau despotisme est la tyrannie « rationnelle » de la mobilité du capital sur le travailleur collectif. La reproduction de la force de travail est à nouveau liée au processus de production, mais, plutôt que par l’individu, la liaison se fait au niveau de l’entreprise, de la région ou même de l’État-nation. La crainte d’être licencié est remplacée par la crainte de la fuite des capitaux, de la fermeture des usines, du transfert des opérations et des plans de désinvestissement[44].

Le despotisme hégémonique aboutit à un détournement des fonctions et de la rationalité de l’État interne. Les outils de la concertation sociale, permettant autrefois des avancées pour les revendications ouvrières, sont réutilisés par l’employeur comme lieu d’imposition de l’offensive contre le travail. Les organisations syndicales se retrouvent alors confinées dans un rôle ambivalent : ayant abandonné toute velléité de contre-mouvement, elles se retrouvent piégées à devoir négocier des régressions sociales dans une posture défensive.

Les enjeux des mobilisations sociales et les types de revendications en sont transformés : reconnues progressivement dans leur rôle d’interlocuteur légitime dans les licenciements collectifs[45], les organisations syndicales sont de moins en moins des arbitres de la justice industrielle et de plus en plus des « murs de soutènement » d’un syndicalisme réformiste vidé de son fond progressiste[46]. L’obtention de compensations sociales aux restructurations devient un aspect central de leurs pratiques et nécessite des mobilisations contre les fermetures relativement encadrées et ritualisées, et conçues comme venant en appui aux négociations. De cette manière, les organisations syndicales, même non intentionnellement, facilitent la mise en place de plans de rationalisation en s’inscrivant dans un mode de gestion des restructurations par la négociation collective. Parallèlement, les entreprises peuvent également mettre en place des mécanismes d’évitement des procédures de licenciement collectif, retranchant les organisations syndicales dans une difficulté supplémentaire : avant même de pouvoir négocier quoi que ce soit, elles doivent créer un rapport de force pour forcer l’employeur à s’asseoir à la table des négociations.

En outre, les travailleuses et travailleurs, socialisés à percevoir l’intérêt de l’entreprise comme aligné sur leur propre intérêt, sont disposés à recevoir le discours patronal sur la nécessaire augmentation de la compétitivité et à faire des concessions pour le maintien de l’emploi. La mise en tension du travail par la logique des sacrifices fait donc participer les travailleurs à la survie de leur entreprise, ceux-ci étant prêts à diminuer leurs salaires, à augmenter la journée de travail ou à perdre des emplois pour sauver l’emploi. Afin de les mobiliser dans ce destin commun qui les lie à leur entreprise, sont mis en place des dispositifs participatifs visant à fabriquer cette coordination despotique. Dès les années 70, on observe dans les grandes industries européennes l’émergence de cercles de qualité. Dans la sidérurgie belge, Cédric Lomba observe que l’entreprise met en place pour ses travailleurs des formations aux outils gestionnaires comme celle d’animateur des cercles de qualité visant la résolution la plus efficace d’un problème survenu sur la production, dans une logique de formation donc tout à fait opposée à celle axée sur l’idée d’émancipation. Le discours sur la valeur du travail est réduit à sa dimension managériale, qui le présente à la fois comme un coût à réduire et une richesse à accroître[47].

Fondamentalement, les réactions des travailleurs à ce nouveau despotisme sont ainsi préconstituées par la nature des formes de conscience de classe de la période précédente. Selon Michael Burawoy, l’héritage du régime hégémonique serait devenu une force sociale négative, rendant les travailleurs plus vulnérables aux offensives des employeurs et à l’assaut managéria[48]. Cela place le mouvement ouvrier dans une situation paradoxale à l’ère du néolibéralisme : alors que l’offensive néolibérale créée une nouvelle violence de classe, ce qui pourrait mener à un regain de fortes conflictualités, le mouvement ouvrier peine à y faire face car ses fondations ont été déconflictualisées et intégrées dans l’hégémonie dominante. D’une certaine manière, cette tendance se retrouve aussi, par-delà l’entreprise, au niveau de l’absorption des organisations du mouvement ouvrier dans le fonctionnement de l’État, ne serait-ce qu’en raison de la nécessité dans laquelle elles se trouvent de gérer l’impact sur la sécurité sociale de la discipline budgétaire imposée pour garantir l’« attractivité » fiscale du pays pour les entreprises en situation de croissance grippée.

Conclusion

Mobiliser les valeurs du passé ouvrier de l’éducation permanente est ainsi plus complexe qu’à première vue. Si l’éducation populaire a bel et bien été conçue « par et pour les travailleurs », notre recherche montre qu’elle peut être conçue de manière fort différente selon les processus sociaux se déployant sur une échelle de temps plus large et, plus précisément, selon l’horizon hégémonique dans laquelle elle s’inscrit. Ainsi, comme on l’a vu, les premières initiatives d’éducation populaire se déploient dans le cadre de mouvements ouvriers qui cherchent à former la classe ouvrière comme classe autonome, par la création d’organisations non seulement économiques et politiques mais aussi éducatives et culturelles, et ceci bien que l’orientation politique de cette autonomie, et le fait même que cette autonomie prenne une forme politique, varient fortement en fonction des divers piliers et de la diversité de leurs formes d’organisation. L’institutionnalisation des associations d’éducation et de formation des travailleurs à laquelle on assiste dès 1945 relève d’un processus bien distinct. L’intégration des organisations ouvrières dans la société du compromis social a durablement marqué la visée des pratiques d’éducation populaire. Le potentiel de transformation sociale inscrit dans les forces du mouvement ouvrier a été intégré dans un régime de conciliation sociale au sein duquel s’est forgée une adhésion à l’entreprise et au système capitaliste. Comme on l’a dit, cette adhésion n’est, pour l’essentiel, produite ni par coercition directe ni par un endoctrinement idéologique : il s’agit d’une forme de consentement au sens gramscien du terme, basée sur la prise en compte et l’assouvissement d’un certain nombre d’intérêts matériels de la classe ouvrière.

Curieusement, alors que ce régime est attaqué durement par l’offensive néolibérale et que les avancées progressistes qui ont pu être obtenues dans ce cadre dépérissent, ces organisations restent accrochées aux formes de régulation du conflit de l’époque précédente, au point qu’on se retrouve dans une situation de désajustement entre une réorganisation profonde du capitalisme global et financiarisé et des organisations du travail qui peinent à se réinventer. Les organisations syndicales peinent alors notamment à intégrer les catégories de travailleuses et travailleurs toujours plus diversifiées se situant dans les marges du salariat (faux indépendant, statut « pair to pair » pour les travailleurs des plateformes numériques, flexi-jobs, travailleurs de l’économie informelle, etc.) et à sortir des luttes défensives. Comment, dans cette situation, les mouvements sociaux du travail peuvent-ils se réinventer ? Au vu des éléments développés dans cette étude, il est selon nous évident qu’ils doivent tourner le dos aux mythes de la société du compromis social et repenser les perspectives d’un horizon politique de classe autonome. Pour ce faire, les acteurs de l’éducation permanente peuvent commencer par là où ils se situent. Pour Gramsci, le développement d’une forme d’État complexe caractérisée par de fortes articulations entre la société civile et la société politique implique nécessairement, pour les luttes sociales, de considérer les associations de ladite société civile comme un lieu privilégié de transformation sociale. Autrement dit, il s’agit d’extirper la société civile des liens de subordination dans lesquels elle est attachée et de la considérer comme un lieu stratégique prioritaire pour les mouvements sociaux, à l’instar d’autres lieux de pouvoir (État, entreprises). Une « guerre de position » au sein de la société civile, pour reprendre la terminologie gramscienne, doit être menée pour amorcer des changements d’ordre idéologique capables de réformer intellectuellement la manière dont est abordée la question du travail et de son inscription dans la reproduction du système capitaliste. Les associations d’éducation permanente, parce qu’elles sont, en Belgique, des lieux centraux où se (re)produisent quotidiennement des subjectivités politiques, sont les mieux placées pour amorcer cette réorientation. Une fois inscrites dans cette perspective, elles pourront alors s’inspirer des méthodologies et des outils hérités des expériences d’éducation populaires passées[49].

  • [1] Voir notamment les deux dossiers faisant office « d’états des lieux » sur l’éducation permanente dans la revue Démocratie, 2004, n°2 : « Education permanente. Entre espoirs et désenchantements » ; et dans La revue nouvelle, 2007, n°11 : « Où en est l’éducation permanente ? ».
  • [2] Delhaye Christine, Dricot Chantal, « L’Education permanente : ses enjeux actuels et à venir », Étude CESEP, 2012, p.4.
  • [3] Bastenier Albert, Liénard Georges, « Un printemps pour l’éducation permanente ? », La revue nouvelle, n°11, 2007, p.57.
  • [4] Nossent Jean-Pierre, « Revenir aux sources de l’éducation populaire », Politique, n°51, 2007. En ligne : https://www.revuepolitique.be/revenir-aux-sources-de-leducation-populaire/, consulté le 23/08/2021.
  • [5] Darville Florence, « Entretien avec Jean Blairon », Analyse du CESEP, s.d. En ligne : https://www.cesep.be/index.php/74-publications/analyses/pratiques-de-formation/312-jean-blairon-aujourdhui-cest-le-capital-culturel-qui-fait-la-richesse, consulté le 13/07/21.
  • [6] Nous reprenons ici la présentation qu’en fait Erik O. Wright dans l’article « Comprendre la classe. Vers une approche analytique intégrée », Contretemps, 2014. En ligne : https://www.contretemps.eu/comprendre-la-classe-vers-une-approche-analytique-integree/, consulté le 13/07/2021.
  • [7] Thompson Edward P., La formation de la classe ouvrière anglaise, Paris, Seuil, 2012, p.1131-1132.
  • [8] Thompson Edward P., « Eighteenth-Century English Society: Class Struggle without Class? », Social History, vol.3, n°2, 1978, p.149. Notre traduction.
  • [9] Thompson Edward P., La formation de la classe ouvrière anglaise, op.cit., p.16.
  • [10] Katznelson Ira, Zolberg Aristide, Working-Class Formation. Nineteenth-Century Patterns in Western Europe and the United States, Oxford, Princeton University Press, 1986.
  • [11] ACCS & MOC, Regards croisés sur l’éducation permanente, Bruxelles, EVO, 1996.
  • [12] L’encyclique Rerum Novarum constitue la prise de position officielle de l’Eglise, sous la plume de Léon XIII, quant à la question ouvrière. Si le document reconnaît officiellement le problème des conditions d’existence de la classe ouvrière, il apporte malgré tout la caution de l’Église au capitalisme. En dépeignant le socialisme comme abominable, l’encyclique défend le droit à la propriété privée. Elle légitime l’existence naturelle de deux classes sociales dont il faut resserrer l’union par le respect mutuel, la résignation au travail pour les ouvriers et la charité chrétienne pour les riches. Afin de travailler à cette union, le Rerum Novarum reconnaît la possibilité que l’État intervienne pour améliorer le sort des ouvriers et le droit d’association des travailleurs, associations qui seraient patronnées par les membres de l’Église. Voir : Joye Pierre et Lewin Rosine, L’Église et le mouvement ouvrier en Belgique, Bruxelles, Société populaire d’éditions, 1967.
  • [13] Liebman Marcel, Les socialistes belges (1885-1914). La révolte et l’organisation, Mons, Editions Couleur livres, 2017, p.210.
  • [14] Extrait du Règlement du cercle d’études sociales du Centre, cité dans ACCS & MOC, Regards croisés sur l’éducation permanente, op. cit., p. 30.
  • [15] Ibid., p. 31.
  • [16] Liebman Marcel, Les socialistes belges 1885-1914, op.cit., p.210.
  • [17] Dohet Julien, « Le mouvement coopératif : histoire, questions et renouveau », Courrier hebdomadaire du CRISP, n°2370-2371, 2018, p.5.
  • [18] Destrée Jules, Vandervelde Émile, Le socialisme en Belgique, Paris, Giard & Brière, 1898, p. 47, cité par Dohet Julien, op.cit., p.18.
  • [19] Liebman Marcel, Les socialistes belges 1885-1914, op.cit., p.210.
  • [20] Ibid.
  • [21] Ibid., p.209.
  • [22] Ibid., p. 214‑215.
  • [23] Arcq Etienne, Blaise Pierre, L’éducation permanente en Communauté française, Bruxelles, CRISP, coll. « Dossiers du CRISP », 1996, p.4.
  • [24] Des cadres bruxellois du Parti socialiste peuvent ainsi dire du public ouvrier qu’il faut convertir aux pratiques culturelles dominantes : « Il faut avant tout amuser, intéresser, conquérir. Pour cela il faut rester près de la compréhension de ce public spécial, peu cultivé. Il faut le hausser, mais pas trop. Surtout pas trop brusquement. Sinon il vous abandonnerait vite ». ACCS&MOC, Regards croisés sur l’éducation permanente, op.cit., p.73-74.
  • [25] Gramsci Antonio, Guerre de mouvement et guerre de position. Textes choisis et présentés par Razmig Keucheyan, Paris, La Fabrique, 2012, p.162.
  • [26] Fournier Olivier et Scohier Claire, « Education populaire, une remise en question permanente », Bruxelles en mouvement, n°307, juillet/août 2020, p.2.
  • [27] ACCS&MOC, Regards croisés sur l’éducation permanente, op.cit.
  • [28] Hobsbawm Eric, L’âge des extrêmes : histoire du court XXe siècle, Bruxelles-Paris, Editions Complexe-Le monde diplomatique, 1999, p. 372‑373.
  • [29] Vanthemsche Guy, La sécurité sociale : les origines du système belge, le présent face à son passé, Bruxelles, De Boeck-Wesmael, 1994.
  • [30] Arcq Etienne, Blaise Pierre, L’éducation permanente en Communauté française, op.cit., p.7.
  • [31] Ibid.
  • [32] Féaux Valmy et Poncin Anny, « La formation permanente en Belgique : inventaire des dispositions actuelles (I), Courrier hebdomadaire du CRISP, n°757, 1977, pp. 1-21.
  • [33] Arcq Etienne, Blaise Pierre, L’éducation permanente en Communauté française, op.cit., p.7.
  • [34] Liénard Georges, « Le droit culturel et les travailleurs », dans Collectif, Les travailleurs, la justice et le droit, Bruxelles, EVO, 1977, pp. 134-152.
  • [35] Fusulier Bernard, Moreau Lorise, Zune Marc, Albarello Luc, Hesse Christine, « Évaluation du décret du 17 juillet 2003 relatif au soutien de l’action associative dans le champ de l’éducation permanente. », 2011, p.7.
  • [36] A ce sujet, voir : Piret Cécile, « Du sujet politique en éducation permanente. Quelle définition pour quels enjeux ? », Analyses de l’ARC, 2019. En ligne : https://www.arc-culture.be/publications/du-sujet-politique-en-education-permanente-quelle-definition-pour-quels-enjeux/
  • [37] Gramsci Antonio, Guerre de mouvement et guerre de position. Textes choisis et présentés par Razmig Keucheyan, op.cit., p.162.
  • [38] Burawoy Michael, « La domination culturelle : Gramsci rencontre Bourdieu », in Conversations avec Bourdie, Paris, Editions Amsterdam, p.109.
  • [39] Antoine Sébastien, Enseignement, idéologies et hégémonies. Étude de cas élargie de la pratique politique enseignante dans deux écoles secondaires idéologiquement contrastées de Bruxelles et Sao Paulo, Thèse de doctorat, Louvain-la-Neuve, UCL, 2017.
  • [40] Castel Robert, Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Gallimard, 1995.
  • [41] Le succès du Parti communiste belge fut en effet court et localisé. Dans l’immédiat après-guerre le PC émerge surtout en Wallonie et à Liège. Sept communes de la province liégeoise ont un bourgmestre communiste entre 1946 et 1952. Après l’hiver 60-61, il remonte une dernière fois lors du scrutin municipal de 1964 (c’est à nouveau dans le bassin liégeois qu’il fait ses meilleurs scores, avec 10,7% à Liège et même 24,9% à Seraing) avant de perdre toute représentation parlementaire en 1985. Voir : « Le PC ne compte plus que trois élus en province de Liège contre 208 en 1946, que sont les communistes liégeois devenus ? », Le Soir, 01/10/1994 ; Delwit Pascal, La vie politique en Belgique de 1830 à nos jours, 2ème édition revue et augmentée, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2010.
  • [42] Burawoy Michael, Produire le consentement, Montreuil, Éditions la ville brûle, coll. « Mouvement réel », 2015, p.139.
  • [43] Ibid., p. 143.
  • [44] Burawoy Michael, The Politics of Production: Factory Regimes Under Capitalism and Socialism, London, Verso, 1985, p.150. Notre traduction.
  • [45] Ce rôle d’interlocuteur dans les procédures de licenciements collectifs sera progressivement consolidé dans la législation. C’est le cas de la loi Renault de 1998, votée suite à la fermeture brutale du site de Renault-Vilvorde, qui renforce le cadre légal de la consultation et de la négociation avec les représentants syndicaux lors de l’annonce d’un licenciement collectif. La loi Renault n’a cependant jamais permis de revenir sur l’intention de l’employeur de procéder à une fermeture.
  • [46] Roca Beltran, Las Heras Jon, « Trade unions as retaining walls against political change: A Gramscian approach to remunicipalisation policies in a Spanish City », Capital & Class, vol.4, n°1, 2018, p.1-23.
  • [47] Lomba Cédric, La restructuration permanente de la condition ouvrière : de Cockerill à ArcelorMittal, Vulaines sur Seine, Editions du Croquant, coll. « Collection Champ social », 2018.
  • [48] Burawoy Michael, « Manufacturing Consent revisité », La Nouvelle Revue du Travail, n°1, 2012.
  • [49] Les trois analyses qui suivent proposent des pistes théoriques et pratiques pour promouvoir une telle transformation des perspectives et méthodes de l’éducation populaire.