17 mots pour en finir avec le sans-chez-soirisme

À la fois analyse et manifeste, le texte ambitionne d’élucider une énigme : pourquoi le sans-chez-soirisme explose en Belgique et implose en Finlande ? Pour que les Belges deviennent des Finlandais comme les autres, il suffit de les convaincre que le sans-chez-soirisme n’est pas une fatalité, ni même un « problème social », mais un « choix de société » qui brise des milliers de vie, éreinte les finances publiques et décuple des injustices déjà criantes. Un autre « choix » est possible, mais ça bloque. Quatre mots expliquent pourquoi : hiérarchisme, désuniversalisme, allomorphisme et nécropolitique. Quant à la solution, elle tient en deux mots : udéskif et créalpolitik. Le texte est rehaussé de nombreux slogans du Syndicat des immenses, les premiers concernés. Les premiers consternés.

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Car les crises ne produisent jamais d’elles-mêmes
leur propre intelligibilité.
      Robert Boyer

La fatalité triomphe dès que l’on croit en elle.
Simone de Beauvoir

Il n’y a pas de loi historique inéluctable.
Henri Bergson

Quoi ? Le sans-chez-soirisme, tourné en poésie ?
À nécropolitique, trousser une rime choisie ?
Certes, y a quatre piliers, et du coup, des quatrains ?!
Y a des vrais gens derrière, et dans un sale pétrin !
Allomorphisme, pardon ? Eh, non mais, allô, quoi ?
De beaux vers, franchement, ne sont pas adéquats !
Désuniversalisme, et puishiérarchisme ?
La rime, téléphonée, consacre le cataclysme !
Nul « exercice de style » ne peut soutenir la lutte ?
C’est pas si sûr, l’ami·e. L’important, c’est le but,
Qui est ici d’expliquer pourquoi, bien qu’éluctable,
L’infâme sans-chez-soirisme, tant d’gens, encore accable.
Anonyme

Les dix-sept mots sont, dans l’ordre d’apparition, sanschezsoi, sans-chez-soirisme, immense, immensité, escapé·e, immenscapé·e, sociétaliser, éluctable, éluctabilité, hiérarchisme, désuniversalisme, allomorphisme, nécropolitique, NIMPRE, fatalâche, udéskif et créalpolitik.

Introduction lexicale (2 mots)

« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde », écrit Albert Camus.[1] « Mal nommer les gens, c’est ajouter à leur malheur sur terre », complète le Syndicat des immenses (SDI).[2] Il n’en faut pas davantage pour proscrire avec fermeté les mots « sans-abri » et « sans-abrisme ».

En effet, la plupart des personnes visées par ces deux mots ont un abri, étant temporairement hébergées chez un proche, dans un squat ou une occupation, un asile de nuit, un hôtel ou encore une maison d’accueil. Seule une minorité d’entre elles dorment à l’extérieur, et sont donc à proprement parler sans abri. Mais leur point commun à toutes est d’être dépourvues d’un authentique chez-soi. Et il arrive souvent bien sûr qu’une personne hébergée se retrouve peu après à la rue, et inversement.

Carton militant dont le texte dit : tous les sans-chez-soi ne sont pas sans-abri : les immenses endormis sur leurs cartons font partie des meubles... de l'anti-chambre de la confusion dramatique entre la partie visible de l'iceberg du sans-chez-soirisme et les sans-chez-soi invisibilisés dans les anfractuosités (anfractuosités, effractuosités ou infractuosités) du système [3]

On parlera donc plus correctement, et donc respectueusement, de sans-chez-soi, ou mieux, de personnes sans chez-soi, et de sans-chez-soirisme.

Ainsi, le dénombrement bisannuel réalisé en Région de Bruxelles-Capitale comptabilise les personnes sans chez-soi (7.134 en 2022), dont une partie (809, soit 11,3 %) est littéralement sans-abri.[4]

Le bannissement des termes « sans-abri » et « sans-abrisme » contribue également à désinvisibiliser l’écrasante majorité des personnes concernées. Dans l’imagerie courante, relayée par les médias et entretenue par des clichés tenaces, un homme couché sur un bout de carton est, à tort, la figure emblématique du phénomène. L’ampleur de ce dernier est ainsi largement sous-estimée par le grand public.

Précisons enfin qu’en parlant d’authentique chez-soi, qui suppose un minimum de confort, on s’assure que lesdits sans-chez-soi entrent bien dans la typologie européenne de l’exclusion liée au logement, qui fait autorité.[5]

Boîte à outils stratégiques (5 mots)

Plus correcte, la dénomination « sans-chez-soi » n’en reste pas moins aussi stigmatisante et réductrice que « sans-abri », « sans-domicile », « sans-logis », « SDF », « précaires » ou « mal-logés ». Chacun de ces vocables est impropre et violent parce qu’il définit négativement la personne et qu’il omet de préciser qu’il s’agit d’une personne à part entière (et il en est pour considérer que certains sans-chez-soi ont perdu une part de leur humanité). Qui plus est, et sans refaire l’histoire multimillénaire de la « pauvreté » fustigée, réprimée, voire criminalisée, tout est fait pour que les sans-chez-soi s’approprient leur dévalorisation sociétale, la trouvent justifiée et s’en estiment responsables, sinon coupables. La dénomination dépréciative des personnes sans chez-soi tient donc de la double peine et contribue au renforcement de leur déclassement.

Une dénomination positive s’impose donc et, étant donné la nature performative du langage, elle participe du combat porté par les sans-chez-soi, du moins au sein du SDI. Elle ne peut pour autant faire l’impasse sur la nature de la problématique, à rebours des euphémismes aseptisés et hypocrites, tels que « bénéficiaires », « usagers » ou « ayant droits », dont les personnes visées ne sont pas dupes.

Ainsi est né l’acronyme immense, pour Individu dans une Merde Matérielle Énorme mais Non Sans Exigences. Le mot ne désigne pas seulement toute personne en non-logement ou en mal-logement, il véhicule également ses revendications.[6] Dire immense au lieu de sans-chez-soi est un geste politique : c’est adhérer au combat du SDI. Ce n’est pas sacrifier au « politiquement correct », c’est partager une lutte politique, basée sur un diagnostic étayé.[7]

Dans la foulée a été acronymisé le mot immensité : Immersion dans une Merde Matérielle Énorme, non Sans Impact sur la Trajectoire de l’Émancipation. L’immensité est le biotope des immenses, c’est-à-dire la survie sans authentique chez-soi. Le SDI s’est attelé à la rédaction du Thésaurus de l’immensité pour faire comprendre aux personnes non-immenses en quoi consiste, très précisément et dans toutes ses dimensions, l’immensité.[8]

Mais comment nommer judicieusement les personnes non-immenses ? Après moult cogitations, le SDI a forgé escapé·e, acronyme d’Enclos·e dans le Système mais Capable Aisément et Périodiquement de s’Échapper. La dénomination n’est ni anodine, ni gratuite. Les escapés sont, littéralement, ceux qui s’en sortent, qui disposent de toutes sortes de moyens, à commencer par un chez-soi, c’est-à-dire d’un refuge protecteur et réconfortant, pour régulièrement souffler, évacuer, décompresser, se déconnecter, se ressourcer, se vider la tête, changer d’air, se distraire, se détendre, se relâcher, s’évader, s’éclipser, s’abstraire, s’effacer, en un mot : savourer l’insouciance et recharger ses batteries, aisément et périodiquement. En comparaison, les immenses subissent le système plus qu’ils n’en profitent. Ils ne sont pas « désaffiliés » mais trop affiliés à leur goût, incapables qu’ils sont d’avoir des week-ends libérateurs, de vraies vacances, des loisirs réparateurs. Et c’est en ce sens qu’exiger d’eux des « preuves d’insertion » tient d’une cruauté particulièrement retorse.

Les immenscapé·e·s, quant à eux, sont immenses dans certaines dimensions de leur existence et escapé·e·s dans les autres. Beaucoup d’ex-immenses sont des immenscapés, car retomber à la rue fait partie des scénarios d’avenir possibles, certains des facteurs ayant contribué à la perte du chez-soi sont encore présents ou de nouveaux facteurs fragilisants apparaissent. Beaucoup desdits « gilets jaunes » sont des immenscapé·e·s, qui se sentent peu à peu déclassés, commencent à redouter la fin du mois, ne voient plus sereinement leur avenir. Les crises se succédant à un rythme croissant, de plus en plus d’escapé·e·s redoutent de devenir immenscapé·e·s, voire de tomber dans l’immensité.

Si les catégories immenses, immenscapés et escapés ont les défauts de tout catalogage, elles supplantent efficacement, on va le voir, les dichotomies classiques riches/pauvres, bourgeois/travailleurs, capitalistes/prolétaires, cadres/ouvriers, élite/peuple, etc., à tout le moins s’agissant de la question du non-logement et du mal-logement.

Notre boîte à outils stratégiques serait incomplète sans le verbe sociétaliser, antonyme du verbe, certes peu courant, fait-diversier et écho au « fait-diversion » pensé par Pierre Bourdieu.[9]

Face à un phénomène, un événement, une situation, les deux attitudes extrêmes consistent à y voir un fait divers ou un fait de société. La nature du fait n’est pas déterminante, seule intervient une décision préalable, stratégiquement orientée, c’est-à-dire politiquement motivée. En l’occurrence, sociétaliser le sans-chez-soirisme revient à montrer, non que ce sont des personnes qui ont dysfonctionné et/ou joué de malchance, mais que la société a décidé que l’existence de personnes sans chez-soi était dans l’ordre, fût-il navrant, des choses. Il ne sert à rien de chercher à prouver que telle personne sans chez-soi a dysfonctionné un moment dans son parcours et/ou a clairement joué de malchance. Là ne sera jamais le fin mot du sans-chez-soirisme dûment sociétalisé. Invoquer un dysfonctionnement ou mentionner un coup du sort n’est pas seulement, dans cette perspective, non pertinent, mais proprement inacceptable.[10]

On pourrait objecter que sociétaliser est une manière commode de disculper, d’innocenter, de victimiser : si telle personne est sans chez-soi, c’est la faute à la société, et à elle seule. D’abord, c’est mal connaître les immenses qui, pour beaucoup, sont les premiers à s’attribuer, contre toute évidence, tous les torts. Plus fondamentalement, incriminer la société ne signifie pas irresponsabiliser les sans-chez-soi, c’est affirmer que la question de leur plus ou moins grande responsabilité est nulle et non avenue s’il s’agit de mettre au jour les conditions de possibilité du sans-chez-soirisme au niveau sociétal. Enfin, on y reviendra, est hautement problématique le malin plaisir, aux ressorts clairement nécropolitiques, qu’ont certains, si ce n’est tout le monde, à accabler les immenses.[11]

Sociétaliser le sans-chez-soirisme, c’est donc décider de ne pas y voir une problématique sociale, morale ou psychologique, mais la résultante d’un choix de société, qui aurait pu être autre. Que ce choix soit, totalement ou non, conscient et explicite, est secondaire. Mais, si l’on veut infléchir radicalement l’actuelle politique de lutte contre le sans-chez-soirisme, il est de la plus haute importance de porter ce choix à l’œuvre derrière le sans-chez-soirisme à la connaissance du plus grand nombre. D’où L’immense festival.[12]

Mythe de la fatalité du sans-chez-soirisme (2 mots)

Si sociétaliser le sans-chez-soirisme relève d’une décision d’ordre politique ou militant, affirmer qu’il n’est pas une fatalité nécessite une démonstration plus rigoureuse, d’autant que cela va à l’encontre de l’opinion la plus répandue, jusque chez les travailleuse·r·s sociales·aux et les décideuse·r·s politiques, quand ce n’est pas chez les immenses eux-mêmes.

Il y a des indices qui vont dans le bon sens : a) l’idée d’une « fin du [sans-chez-soirisme] » figure dans l’accord gouvernemental de l’actuelle majorité bruxelloise, b) « 2030 » résonne dans toutes les têtes depuis que l’Union européenne œuvre à une stratégie commune pour en finir d’ici-là avec le sans-chez-soirisme et c) l’agence régionale censée coordonner les dispositifs d’aide d’urgence et d’insertion des personnes sans chez-soi (l’asbl de droit public Bruss’Help pour ne pas la nommer) a engagé la rédaction collective d’un Masterplan, étalée sur un an, en vue d’une éradication du sans-chez-soirisme.[13]

Tout cela était inconcevable au XXe siècle.

Quand bien même personne ne croit que l’Europe sera un territoire zéro-sans-chez-soi d’ici 2030, une révolution s’est donc, lentement mais sûrement, opérée dans les mentalités. Et c’est d’autant plus remarquable que les chiffres sont décourageants : le sans-chez-soirisme augmente partout, Finlande et Danemark exceptés.[14] Une révolution est malgré tout bel et bien engagée, et elle mérite deux nouveaux mots : le sans-chez-soirisme est éluctable et les preuves de son éluctabilité sont au nombre de quatre, toutes convergentes.

1. Le programme Housing First organise la sortie de rue des personnes sans chez-soi par leur remise directe et inconditionnelle en logement, avec leur accord préalable bien sûr et moyennant un accompagnement en logement par des travailleurs sociaux, parfois étalé sur plusieurs années. En vigueur depuis 2013 en Belgique, le bilan du programme est très positif (90 % des personnes suivies sont encore en logement deux ans après[15]), et d’autant plus encourageant que le Housing First est pour l’heure réservé aux personnes les plus fragiles, cumulant problèmes de santé mentale et assuétude, consécutifs à un long parcours de vie en rue. En bref : les personnes ne fréquentant plus les services destinés aux personnes sans chez-soi (asiles de nuit, centres de jour, maisons d’accueil…). Or, si cela fonctionne pour elles, cela fonctionnera forcément pour toutes les autres personnes sans chez-soi, lesquelles nécessiteraient moins d’accompagnement une fois relogées. Conclusion implacable : en se donnant les moyens financiers et immobiliers de glisser du « Housing First For Some » au « Housing First For All », on met fin au sans-chez-soirisme.

2. Rien de tel qu’une situation exceptionnelle pour déconstruire des impossibilités soi-disant gravées dans le marbre du réel. On en veut pour preuve le cri « Vive saint Covid ! » lancé par un immense qui, grâce au branle-bas de combat à tous les niveaux de pouvoir ayant fait suite à l’arrivée du coronavirus, est passé en trois heures du grenier miteux de la maison qu’il squattait à une chambre d’hôtel avec vue sur les arcades du Cinquantenaire et terrasse plein sud. C’était en mars 2020, au début du confinement. Quiconque eût demandé, avant la crise sanitaire, tout ce que celle-ci a débloqué en termes d’énergies, de finances, d’immeubles disponibles et de mobilisation citoyenne en faveur des immenses, se serait entendu répondre que c’était inconcevable et irréaliste. Or cela a eu lieu. Donc c’était concevable et réaliste.

Certes, la médaille a eu son revers, et non des moindres. Non seulement les autorités ont « oublié » l’existence de personnes sans chez-soi en décrétant l’obligation du confinement, les mettant de facto dans l’illégalité (et certaines furent verbalisées), mais elles ont récidivé quelques mois plus tard en imposant le couvre-feu. Et l’action intentée en extrême urgence par le SDI, afin de prévoir dans l’arrêté une exemption pour les personnes sans chez-soi, n’a pas plus abouti au Conseil d’État qu’à la Cour européenne des droits de l’homme.[16] À part ce gros bémol, il reste que la gestion de la crise sanitaire a permis à des immenses de retrouver un logement pérenne.[17]

Deux ans plus tard, le miracle imputable à « saint Poutine » supplanta totalement celui de « saint Covid » : le magnifique accueil réservé aux dizaines de milliers de réfugiés ukrainiens a en effet dépassé l’imaginable. Les droits, services, facilités et autres procédures fluidifiées mis en place du jour au lendemain ont démontré, pour ceux qui en doutaient encore, que, si l’on le veut vraiment, on peut parfaitement empêcher que des personnes tombent à la rue ou restent sans chez-soi. Le miracle ne tient pas seulement au fait que, comme par enchantement, une bonne vingtaine de bâtiments se soient subitement rappelés au souvenir des autorités bruxelloises, qu’ils appartiennent au Fédéral, à la Région ou aux communes. Le miracle est surtout la mise en place, en trois semaines, d’une Task Force impliquant des hauts fonctionnaires, surplombant les cabinets ministériels et mobilisant notamment la SLRB (Société du Logement de la Région de Bruxelles-Capitale), Citydev, SAU (Société d’Aménagement Urbain), Urban et Bruxelles Logement. Inventant ex nihilo une méthodologie qui fera date, cette Task Force est parvenue à répartir entre sept groupes de travail des tâches inédites, et avec une remarquable efficacité : aucun réfugié ukrainien, pour ainsi dire, ne s’est retrouvé à la rue. Le défi, colossal, a été relevé haut la main et passera dans l’histoire du sans-chez-soirisme bruxellois sous le terme du « modèle ukrainien ».[18]

3. Un lieu commun fait, à lui seul, obstacle à l’éradication du sans-chez-soirisme : pour humainement souhaitable et techniquement possible qu’elle soit, elle nécessiterait des capacités financières dont ne dispose pas, en l’occurrence, la Région de Bruxelles-Capitale. Et d’aucuns ne se privent pas, sur cette seule base, de taxer les militants que nous sommes de doux rêveurs, d’idéalistes hors-sol et de naïfs utopistes. C’est pour cela que le SDI et un autre mouvement militant, le regretté Droit à un toit/Recht op een dak, ont commandé au département d’économie appliquée DULBEA de l’ULB une étude sur le coût du sans-chez-soirisme en Région bruxelloise.[19]

L’étude a confirmé leur intuition : a) le coût total n’est pas négligeable, soit 210 millions d’euros ; b) les coûts indirects, spontanément ignorés, sont quatre fois plus élevés que les coûts directs (c’est-à-dire le budget « sans-chez-soirisme » du ministre compétent Alain Maron, en charge de l’Action sociale et de la Santé) et c) le coût moyen annuel pour la Région d’une personne sans chez-soi (41.000 €) est comparable au coût de son relogement.

De l’avis général, l’étude devrait être affinée et étendue, notamment pour chiffrer les coûts et bénéfices du « modèle ukrainien », et elle le sera si les fonds nécessaires sont rassemblés.[20] Mais, d’ores et déjà, on ne peut plus arguer que l’argent fait défaut pour mettre fin au sans-chez-soirisme. Et c’est historique.

Ces chiffres sont en phase avec la situation en Finlande, où la baisse du sans-chez-soirisme s’accompagne d’économies pour les finances publiques. Ils ont, en outre, le mérite d’aborder la lutte contre le sans-chez-soirisme à l’aune de la gestion, bonne ou mauvaise, des deniers publics, et de pointer un rendement extrêmement faible de l’argent investi en termes de relogement des personnes concernées. Ou pour le dire autrement : l’étude offre une base scientifique solide pour contrecarrer l’influence de ceux qui, pour des raisons idéologiques clairement droitières, préfèrent voir dans l’« aide aux personnes » un coût-par-définition-toujours-excessif-et-à-réduire-autant-que-faire-se-peut plutôt qu’un investissement-à-intensifier-si-cela-permet-de-l’optimiser. La distinction coût versus investissement, on le rappelle, n’a aucune base économique. Elle est, en revanche, un parfait marqueur politique. Et les mots, on le sait, sont politiquement marqués à la culotte. Si, par exemple, on obtenait de troquer l’« aide [forcément sociale] aux personnes » contre un « soutien sociétal aux personnes », les sommes consenties seraient vues d’un autre œil.[21]

4. Last but not least, la Finlande sera sans doute dès 2027 un territoire zéro-sans-chez-soi et leurs finances publiques, on l’a dit, en seront encore meilleures, sans parler des milliers de vies qui n’auront pas été brisées, fauchées, gâchées. Leur secret ? Avoir sociétalisé la question, c’est-à-dire avoir décidé que, si une personne est sans-chez-soi, c’est la société finlandaise qui a failli, et non la personne, quelle que soit, par ailleurs, son éventuelle responsabilité personnelle.

Qui a failli ? En amont de la question s’en pose une autre, plus fondamentale : quand doit-on se demander, avant de prendre attitude, si quelqu’un a, ou non, failli ? Dans notre société contemporaine du mérite, du classement et de la notation, la question, il va sans dire, se pose seulement – et pour combien de temps encore ? − dans le domaine de l’aide sociale ou du soutien sociétal aux personnes. Et là, force est de constater que les immenses ne sont pas, sans mauvais jeu de mots, logés à la meilleure enseigne.

Les pompiers s’emploient à circonscrire un incendie avec diligence, quand bien même le propriétaire du bâtiment dévoré par les flammes, ayant fraudé le fisc, n’aurait pas justement contribué au financement des soldats du feu. Selon une même logique, un fieffé opposant à l’extension des droits aux chômeurs de longue durée en jouira comme n’importe qui d’autre si, d’aventure, il se retrouvait lui-même chômeur de longue durée. À sa sortie de prison, on n’adresse pas non plus à l’ex-détenu la facture correspondant au coût de son incarcération. Mais l’accès aux soins de santé est encore plus paradigmatique. Les hardis concepteurs de la Sécurité sociale, à renommer[22], ont décidé que seraient traitées de la même manière les personnes atteintes, par exemple, d’un cancer des poumons, qu’elles aient été, ou non, fumeuses invétérées. Un cas remarquable de primat de la solidarité aveugle et inconditionnelle sur la justice comptable et tatillonne.

Inutile de préciser que, dans leur « vie impossible », c’est-à-dire leur survie menacée,[23] les immenses profitent peu, voire pas du tout, de semblable solidarité aveugle et inconditionnelle. Or le lien entre santé et non-logement ou mal-logement est plus que documenté, au point que des mutuelles américaines se sont sérieusement demandé si, dans le cadre de leur politique de santé, elles ne devraient pas, au lieu de soigner les sans-chez-soi dans la rue, leur garantir le paiement de leur loyer.[24] Et, en Belgique, c’est l’« indice santé », et non l’« indice des prix à la consommation », qui fournit très logiquement la base légale pour l’indexation des loyers. Le logement n’est pas un simple bien de consommation.

Pourquoi le champ d’application de la solidarité aveugle et inconditionnelle n’inclut-il pas l’immensité ? Pourquoi les immenses en sont-ils systémiquement exclus ? Pourquoi cela ne semble pas choquer grand-monde ?

La réponse passe par quatre nouveaux mots.

Tenants du sans-chez-soirisme persistant (4 mots)

Pourquoi, malgré ce qui précède, n’est-on pas encore en marche vers la fin du sans-chez-soirisme, pourtant techniquement possible, humainement désirable et financièrement rentable ?

Il ne suffit pas d’invoquer la conviction, erronée et très ancrée dans l’inconscient collectif, que le sans-chez-soirisme est une fatalité. Il faut sonder cet ancrage pour espérer comprendre où ça résiste, pourquoi ça refuse, comment ça ferme les yeux. Il faut explorer ce que nous proposons d’appeler les quatre piliers du sans-chez-soirisme persistant.[25]

1. Hiérarchisme. Attitude ou politique visant à souligner, classer et hiérarchiser les différences, au lieu des ressemblances, entre les individus, avec, pour conséquence ultime, le fait que toutes les vies, et a fortiori les opinions, n’ont pas la même valeur ou légitimité. 1. Foi d’immense, l’hiérarchisme est partout, même entre nous. C’est dévastateur. Plus délétère que l’élitisme. On n’imagine pas l’énergie déployée pour se sentir « au-dessus » de la personne juste « en dessous ». 2. Inutile d’espérer circonvenir l’hiérarchisme inhérent à la nature humaine. Comment limiter les dégâts de cette allergie à l’égalité ? A minima, en déconstruisant, ou problématisant, l’échelle de valeurs cachée derrière, qu’il s’agisse du « mérite », de la « dignité », voire de la « noblesse ».

L’hiérarchisation de tout, des choses comme des personnes, est un phénomène universel. Il fallait seulement la nommer, tant elle saute aux yeux dès qu’on se penche sur le phénomène sociétal du sans-chez-soirisme.

2. Désuniversalisme. Affirmation ou croyance selon lesquelles l’unité fondamentale du genre humain n’existe pas, et par extension, attitude ou comportement implicitement basé sur cette affirmation ou croyance, comme le deux poids, deux mesures. 1. Le désuniversalisme a éclaté au grand jour, dans toute l’Europe, quand on a observé le magnifique accueil réservé aux réfugiés ukrainiens. On s’est dit : on est où, là ? 2. Les immenses, dixit le Syndicat des immenses, sont victimes d’un désuniversalisme disproportionné.

On a mentionné plus haut l’incomparable Task Force mise en place en un temps record pour accueillir dignement les réfugiés ukrainiens. On peut se demander pourquoi il n’existe pas semblable Task Force pour les immenses. On dira, par exemple, que les Ukrainiens sont des Blancs, d’origine, voire de confession, chrétienne, et qu’ils jouissent grâce à l’Union européenne d’une « protection temporaire », qui oblige chacun des États membres. Mais ces justifications ne vont pas au cœur du désuniversalisme si manifestement à l’œuvre. La vraie raison est ailleurs : les réfugiés ukrainiens ne sont pas des immenses, mais des escapés tombés, du jour au lendemain et sans que cela soit leur faute, dans l’immensité. Et cela change tout, visiblement.

Le désuniversalisme, c’est trouver normal de faire le maximum pour les escapés et le minimum pour les immenses.

3. Allomorphisme. Propension à estimer que telle situation, inenvisageable, inacceptable, insupportable ou invivable pour soi, est envisageable, acceptable, supportable ou vivable pour l’autre. 1. Les immenses sont pour la plupart des ex-escapés, mais, par allomorphisme, on fait comme si l’immensité leur était innée, et donc intrinsèque ou consubstantielle. 2. L’allomorphisme, ou « altruisme à géométrie variable et versatile », frappe chacun en propre et se retrouve inévitablement dans les politiques sociales.

L’allomorphisme, en clair, c’est la mise en place pour les immenses de dispositifs auxquels les escapés concepteurs ne recourraient pour rien au monde. Qui veut dormir au Samusocial (pour citer l’organisation la plus connue) ? Personne. Mais tout le monde se félicite de l’existence du Samusocial. Qu’est-ce à dire ?

L’allomorphisme serait seulement le comble de l’absurdie si, secondé et justifié par l’hiérarchisme et le désuniversalisme, il ne contribuait à l’implacable reproduction en roue libre d’un système à deux vitesses.

Mais un pilier manque encore à cette logique délétère, pour la consolider et en garantir la cohérence.

4. Nécropolitique.[26] Politique consistant, délibérément ou non, à prévoir un minimum de soutiens pour une certaine catégorie de personnes et à opérer un maximum de techniques inquisitrices à leur endroit, comme pour les punir d’être encore vivantes, au point de rendre leur vie difficile, impossible, voire invivable. 1. L’installation durable des immenses dans la survie et leur répudiation sociétale participent clairement de la nécropolitique. 2. L’hiérarchisme, le désuniversalisme, l’allomorphisme et la nécropolitique constituent les quatre piliers du sans-chez-soirisme persisant, malgré son éluctabilité démontrée.

On ne peut ici qu’énumérer les dix voies de la maltraitance nécropolitique subie par les immenses[27] : pourrissement de principe (attendre que la situation se dégrade), humiliante demande (concéder à aider au lieu d’activer des droits), légitimité incertaine (« C’est bien parce que c’est toi ! »), engrenage de l’aide (demander un coup de pouce n’est pas assez), multiplication des contrôles (jusque dans la vie privée), suspicion de fraude doublement inéquitable (présomption de culpabilité), discriminations à la chaîne (des injustices banalisées), opacité institutionnelle (la Région de Bruxelles-Capitale mériterait d’entrer dans le Guinness Book), préjudice psychique négligé (mésestime et défaitisme) et « mise sous administration » de fait. La nécropolitique culmine quand elle n’apparaît plus comme (une) politique.[28]

Les quatre piliers du sans-chez-soirisme persistant ont le mérite de dessiner le cadre à l’intérieur duquel le sans-chez-soirisme se déploie, trouve son économie et fait sens. Et en exhibant le revers des valeurs soi-disant universelles, ils lèvent le tabou d’une hypocrisie collective à laquelle, pour mieux la surmonter, il urge de se confronter dans son propre miroir.

Aboutissants du sans-chez-soirisme persistant (2 mots)

Les quatre piliers dessinent aussi la toile de fond sur laquelle se détachent a) quatre symptômes du sans-chez-soirisme mal diagnostiqué, b) les quatre erreurs courantes qui en découlent et c) les quatre obstacles redoutables sur lesquels butent les convaincus de la fin possible du sans-chez-soirisme.

Quatre symptômes

1. Être en non-logement n’est pas considéré comme un problème de logement

L’assertion est attestée par cet état de fait, généralisé et qui ne semble scandaliser personne : le ministère en charge du Logement n’est pas statutairement compétent pour le soutien aux personnes sans chez-soi. En Région de Bruxelles-Capitale, il en résulte que, contrairement à Alain Maron, ministre de l’Action sociale et de la Santé, la secrétaire d’État en charge du Logement, Nawal Ben Hamou, n’était pas représentée dans le Conseil d’administration de Bruss’Help… avant que le SDI, après 21 semaines de « manif au finish » hebdomadaire, obtienne gain de cause, le 21 juin 2022 pour être précis. Si avoir remis ainsi le logement au cœur de la question du sans-chez-soirisme est une victoire importante, et non purement symbolique, elle sera complète quand les statuts de Bruss’Help requerront la représentation du Secrétariat en charge du Logement au sein du CA de Bruss’Help, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui.[29] On peut donc conclure que la Région bruxelloise persiste à considérer qu’une personne sans chez-soi rencontre un problème « social-santé » et non d’abord, voire uniquement, un problème de logement.

2. Déconnexion des secteurs sans-chez-soirisme et logement

Les deux secteurs appartiennent à des fédérations distinctes, dépendent de subsides différents, collaborent rarissimement et ne se rencontrent officiellement jamais. Quand DoucheFLUX a candidaté pour être membre du RBDH (Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat), il lui a été répondu de prime abord, tel un cri du cœur ou un réflexe sectoriel irréfléchi : « Nous travaillons pour le logement, pas avec les personnes qui vivent en rue ! ». La candidature a bien entendu été ensuite acceptée sans autre formalité, mais l’anecdote en dit long sur le cloisonnement de deux secteurs qui n’en feront qu’un dès lors qu’être en non-logement sera unanimement considéré comme un problème de logement.

3. « Ce nouveau centre de jour contribue à la lutte contre le sans-chez-soirisme »

Heureusement que « l’exagération est le mensonge des honnêtes gens » (Joseph de Maistre).[30] Car le sans-chez-soirisme, c’est ne pas savoir où passer la nuit, entendez une authentique nuit, sereine et réparatrice. Dès lors savoir où passer la journée n’est même pas un pis-aller, une demi-mesure ou un plan B. Certes, les meilleurs centres de jour permettent occasionnellement aux immenses de rencontrer des travailleurs sociétaux[31], étape parfois déterminante pour retrouver peut-être, un jour, un logement abordable, quand, par miracle, il y en a un. Bref, ne jamais oublier que, « dès qu’un sentiment s’exagère, la faculté de raisonner disparaît » (Gustave Le Bon).[32]

4. Le dépannage est appelé « urgence » et le relogement « insertion »

L’urgence est de repenser le logiciel présidant à la lutte contre le sans-chez-soirisme, qui se résume, pour l’essentiel, à sa gestion et qui se traduit, sur le terrain, par une explosion du phénomène. L’urgence est d’arrêter d’espérer qu’on arrivera à un résultat différent à force de faire la même chose. L’urgence est de se concentrer sur ce qui fonctionne et de se désengager progressivement du reste.

La décence commande de ne pas se flatter à peu de frais en qualifiant « d’urgence » des services, certes essentiels à ultra court-terme, facilitant l’accès à une douche, un repas, une consigne, un conseil, un espace sécurisé, une connexion internet ou un lit pour la nuit à côté d’un·e inconnu·e. Dépanner, bien sûr, n’est pas déshonorant, mais réparer, la vraie urgence, est une tout autre aventure.

 

Quant au relogement, le seul objectif d’une véritable politique de lutte contre le sans-chez-soirisme, pourquoi l’euphémiser en « insertion » ? Serait-ce que le relogement n’est en réalité que le moyen d’une autre fin, qui consisterait à faire rentrer les sans-chez-soi dans les clous, à les intégrer coûte que coûte dans un système qui les a négligés, maltraités, oubliés ? Le problème est qu’ils sont sans logement ou que, de fait ou par choix, ils ne cochent pas toutes les cases de la pensée dominante ? En appelant un chat un chat, on évite de suggérer qu’il s’agit d’un sac à puces.

Quatre erreurs

1. Dépannage toute !

Dénoncée depuis des lustres par tout le secteur du sans-chez-soirisme frustré de pouvoir trop rarement soulager durablement la détresse des personnes en mal-logement et non-logement, la priorité budgétaire donnée à la mal nommée « urgence » au détriment de la mal nommée « insertion » a été infléchie par les autorités, toutes tendances confondues. Et tout le monde de s’en féliciter, même si beaucoup estiment que le déséquilibre en faveur des non-solutions de dépannage reste trop important. L’arbitrage, on en convient, n’est pas aisé, d’autant que la progressive réorientation de la politique ne peut laisser personne au bord du chemin et que l’écrasante majorité des immenses sont très peu visibles.[33]

 

2. Non-prévention systématique du sans-chez-soirisme

Au risque de se répéter, rappelons quel est le moteur de cette désinvolture coupable et assumée : la conviction, erronée, que le sans-chez-soirisme est une fatalité. Cette conviction suffit en effet à ne pas faire le maximum − voire à ne faire presque rien − pour que personne ne se retrouve sans un chez-soi. L’existence permanente et sans doute millénaire de personnes sans chez-soi renforce cette conviction erronée plutôt que de pointer des responsabilités, des non-politiques, un laisser-faire, laisser-tomber-à-la-rue.

Les lignes ont commencé faiblement à bouger et des manches à se retrousser depuis que, comme ces dernières années, l’augmentation massive du nombre de personnes sans chez-soi fait la une des médias et, surtout, que l’augmentation de personnes littéralement sans-abri, et donc visibles dans l’espace public, indispose les rétines sensibles.

Mais si les chiffres n’avaient pas tant augmenté, si l’on en était resté à une raisonnable « armée de réserve de non-travailleurs » en guise d’épouvantails à agiter à la face des travailleurs récalcitrants, l’idée qu’il faut prévenir le sans-chez-soirisme n’aurait probablement pas germé dans les esprits, même éclairés et militants.[34]

À quelque chose malheur est bon, donc. Sans doute. Mais l’on ne touchera pas au but d’une prévention systématique, organisée et financée à la hauteur nécessaire avant que le sans-chez-soirisme ne soit sociétalisé, qu’il ne soit plus relégué au rang de fait divers, banal ou encombrant selon l’évolution des chiffres. Loin de nous de sous-estimer la complexité de la tâche. Le sans-chez-soirisme étant multifactoriel, sa prévention devra donc être multisectorielle. Mais la tâche n’est pas impossible puisque les Finlandais, entre autres, y arrivent.

3. Non-relogement systématique

Miroir de la non-prévention, le non-relogement systématique s’explique de la même manière. On citera néanmoins un exemple, particulièrement éloquent et emblématique du bras de fer très inégal entre le droit au logement et le droit de la propriété privée, tous deux reconnus par la Constitution : la loi ne prévoit pas de facturer au bailleur le relogement de son locataire si celui-ci est contraint de quitter son logement une fois déclaré insalubre du fait de la négligence du bailleur. Même dans ce cas-là, le locataire peut se retrouver à la rue. Comme quoi la fin du sans-chez-soirisme passe clairement par un drastique rééquilibrage juridique du rapport de force entre bailleurs et locataires.

Preuve parmi d’autres que le chantier est, sinon miné, semé de sérieuses embûches, l’actuelle majorité au pouvoir en Région de Bruxelles-Capitale, pourtant marquée au centre-gauche, n’a pas voté la prolongation au-delà du 15 octobre 2023 du gel de l’indexation des loyers des passoires énergétiques. Celles-ci contribuent cependant à l’augmentation des factures de gaz et/ou d’électricité des locataires, dont les revenus sont, sans surprise, les plus bas et dont le loyer peut représenter jusqu’à 60 % des revenus.

Sans attendre le jour, s’il se lève jamais, de l’ouverture de ce dossier hautement délicat, un mouvement est cependant en train de naître, BADAL, pour Bailleurs-Acteurs du droit au logement. Le déclencheur en a été la lecture du remarquable édito du numéro de mars/avril 2023 de Bruxelles en mouvements, le bimestriel d’Inter-Environnement Bruxelles, intitulé « Pour une rénovation ambitieuse du bâti bruxellois ».[35] BADAL veut rassembler les bailleurs désireux de faire partie de la solution plutôt que du problème. Les bailleurs badalistes reconnaissent une fonction sociétale à tout logement (en plus de sa rentabilité financière, laquelle reste discutable et à encadrer, notamment en taxant les loyers réellement perçus), interrogent la légitimité de l’indexation des loyers[36] et s’engagent à appliquer un code de bonne conduite, lequel exclut, entre autres, la discrimination entre les locataires potentiels et la location via des plateformes du type Airbnb. Ne se retrouvant pas du tout dans les positions outrancières du Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires, ils veulent faire de BADAL un interlocuteur alternatif officiel des (co)propriétaires.[37]

4. Manque de logements abordables

Ce manque prend, en Région de Bruxelles-Capitale, des proportions que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de criminelles.

Du côté des logements sociaux, tout le monde – décideurs politiques, et donc coresponsables, compris − s’accorde à déplorer des décennies de laisser-aller et de je-m’en-foutisme presque assumé. Tant et si bien que la volonté louable de l’actuelle majorité de rattraper le temps perdu et de procéder aux investissements non réalisés en temps et en heure est incapable d’inverser la vapeur et de faire la différence sur le terrain. Le temps perdu ne se rattrape pas d’un claquement de doigts et l’argent non dépensé l’a été ailleurs. Ce sont, en clair, des milliers de logements qui n’ont pas été construits comme convenu, n’ont pas été entretenus et rénovés « en personne responsable, raisonnable, prudente et proactive »[38] ou sont à l’abandon depuis plus de dix ans. Il y a l’effet NIMBY bien connu (en l’espèce : pas de logements sociaux près de chez moi) et il faut nommer ce qui le renforce et le complète, l’effet NIMPRE (No Investment that May Put at Risk my next Election).[39] Car le système électoral veut qu’aucun·e politique ne peut espérer remporter des voix en programmant la création et la rénovation de milliers de logements sociaux. Cela affecterait pourtant, directement ou indirectement, énormément d’électeurs potentiels, mais pas de manière assez immédiate, sûre, palpable.

Du côté des logements privés, on peut se féliciter de l’existence depuis 2018 d’une « grille indicative des loyers » en Région de Bruxelles-Capitale. Son caractère non contraignant en limite malheureusement les effets, les bailleurs gardant concrètement la liberté de fixer le loyer, même si des juges de paix décident parfois d’en tenir compte, entre autres éléments, pour motiver leur jugement en faveur d’un·e locataire. Autre bémol, étant basée sur le loyer médian observé arbitrairement à l’instant T, sans en questionner la légitimité, la grille avalise de fait la forte et constante augmentation constatée des loyers, nettement supérieure à l’inflation.

Ces considérations tomberont bien sûr dans un vide poli aussi longtemps que la société bruxelloise ne mettra pas en relation mécanique l’augmentation du sans-chez-soirisme et l’inaccessibilité croissante des logements. Mais ce lien de causalité saute d’autant moins aux yeux que l’éluctabilité du sans-chez-soirisme est méconnue et que sa sociétalisation n’est pas décidée.

Quatre obstacles

1. La rengaine des pisse-froids défaitistes

Un combat sociétal ne se remporte pas sans une adhésion collective suffisamment importante et, on l’a vu, la fin du sans-chez-soirisme passe par sa sociétalisation. La tâche n’est pas négligeable, puisque l’éluctabilité du sans-chez-soirisme est contre-intuitive pour le sens commun et que les chiffres font office de démenti cinglant. On se heurte donc inévitablement aux propos dubitatifs, plus ou moins argumentés, des sceptiques de tout poil. Cela fait partie du combat.

Heureusement, la pédagogie à mettre en place peut surfer sur le bon sens de tout un chacun. Qui, en effet, peut comprendre que les spécialistes autodéclarés de la question, qu’ils œuvrent sur le terrain ou dans les cabinets ministériels, ne voient pas dans le sans-chez-soirisme − d’abord, avant tout, voire uniquement dans certains cas − un problème de logement ? Qui peut comprendre qu’ils puissent discourir sans rougir sur les moyens de la lutte contre le sans-chez-soirisme et n’évoquer que marginalement, voire pas du tout, la prévention et le relogement, les expulsions domiciliaires abusives et les logements inabordables, l’insalubrité tolérée de milliers de logements tant sociaux que privés et le pouvoir discrétionnaire et discriminatoire excessif des bailleurs en quête d’un nouveau locataire, le renforcement de la loi anti-squat et la quasi impunité des marchands de sommeil et des propriétaires de logements vides, la gentrification et les milliers de logements retirés, à cause d’Airbnb, du marché locatif normal, le délétère statut de cohabitant et la dégressivité des allocations de chômage ?

2. Les pessimistes experts de la complexité

La croisade doit aussi être menée à l’intérieur même du secteur du sans-chez-soirisme, où sévissent des rabat-joie auréolés de leur prestige d’experts de terrain de longue date. Leur pessimisme en impose et installe leur autorité. Ils ne sont pas légion mais excellent à semer le doute, miner le moral et discréditer les convaincus. D’un froncement de sourcils appuyé, ils signifient qu’ils ont, eux, touché du doigt l’essence obscure du sans-chez-soirisme profond et lâchent, telle une bombe : « La rue, à Gaston[40], ça lui convient. » Un ange passe, et chacun, à part soi, d’estimer au doigt mouillé le nombre infime de « Gaston » en Région de Bruxelles-Capitale : 5, 10 ou 15 ?

L’irresponsabilité est d’assumer sans vergogne le risque que d’aucuns tirent la conclusion, parfaitement inexacte, que les « Gaston » ont choisi, au sens fort du terme, de vivre à la rue, et que ce choix soi-disant éclairé doit être respecté. Personne ne prend semblable décision. Schématisée à très gros traits, la réalité est plutôt que, après de longues et nombreuses années sans chez-soi, Gaston n’a pas eu d’autre choix, pour sa survie physique et mentale, que de s’habituer tant bien que mal à la rue, d’y trouver ses marques et d’y installer ses repères, de revoir ses ambitions à la baisse et de s’en donner d’autres, minuscules et héroïques en même temps, au point, in fine, d’« habiter » son absence de chez-soi et d’envisager difficilement, voire pas du tout, de chambouler la fragilité extrême de cet équilibre obtenu de haute lutte.[41] C’est cet équilibre qui doit être respecté avec la plus grande délicatesse, et non la pseudo décision initiale de vivre sans chez-soi.

3. Les sensationnalistes à la petite semaine

Les médias, aussi, tiennent une part de responsabilité. Sciemment ou par bêtise, peu importe, ils colportent trop souvent l’idée, fallacieuse mais extrêmement répandue à la longue dans le grand public, selon laquelle la majorité des sans-chez-soi sont, en fait, des « Gaston ». Présentée chaque fois comme un scoop, l’information tient davantage du marronnier journalistique qui se termine par un gros plan sur le visage impuissant d’un travailleur social dont on loue l’endurance. Autre ritournelle, les reportages ou interviews garantis sans information au sens strict du mot, réalisés à l’approche de l’hiver, quand bien même les travailleurs s’épuisent chaque année à répéter que la mortalité en rue n’est pas corrélée à la baisse des températures et que les cas d’hypothermie sont rarissimes. Ce focus sur les épiphénomènes liés au mal-logement et au non-logement, au détriment de ses ressorts sociétaux pourtant identifiés, contribue à caricaturer le regard que l’on porte sur le sans-chez-soirisme et, partant, à obscurcir les voies possibles de son abolition.

4. La non-régularisation des personnes en situation irrégulière

Impossible de ne pas rappeler ici que la majorité des personnes sans authentique chez-soi en Région de Bruxelles-Capitale n’ont pas de titre de séjour depuis parfois, pour certaines d’entre elles, de très nombreuses années, ont vu leur demande d’asile refusée et/ou, comme le rappelle l’actualité récente, sont des demandeurs d’asile dont l’État fédéral n’assure pas l’hébergement auquel ils ont droit, bafouant au passage l’État de droit puisque l’exécutif refuse explicitement de payer les amendes, près d’un millier, infligées par le judiciaire pour cette infraction caractérisée.

 

On doit souligner à cet égard la violence injustifiable de l’obscurité voulue des critères de régularisation. À part les cas extrêmes, pour raison de santé notamment, les candidat·e·s ne savent pas comment présenter la bonne « tête du client » qui décidera favorablement de leur sort. Des critères clairs préciseraient au moins les cas où la régularisation est automatique et, partant, indiqueraient avec précision aux candidat·e·s ce qui fait éventuellement défaut dans leur dossier de demande de régularisation.

L’ampleur de l’hypocrisie générale autour de la question des « sans-papiers » est à déplorer également. Ils sont environ 110.000 en Belgique et un très grand nombre a un emploi. Dans les secteurs de l’Horeca et de la construction notamment, ils constituent une force de travail importante, évidemment mal payée et juridiquement non protégée. C’est de notoriété publique mais la vie économique continue comme si de rien n’était, comme si leur contribution à la richesse nationale était nulle, comme si le manque à gagner fiscal n’était pas gigantesque. Il est des partis pour se prononcer en faveur de mesures facilitant la régularisation, mais aucun pour en faire une condition sine qua non de participation à tous les niveaux de pouvoir, fédéral, régional ou communal.

Quatre symptômes, quatre erreurs, quatre obstacles, et quel enseignement ? Il faut pouvoir rassembler sous un même vocable toutes celles et tous ceux qui, par frilosité, conservatisme, peur, vanité, électoralisme, scepticisme, indifférence ou dilettantisme, s’accrochent comme des moules au rocher rassurant du statu quo et handicapent la mobilisation sociétale nécessaire à l’abolition du sans-chez-soirisme. Puisque ce terme manquait, le SDI l’a inventé : fatalâche. Le mot sous-entend bien, en creux, ce qui s’impose : un sursaut collectif, une volonté citoyenne et du courage politique.

Conclusions politiques (2 mots)

La perspective développée ici milite en faveur d’un changement radical de paradigme dans la compréhension du sans-chez-soirisme et dans la stratégie pour le combattre. Les angles d’attaque possibles sont donc nombreux et, partant, les conclusions, également.

1. Le mythe autoréalisateur de la fatalité du sans-chez-soirisme

Il suffit de (préférer) croire que le sans-chez-soirisme est inéluctable pour mettre prioritairement en place des services destinés à rendre la survie des personnes sans chez-soi la plus digne et la moins inhumaine possible, avec l’effet pervers que ces services installent beaucoup de personnes sans chez-soi, malgré elles, dans cette survie. En les dépannant à court terme, on contribue à en maintenir beaucoup dans le sans-chez-soirisme. Du même coup, la conviction erronée qu’il est une fatalité s’en trouve renforcée. Et le cercle vicieux devient infernal.

2. Ce n’est pas un « problème social », seulement une « problématique sociétale »

Plus on voit dans le sans-chez-soirisme un « problème social », moins la question, pourtant centrale, du logement est posée dans toutes ses ramifications. Les pages qui précèdent n’entendaient qu’à expliquer pourquoi et comment.

3. Un crime contre l’humanité ?

D’aucuns le pensent et présentent des arguments. La Ligue des droits humains ne partageait pas cet avis, puis s’est ravisée. Si la question mérite d’être tranchée, ce n’est en tout cas pas le meilleur angle d’attaque du problème, tactiquement parlant. Mais on peut clairement parler de crime de lèse-humanité.

4. Une nouvelle branche de la Sécurité sociale ?

L’idée de faire du logement une nouvelle branche de la Sécurité sociale commence à faire des émules[42] et l’on s’en félicite. Le non-recours au droit au logement, entendez à un logement digne et durable, doit être combattu avec fermeté. Et l’impuissance du fameux Article 23 de la Constitution, qui reconnaît ce droit au logement et qui hante les immenses, est une forme de violence nécropolitique. Un logement n’est pas un bien comme un autre, soumis à la seule logique marchande, mais un bien de primordiale nécessité.

5. Un festival ad hoc

La population bruxelloise doit prendre conscience qu’une question sociétale se pose : décidons-nous, collectivement, d’en finir, puisque c’est possible, salutaire et rentable, avec le sans-chez-soirisme qui brise des milliers de vie ? Mais sociétaliser la problématique ne se fait pas d’un claquement de doigts. C’est pourquoi le SDI s’est assuré la collaboration de nombreux opérateurs culturels pour lancer L’immense festival.

6. Concrètement : l’udéskif et la créalpolitik

On peut, en deux mots, résumé le programme politique dont le présent texte jette les bases.

udéskif : n.f. (acronyme approximatif d’Universalisation De Ce Qui Fonctionne). Universalisation de ce qui fonctionne et, concomitamment, désinvestissement progressif, ou abandon pur et simple, de ce qui fonctionne trop rarement ou pas du tout. 1. Au sein du secteur du sans-chez-soirisme, l’udéskif est aussi précis que simple, car seuls deux dispositifs fonctionnent et, comme par hasard, le (re)logement y occupe une place centrale : A) ledit « modèle ukrainien » mis au point avec une efficacité remarquable en faveur des réfugiés ukrainiens et B) le programme Housing First réservé, pour rappel, aux personnes présentant un double diagnostic, problèmes de santé mentale et d’assuétude. Et ces dispositifs sont aux deux extrémités du spectre, puisqu’ils concernent A) des escapés venant de tomber dans l’immensité et B) les immenses les plus fracassés, désaffiliés, détériorés par la rue. On sait donc maintenant comment s’y prendre. Plus d’excuses ! Priorité à l’udéskif ! 2. Être orienté udéskif, c’est dire, d’un côté, « Pas question de tomber à la rue ! » et, de l’autre, « Pas question d’y rester ! »

créalpolitik : n.f. Stratégie politique qui, prenant le contre-pied de la realpolitik, 1) se méfie des contraintes présentées d’entrée de jeu et soi-disant insurmontables car basées sur l’« objectivité des faits », la « réalité des chiffres » et le « verdict des experts », 2) refuse les faux dilemmes paralysant toute imagination, 3) rejette la logique des « enveloppes fermées » sans qu’on sache par qui et pourquoi et 4) questionne les hypothèses ayant présidé au choix des alternatives vis-à-vis desquelles on devrait se positionner. Bref, la créalpolitik s’oppose à tout ce qui, au nom de l’efficacité, verrouille le débat avant même son lancement et fait passer au second plan les considérations de principe, de morale ou de dignité. 1. Des logements ou des espaces verts ? Un peu de ceci ou un peu de cela ? Les deux, mon capitaine ! « Oui, mais, c’est pas possible… », nous rétorquent-ils. Eh bien, qu’ils se débrouillent ! Au Syndicat des immenses, on pratique la créalpolitik sans le savoir depuis longtemps ! 2. La créalpolitik à la sauce du Syndicat, c’est un mémorandum qui tient en une phrase : l’udéskif, point barre, et que ça saute !

7. Dix-sept mots, ni plus, ni moins

« Ce n’est pas en améliorant la bougie qu’on a inventé la lampe électrique. » La conviction sous-jacente au projet même du présent texte tient dans ce proverbe. La fin du sans-chez-soirisme ne passe par des infléchissements ici ou là des politiques en place : elle nécessite un changement radical des mentalités, des automatismes, des certitudes. À commencer par la certitude, erronée, que le sans-chez-soirisme est une fatalité. Si les dix-sept mots ici présentés peuvent contribuer à inverser la vapeur, le SDI ne les aura pas inventés pour rien. Mais, s’ils sont indispensables pour penser à nouveaux frais, les mots ne suffisent pas.[43] Ils ne sont que les armes nécessaires à un combat qui se mène sur le terrain politique, au sens noble du terme.[44]

8. Candidature électorale

C’est après la sortie de ce numéro de Permanences critiques que je saurai si le parti Ecolo aura, ou non, accepté ma présence comme « candidat militant » sur sa liste en vue des élections fédérales du 9 juin 2024. Cet acte de candidature a ceci de particulier que je le pose à la demande expresse du SDI et, par voie de conséquence, que je ne ferai donc pas, le cas échéant, partie des candidats dits « d’ouverture » du parti. En effet, ceux-ci s’engagent à porter le programme du parti, lequel est allé les débaucher. Or je ne m’engage qu’à porter la voix, les revendications et le diagnostic du SDI (encapsulés dans l’udéskif et la créalpolitik) et que c’est nous qui avons frappé à la porte du parti. Pourquoi le parti Ecolo ? Parce que c’est le seul parti capable, à notre avis, d’envisager une « candidature militante ». Et c’est aussi une question de cohérence étymologique, vu la centralité du logement dans le combat du SDI.

 

 

  • [1] Albert Camus, « Sur une philosophie de l’expression », in Essais, Paris, Bibliothèque de La Pléiade, 1965, p. 1679.
  • [2] Le SDI est un groupe de pression et d’action, qui porte en Région de Bruxelles-Capitale les revendications des personnes en non-logement ou en mal-logement, défend leurs droits et se réunit toutes les semaines depuis mars 2019 chez DoucheFLUX. Comme il y a un syndicat des propriétaires et un syndicat des locataires, il y a désormais un syndicat des aspirants locataires/propriétaires.
  • [3] Les encadrés sont des slogans du SDI. Les 200 premiers slogans du SDI se retrouvent à la page www.syndicatdesimmenses.be/slogans.
  • [4] Voir www.brusshelp.org/index.php/fr/denombrements.
  • [5] Appelée ETHOS (pour European typology on homelessness and housing exclusion) et finalisée par la Fédération européenne des organisations nationales travaillant avec les sans-chez-soi (FEANTSA), la typologie distingue les personnes vivant dans la rue, en hébergement d’urgence, en foyer d’hébergement pour femmes, en hébergement pour immigrés, sortant d’institutions, bénéficiant d’un accompagnement en logement à long terme, en habitat précaire, menacées d’expulsion, menacées de violences domestiques, vivant dans des structures provisoires ou non conventionnelles, en logement indigne et dans des conditions de surpeuplement sévère. Toutes les personnes entrant dans l’une de ces 13 catégories sont sans authentique chez-soi.
  • [6] Les 40 revendications du SDI se retrouvent à la page www.syndicatdesimmenses.be/revendications.
  • [7] Une étymologie spontanée, donc non scientifique, d’immense en confirme l’usage : du préfixe négatif in– et du latin mansio, « lieu de séjour » (qui a effectivement donné maison).
  • [8] Le Thésaurus de l’immensité, qui totalise 200 néosanlogismes, sortira aux éditions La Lettre volée en mars 2024, à la faveur de L’immense festival, avec une préface de Caroline Lamarche, des textes littéraires et des jeux linguistiques.
  • [9] Pierre Bourdieu, Sur la télévision, Liber Éditions, 1996.
  • [10] Exactement, par exemple, comme ne sont plus sociétalement admissibles, depuis l’invention du mot féminicide, des expressions telles que « drame conjugal », « tragédie de l’amour » ou « démon de la jalousie ».
  • [11] Les synonymes d’« accabler » valent mieux qu’une longue phrase : abattre, abêtir, agonir, affliger, assiéger, briser, confondre, déprimer, diminuer, écraser, enfoncer, éreinter, humilier, obérer, oppresser, soumettre, vaincre.
  • [12] Prévu pendant tout le mois de mars 2024 en Région de Bruxelles-Capitale, L’immense festival consistera en un maximum d’événements culturels, au sens large du terme, autour de l’immensité. Outre le SDI, le Comité de pilotage du festival comprend le Cesep, Hobo, Lire et écrire Bruxelles, La Maison de la création, La Maison du livre, Les Midis de la poésie, PAC – Bruxelles et United Stages. Voir www.immensefestival.be.
  • [13] Le SDI a participé aux discussions, tout en annonçant que, si ce Masterplan lui semblait trop peu ambitieux, il lancerait son propre Mastocplan. Les retours du SDI sur la première version du Masterplan vont dans ce sens. Voir www.syndicatdesimmenses.be/wp-content/uploads/2023/11/Retours-du-SDI.pdf.
  • [14] Pour plus de détails, voir 8e regard sur le mal-logement en Europe, par la Fondation Abbé Pierre et la FEANTSA, 2023.
  • [15] Voir www.housingfirstbelgium.be/fr/pages/une-evaluation.
  • [16] Voir www.syndicatdesimmenses.be/wp-content/uploads/2020/11/SDI-contre-Ministre-de-lInterieur.pdf et www.syndicatdesimmenses.be/wp-content/uploads/2021/04/CP-Cour-europeenne.pdf.
  • [17] En particulier, il est révélateur d’une compréhension très lacunaire du sans-chez-soirisme que DoucheFLUX, la première asbl bruxelloise à avoir ouvert un hôtel dès avril 2020 et la dernière à en gérer un jusqu’en avril 2023, a dû attendre le coronavirus pour prendre conscience de l’élémentaire (rétrospectivement parlant), à savoir que le minimum pour sortir de la survie et donc pouvoir se projeter dans l’avenir est de disposer d’une chambre et d’une salle de bains privatives, condition que remplit toute chambre d’hôtel qui se respecte.
  • [18] Le point de vue des immenses sur les crises sanitaire et ukrainienne est détaillé dans Politique et immensité (éd. Maelström, 2022) qui fait suite à la première Université d’été des immenses, qui a eu lieu à la VUB en 2021.
  • [19] Pour découvrir l’étude en français ou néerlandais, voir www.syndicatdesimmenses.be/co-commanditaire-de-letude-dulbea.
  • [20] Rien n’est moins sûr, Bruss’Help, principal financeur pressenti, dont les analyses sont une des trois missions, s’étant subitement et sans prévenir retiré du projet.
  • [21] Pour une liste d’autres « mots à bannir » car incorrects, stigmatisants ou malhonnêtes selon le SDI, voir Politique et immensité, op.cit., pp. 53-58.
  • [22] Dans Politique et immensité, le SDI propose de la rebaptiser « Équité sociétale », op. cit., p.55.
  • [23] Rappelons que l’âge moyen desdits « mort·e·s de la rue », à Bruxelles comme ailleurs, est d’environ 48 ans.
  • [24] « If Housing Is a Health Care Issue, Should Medicaid Pay the Rent? » à lire via www.nytimes.com/2022/06/14/headway/medicaid-housing-rent-health.html?action=click&module=RelatedLinks&pgtype=Article
  • [25] Le nom donné à chacun de ces 4 piliers fait partie des 200 mots constituant le Thésaurus de l’immensité (cfr note 8 supra), où chaque définition est suivie de deux exemples d’usage du mot. À noter que, pour enfoncer le clou dans les esprits, le SDI s’est amusé à produire plus de 100 visuels en guise d’illustrations décalées des 4 piliers. Voir www.syndicatdesimmenses.be/piliers-du-sans-chez-soirisme-persistant.
  • [26] Emprunté au théoricien du post-colonialisme, politologue et historien Achille Mbembe, nécropolitique est le seul des « Dix-sept mots pour en finir avec le sans-chez-soirisme » qui n’ait pas été forgé par le SDI. Quant au sens nouveau donné à allomorphisme, il s’ajoute à celui connu en biologie.
  • [27] La nécropolitique est un des quatre thèmes de Politique et immensité et le lecteur intéressé y trouvera son content, op.cit., pp. 76-105 et 204-228.
  • [28] Dans ses formations à destination des futurs travailleurs sociaux, le SDI leur précise qu’ils seront inévitablement, fût-ce malgré eux, des acteurs de la nécropolitique et que, pour en limiter les effets pernicieux, il faut au moins en avoir conscience.
  • [29] Pour les détails de l’action du SDI, voir www.syndicatdesimmenses.be/action-fevrier-2022. Dans le même esprit a débuté en juin 2023 une nouvelle « manif au finish » du SDI devant les bureaux de Bruss’Help, mensuelle celle-là, afin que l’actuelle baseline de l’asbl, « Au service de l’action sociale et de la santé », soit modifiée et inclue le logement. Voir www.syndicatdesimmenses.be/action-juin-2023-ter.
  • [30] Joseph De Maistre, Les Soirées de Saint-Pétersbourg, Paris, Éditions Du Sandre, 2005.
  • [31] Dénomination alternative des « travailleurs sociaux » proposée par le SDI. Cfr note 21 supra.
  • [32] Gustave Lebon, Hier et demain. Pensées brèves, Paris, Hachette Livre BNF, 2013.
  • [33] Réservons l’adjectif « invisibilisés » aux formes que prend la volonté de gommer du paysage les indésirés qui y font tache, qu’elles soient subtiles, insidieuses ou musclées (comme le récent « nettoyage » de la gare du Midi et de ses alentours, qui, en mélangeant les sans-chez-soi avec les dealers et les pickpockets, a intensifié l’« insécurité existentielle » des immenses pour réduire le « sentiment d’insécurité » des escapés).
  • [34] Exercice de politique fiction : l’idée aurait également germé si un sans-chez-soi radicalisé parce que non relogé malgré sa détermination avait assassiné deux assistantes sociales de son CPAS.
  • [35] Les auteurs plaident, entre autres, en faveur de la mise en œuvre d’un « ’’passeport bâtiment’’, qui devrait fournir un accès direct à l’ensemble des informations relatives à un logement (historiques des baux, certificats PEB…), ainsi qu’un conventionnement des loyers. Ce dernier devrait en effet permettre de s’assurer que les propriétaires qui bénéficient d’argent public pour rénover leur logement ne puissent ensuite répercuter la plus-value apportée à leur bien sur des locataires (actuels ou futurs). Cela implique de prévoir un gel complet du loyer avant travaux pour les propriétaires-bailleurs qui reçoivent de l’argent public pour toute rénovation, mais aussi d’anticiper la possible mise en location future de leur bien pour les propriétaires occupant·es bénéficiant de primes. Une piste est d’autoriser la seule indexation des loyers sur base de l’inflation pour une période donnée, qui devrait, à notre sens, être de vingt ans. » Lire tout l’édito via www.ieb.be/Pour-une-renovation-ambitieuse-du-bati-bruxellois-avec-un-encadrement-des.
  • [36] L’inflation affecte semblablement bailleurs et locataires. Si aucune amélioration dans le logement n’est opérée, l’indexation des loyers revient à puiser dans le portefeuille des locataires de quoi amortir l’impact de l’inflation pour les bailleurs. En tout état de cause, l’indexation ne peut être automatique, sans prise en considération de l’état du bien et des frais engagés, ou non, pour son entretien.
  • [37] D’ici le lancement officiel de BADAL en mars 2024 dans le cadre de L’immense festival, le site de DoucheFLUX héberge le projet : www.doucheflux.be/notre-action/plaidoyer/badal. Soulignons la parfaite coïncidence de la création, très complémentaire à BADAL car basée sur le même diagnostic d’un rapport de force entre bailleurs et locataires trop défavorable à ces derniers, de Wuune, un Syndicat des habitant·es·s.
  • [38] Traduction anachronique, désuète et patriarcale : « en bon père de famille ».
  • [39] NIMBY est l’acronyme de Not In My Back Yard (« Pas dans mon arrière-cour ») et la traduction de l’acronyme NIMPRE est « Jamais un investissement qui pourrait miner ma réélection ». Pour info, le SDI a revisité l’acronyme NIMBY : No Immense May Bother You (« aucun·e immense n’est en droit de te contrarier »).
  • [40] Le prénom a été modifié.
  • [41] Le verbe inventé par le SDI pour décrire ce processus est s’enchésoyer.
  • [42] Solidaris et le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, par exemple, en font une revendication essentielle. C’est la première des 29 mesures préconisées dans la première version du Masterplan piloté par Bruss’Help. Le SDI en a fait une de ses revendications. Voir www.syndicatdesimmenses.be/revendications.
  • [43] Sur la place des (nouveaux) mots dans la lutte politique, voir ma postface dans Le Thésaurus de l’immensité. Cfr note 8 supra.
  • [44] Pour aller plus loin, on peut lire utilement « Tenant et aboutissants du sans-chez-soirisme » (inédit, février 2022), un texte analogue sur le fond mais différent dans la forme, puisqu’il consiste, pour l’essentiel, en la réfutation de 42 opinions courantes sur le sans-chez-soirisme : voir www.syndicatdesimmenses.be/wp-content/uploads/2022/02/Tenant-et-aboutissants-du-SCS_document-de-travail.pdf.