You follow drugs, you get drug addicts and drug dealers. But you start to follow the money, and you don’t know where the fuck it’s gonna take you.
(Vous suivez la drogue, vous trouvez des consommateurs et des dealers. Mais si vous commencez à suivre le fric, là vous ne pouvez pas savoir où ça va vous emmener[1].)
Lester Freamon, « Game Day », The Wire, 2002.
« 561 300 € de levée de dons ! Un immense merci pour votre générosité ! ». Voici ce qu’on peut lire sur la page d’accueil du site dédié à la soirée caritative « Bruxelles pour le Bien Commun ». Déclinaison bruxelloise de La Nuit du Bien Commun, du nom de la fondation philanthropique du même nom fondée par Pierre-Édouard Stérin, l’événement avait fait fortement réagir l’écosystème militant bruxellois à cause des accointances idéologiques de Stérin avec les milieux traditionnalistes, réactionnaires et identitaires français. Bon an mal an, la troisième édition de l’événement aura finalement bien eu lieu, avec ce résultat : un demi-million d’euros reversés à neuf associations sélectionnées « sans aucun critère d’appartenance politique ou confessionnelle », au terme d’un « processus rigoureux », par un Comité de soutien composé de représentants d’entreprises ou de fondations belges[2].
Autant dire une goutte d’eau. Non seulement la fondation de Stérin n’est pas la seule fondation privée à irriguer le secteur associatif en Belgique, mais, quoi qu’il en soit, celui-ci puise toujours l’essentiel de ses ressources financières du côté des subsides publics.
Selon le Baromètre des associations 2024, « les subsides, qu’ils soient permanents ou liés à des projets, restent un pilier important, voire principal, du financement des associations belges. Et bien que 7 associations sur 10 reçoivent également des dons, leur part dans le revenu total reste bien inférieure à celle des subsides[3]. » En effet, les dons représenteraient seulement 30% du financement total des associations interrogées : 17% en provenance de fondations privées, d’entreprises, de sponsoring et de mécénat ; 12% de la part de fondations d’utilité publique[4] et d’autres organismes comme la loterie nationale ; et, enfin, 12% issus de legs et testaments de particuliers.
Le pôle recherche de la Fédération Wallonie Bruxelles, dans un rapport paru la même année, fait état quant à lui d’une estimation plus basse, puisque seulement 47% des associations ayant participé au sondage rapportent des sources de financement liées au don : 29% recevraient des dons de particuliers (en ce compris les legs), et 18% seulement tireraient des ressources issues des fondations (privées ou d’utilité publique)[5], ce qui ne représente ici qu’une petite proportion des 21% de toutes les autres ressources financières dont disposent les associations hors subsides publics, qui incluent les cotisations des membres, les recettes propres, etc.
De quoi relativiser l’incursion de financeurs privés et de leurs projets politiques douteux au sein du secteur associatif en Belgique. Au fond, ce demi-million estampillé Stérin ne représente somme toute qu’un bien court et bien fragile levier d’influence. On peut, dans la foulée, objecter qu’en outre, l’argent n’a pas d’odeur : après tout, si l’argent d’un Stérin, d’un Bolloré ou d’un Musk peut contribuer à l’intérêt général en irriguant des associations aux objectifs nobles et à l’efficacité éprouvée, n’est-ce pas choisir le moindre mal ? Quelles que puissent être l’origine de leurs ressources, leurs motivations ou leurs intérêts propres, si les ultra-riches font ruisseler ne serait-ce qu’une maigre part de leurs ressources en direction de structures soutenant la réduction des inégalités, le soutien aux plus fragiles, l’éducation de la jeunesse ou l’éco-responsabilité, n’est-ce pas « déjà ça » ?
Le philanthrocapitalisme, la doctrine du moindre mal
C’est vrai que l’entreprise caritative de Stérin fait office d’épouvantail évident. D’un scandale si grossier, on infère souvent qu’il ne faut pas généraliser trop vite : La Nuit du Bien Commun reste un événement isolé qui ne permet pas de clôturer la question d’une analyse de la philanthropie au nom des convictions douteuses de son fondateur. On concédera volontiers le point, car c’est justement pour éviter les généralisations à l’emporte-pièce qu’il est nécessaire de ressaisir les élans charitables de Stérin au sein d’un ensemble plus large de pratiques : celles qui relèvent du philanthrocapitalisme.
La notion, développée par Matthew Bishop et Michael Green dans leur livre Philanthrocapitalism : How the Rich Can Save the World, sert à définir une manière supposément neuve de pratiquer la philanthropie, qui reposerait sur l’emploi des techniques et méthodes issues du monde des affaires, et, réciproquement, sur l’idée que les entreprises capitalistes elles-mêmes œuvrent « naturellement » au bien de l’humanité :
Une affirmation clef du nouveau philanthrocapitalisme consiste à dire que les affaires contribuent au bien commun. En cherchant à appliquer les méthodes et tactiques du secteur privé au domaine de la philanthropie, les philanthrocapitalistes entendent « trouver les moyens d’exploiter la recherche du profit à l’avantage de la société ». Les adeptes du philanthrocapitalisme croient aussi à la réciproque, et soutiennent que si les entreprises adoptent des démarches de responsabilité sociale, elles peuvent « aider les autres en s’aidant elles-mêmes », et accroître le niveau des prestations sociales en même temps que leurs profits[6].
Il n’y a finalement là rien d’autre qu’un motif récurrent de l’ultralibéralisme ambiant. Pourtant, prises à la lettre, ces idées auraient été considérées, au mieux, comme passablement candides il n’y a encore pas si longtemps.
En effet, le philanthrocapitalisme n’est, à bien des égards, que l’avatar le plus récent de la théorie du « doux commerce » sur le développement du capitalisme, selon laquelle les intérêts personnels et l’intérêt général seraient naturellement et inextricablement liés. Ce qui est vraiment nouveau, c’est le fait que les idées qui sous-tendent le philanthrocapitalisme soient devenues aussi influentes, quand, auparavant, une grande partie du public en Europe et en Amérique du Nord méprisait et jugeait ridicules des idées analogues, issues des théories du libéralisme économique, et y voyait une forme de maquillage idéologique servant à renforcer le pouvoir injuste des élites ploutocratiques[7].
La question est donc de parvenir à comprendre comment un tel argumentaire a pu trouver une prise, et s’enraciner dans l’imaginaire collectif au point d’être non seulement entendable, mais aussi réalisable et désirable. Il faudra donc chercher une explication extrinsèque au discours de promotion lui-même, qui permette d’en décoder la valeur contextuelle en le réintégrant dans une configuration spécifique d’éléments historiquement déterminés par rapport à laquelle il prend son sens et d’où il tire son efficace. Quelle place tiennent, dans le tableau d’ensemble, l’organisation et le pouvoir d’État, les pressions économiques, l’accroissement des inégalités, la déréliction de la couverture sociale, la confiscation des privilèges, l’idéal d’optimisation rationnelle et la prégnance de la bureaucratie ? Comment les idées du philanthrocapitalisme trouvent une position avantageuse, en relation avec tous ces éléments de composition ? Voilà les pistes que nous allons tenter d’explorer ici.
En d’autres termes, il ne s’agira pas simplement d’épingler la philanthropie comme un stratagème cynique de la caste des riches conspirant sans relâche pour l’expansion de leur emprise sur le monde[8]. D’une certaine façon, une bonne part des critiques qui visent le philanthrocapitalisme reposent sur cette idée, et ces critiques sont parfaitement justes. Qu’il suffise, dans le cadre de la présente étude, d’en faire un rapide tour d’horizon.
Les critiques les plus fréquentes à l’encontre de la philanthropie peuvent être ramenées à six grandes catégories :
- La philanthropie est par essence anti-démocratique, puisque les riches se donnent le droit de mettre à l’agenda leurs propres priorités, de privilégier les combats qu’ils jugent les plus importants, bref, de réaliser, pour la raison nécessaire et suffisante qu’ils en ont les moyens, leur propre vision de l’action d’intérêt général.
- Les fondations à visée caritative sont avant tout des investissements d’ordre économique : elles sont non seulement un moyen éprouvé d’optimisation fiscale, mais permettent également de générer du profit en tirant parti de la porosité des appareils législatifs encadrant les pratiques du don, les entreprises dites d’intérêt général, et la possibilité de produire des montages liant ensemble fondations et entreprises au sein de trusts[9].
- Dans le même ordre d’idée, la philanthropie aurait pour fonction essentielle de gérer les risques réputationnels, d’assurer au riche donateur une forme de prestige moral à travers une compensation symbolique de sa propre opulence sous forme de redistribution non contrainte.
- Le don financier est un dispositif de contrôle (on ne mord pas la main qui nous nourrit), et la philanthropie peut être comprise comme vecteur d’entrisme dans les sphères de la culture, de la santé, de la recherche, etc.
- Corollairement, la philanthropie permet l’infiltration des méthodes et des valeurs issues de l’entreprise, supposément efficaces (puisqu’elles ont permis aux capitaux de l’entreprise de fructifier de manière significative), ces méthodes et valeurs entrant en contradiction directe avec la culture du non marchand.
- La prétention de s’attaquer aux causes plutôt qu’aux symptômes des problèmes est, au mieux, un vœu pieux, au pire une illusion dangereuse, et dans tous les cas une manœuvre oxymorique (puisque les riches et le système économique au sommet duquel ils se tiennent sont la cause, ou le facteur aggravant, de la majorité des graves problèmes qu’il s’agirait de résoudre).
Voilà pour l’essentiel. Je n’essaierai pas de redéployer ces six axes de remise en cause de la philanthropie, car ils font déjà l’objet d’une littérature abondante – surtout aux États-Unis, où le rôle des fondations dans le non-profit industrial complex[10] est bien plus étendu et profondément enraciné, et pas seulement dans la structuration de la société civile, puisque les fonds de dotation là-bas peuvent directement financer des campagnes politiques. Par ailleurs, le minutieux travail d’enquête et de traitement des données empiriques n’est pas pour rien dans l’intérêt de ces travaux, et une telle recherche dépasse de loin l’envergure de la présente étude (même si, bien entendu, il serait absolument fascinant de conduire ce genre d’enquête, spécifiquement centrée sur la manière dont les interactions entre les fondations philanthropiques ou les riches donateurs et les récipiendaires des donations se traduisent de manière matérielle et tangible en Belgique, afin de mettre à l’épreuve « localement » ces six lignes critique).
Concrètement, nous allons donc essayer ici de voir pourquoi le secteur de l’éducation permanente devrait se préoccuper de ses rapports avec les vecteurs de financement issus du monde de la philanthropie dans le cadre d’une lecture des interactions entre les fondations, la société civile et le pouvoir d’État. Pour être plus exact, il s’agira de commencer à élaborer l’ébauche d’un instrument de navigation qui permette de déplacer les coordonnées à partir desquelles le problème du ruissellement de l’argent issu des fondations peut être posé.
À ce titre, la présente étude tentera donc de fournir autre chose qu’une répétition des avertissements – tout à fait légitimes et d’une importance évidemment capitale – quant aux risques que comportent les pratiques philanthropiques du point de vue de la gouvernance et de la modulation des pratiques associatives. En deux mots, il convient de dire que la philanthropie comme vecteur de financement du secteur non marchand est l’outil d’une stratégie de classe qui vise à pérenniser et à renforcer une forme aristocratique du pouvoir politique. Peu importe la formulation que l’on préférera à celle-ci, l’ensemble de la littérature critique converge en ce sens, avec un sentiment d’urgence variable.
Ce qui nous intéresse ici, c’est de chercher à fournir une grille de lisibilité quant aux moyens qui soutiennent l’efficacité de ce type de stratégie, et c’est en ce sens que nous allons tenter d’explorer l’hypothèse selon laquelle l’enjeu de la philanthropie est de favoriser, dans la société civile, les conditions d’émergence d’un grand récit collectif à narration partagée où toute ambivalence idéologique se résout sur fond et au profit d’un impensable : la relation symbiotique entre intérêts privés et appareils d’État.
Après l’État social, les comptes à rendre
Pour bien comprendre pourquoi la question est sérieuse, il faut redire un mot sur le contexte dans lequel survient La Nuit du Bien Commun. Encore une fois, même si l’on pourrait à première vue relativiser l’importance de l’événement en lui-même, cela devient nettement moins évident lorsqu’on trouve des raisons d’y voir le symptôme et le précurseur d’un possible changement de paradigme. En effet, pour le dire simplement, les fonds de dotation se trouvent de manière très majoritaire associés à l’incursion de la nouvelle gouvernance publique et de son éthos néolibéral, dont les effets pervers sont bien connus : clientélisation du public, culture de l’audit et de la performance, professionnalisation des luttes, neutralisation de la militance, exploitation massive du volontariat, démantèlement des services publics et délégitimation de l’État social. L’étalon de référence est ici le modèle états-unien, terreau fertile de ce que Marcel Hénaff, désignant ce qu’on a appelé depuis le philanthrocapitalisme, appelait la « nouvelle philanthropie capitaliste ».
Hénaff avait bien perçu, il y a plus de vingt ans déjà, l’avènement des nouvelles pratiques philanthropiques issues de la Silicon Valley comme une variante originale de don qui devait, selon lui, être comprise comme l’une des formes les plus avancées et innovantes du capitalisme. Loin du potlach traditionnel (soit le don agonistique, libre et contraint, lié à une volonté de reconnaissance publique) ou même des compensations symboliques censées régler la dette des riches envers la société dans un contexte d’inégalités fortes, le don financier est ici arrimé à une perspective de retour sur investissement qui va bien au-delà de la simple optimisation fiscale, car ce qui est ici visé, c’est l’extension de la logique capitaliste dans les sphères qui lui étaient étrangères[11]. L’enjeu est donc avant tout culturel, si l’on accepte l’idée que la notion de culture englobe les notions de culture organisationnelle et de culture du travail – plus fondamentalement, nous verrons que le champ de bataille est celui des valeurs et du type de récit qui prédominera à l’avenir.
En 2003, Hénaff affirmait que cette nouvelle philanthropie capitaliste aurait eu du mal à s’implanter en Europe, pour la simple raison que cette charité « s’exerce sur un fond d’injustice sociale […] qui en Europe serait considérée comme totalement inacceptable[12] ». Force est de constater que les seuils de tolérance ont, en un petit quart de siècle, tendu à s’harmoniser des deux côtés de l’Atlantique[13]. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de s’étendre longuement sur la pression monumentale que fait peser le gouvernement Arizona sur les classes populaires, les précaires, les malades, les non-blanc·hes, les femmes et, pour ce qui concerne plus spécifiquement cette étude, sur les travailleur·euses dans les secteurs de la santé, de l’enseignement, du travail social et de la culture. On pourrait sans exagération étendre la liste à tout ce qui ne ressemble pas à un patron, un consultant ou toute autre forme d’agent du capital, mais ce n’est pas le propos ici.
Le creusement des inégalités, l’asphyxie du travail social et le délitement organisé de l’État social constituent un formidable « appel d’air pour un nouveau développement de la philanthropie[14] ». Si donc la question est « Pourquoi, en tant qu’association d’éducation permanente, faudrait-il s’intéresser à la philanthropie ? », la réponse paraît claire : parce que nous sommes sur une trajectoire où les comptes à rendre aux fondations privées risquent d’augmenter significativement. Nous allons voir qu’un changement de proportion dans les parts de financement du secteur peut conduire à une interrogation sur les rapports entre la culture organisationnelle du marché et celle de l’État.
Le don contre l’impôt et le profit social, ou de quoi le non marchand est-il le nom ?
Sur son site internet, l’UNIPSO – la confédération intersectorielle des employeurs du secteur à profit social (non marchand) en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles[15] – recommande de désigner le secteur non marchand, comme il est d’usage en Flandre, de manière positive : en disant ce qu’il est plutôt que ce qu’il n’est pas. L’expression « secteur à profit social » serait donc préférable à celle de « non marchand ».
Englobant le secteur associatif, ce secteur le dépasse en ampleur et regroupe également le secteur public, ainsi qu’un grand nombre d’aspects de l’économie sociale. La page consacrée à la définition du terme se clôture sur un tableau utile et quelques commentaires, que je me permets de reproduire ici :
| Secteur privé | Secteur public | |||
|---|---|---|---|---|
| À but lucratif | À but non lucratif | À but non lucratif | À but lucratif | |
| Ressources marchandes | Entreprises privées traditionnelles | Coopératives (5) | Entreprises publiques | Entreprises publiques |
| Ressources mixtes | Entreprises privées qui bénéficient d’un financement public | Associations, mutuelles (1) | Entreprises publiques, services publics (3) | |
| Ressources non marchandes | Associations, fondations (2) | Services publics, administrations publiques (4) | ||
Source : M.Marée et S.Martens (2002)
De manière schématique et en reprenant les différentes définitions, le secteur non marchand recouvre les zones (1), (2), (3) et (4) du tableau tandis que l’économie sociale y est représentée par les zones (1), (2) et (5). Le secteur associatif couvre, quant à lui, les cases qui sont communes au secteur non marchand et à l’économie sociale, c’est à dire uniquement la zone (1) et (2).
Ces trois concepts partagent une même idée, une même philosophie : une finalité à but non lucrative et à profit social. Par conséquent, on pourrait envisager de les regrouper tous au sein du « secteur à profit social ». En revanche, il semble inutile et contre-productif de vouloir démanteler et opposer cet ensemble sur base du critère « arbitraire » de l’origine des ressources[16].
Cette dernière précision est pour le moins étonnante. Ou, du moins, elle entre en contradiction directe avec une très abondante littérature critique qui s’inquiète justement de ce que l’origine des ressources trace des lignes de démarcation très nettes quant à la nature, à la méthodologie et aux résultats des projets poursuivis par les entreprises non marchandes.
De manière très claire, l’enjeu est ici de parvenir à déterminer le cadrage de tout ce travail qui n’est pas assujetti (du moins directement) au capital et à son impératif fondamental : générer du profit[17]. Quelles sont, alors, les visées d’un tel champ d’activité ? quel est son régime de justification, sa raison d’être ? les valeurs qui le sous-tendent et l’habitus qui le traverse ? comment, en définitive, l’évaluer et en assurer la gestion ?
Dire que l’on travaille dans le « secteur à profit social », c’est déjà calibrer très explicitement la nature de sa contribution à la société. Reste donc à savoir ce que l’on entend par « profit social ». C’est ici que peuvent s’articuler l’essentiel des six grandes critiques évoquées plus haut. Cela dit, si du point de vue des investisseurs du philanthrocapitalisme, l’idée d’un retour sur investissement est coextensive de l’acte de donner, il est, je pense, essentiel de ne pas s’arrêter là.
J’aimerais tenter d’explorer une voie différente, en examinant les prétentions à agir pour l’intérêt général comme des affirmations émises en toute bonne foi. Bien entendu, cela renforce l’utilité de savoir à quel point de nobles poursuites telles qu’« agir ensemble pour une société meilleure » et « donner du sens à son engagement[18] » sont susceptibles de recouvrir un sens très différent pour la Fondation Roi Baudouin, la 4Wings Foundation, le Rotary Club de Bruxelles, ou encore le comité de La Nuit du Bien Commun – et, en réalité, on l’aura compris, pour toute fondation qui investit dans le « secteur à profit social ». Le but n’est pas de dénoncer les fondations comme les instruments d’une grande ploutocratie autoritaire ou réactionnaire, mais il n’est pas difficile de comprendre en quoi le fait même de se poser ce genre de question révèle la verticalité et l’arbitraire d’un tel régime de financement.
Fondamentalement, ce qui se joue ici, c’est la rencontre entre deux modèles : l’un basé sur l’impôt[19], l’autre sur le don. La tension est située du côté du plan, de l’architecture selon laquelle on envisage la conduite des « affaires qui n’en sont pas », c’est-à-dire de tout ce qui n’entre pas directement et explicitement dans la sphère marchande, et qui, en-dehors des relations de commerce, rend la société possible en assurant, pour une large part, les fonctions de cohésion, de soin, d’éducation, de culture.
D’un côté, il s’agit – sur le principe – de collectiviser d’office le financement de toutes ces activités essentielles, en centralisant les ressources par un prélèvement obligatoire pour les redistribuer ensuite en fonction d’un plan délibéré et sélectionné démocratiquement ; de l’autre, un comité de sélection (voire un seul individu) décide d’une ligne d’action et consent volontairement à y allouer une portion de son capital.
C’est une vision très schématique, mais elle a le double mérite a) de laisser entrevoir très clairement les énormes différences qu’impliquent les deux modèles et b) d’inviter à comprendre ce qui rend l’alternative même concevable. Il est en effet raisonnable d’avancer que personne, a priori, ne trouverait désirable de dépendre unilatéralement des largesses d’une classe dominante et d’être soumis à son bon vouloir. Pourquoi donc une société supposément démocratique, participative, rationnelle et libérale choisi-elle de se mettre en voie de dépendance, pour ce qui est du secteur non marchand, vis-à-vis de l’investissement libre et volontaire des riches, plutôt que de les taxer davantage ?
Les deux modèles, on l’a vu plus haut, interagissent en réalité, et il est peu probable qu’on assiste de sitôt à la supplétion de l’impôt et du service public par des entreprises d’intérêt général financées par la classe bourgeoise. Néanmoins, les fonds de dotation tendent à jouer un rôle de plus en plus important, sinon essentiel, dans la pérennité des associations. À moins donc de ne pas pouvoir penser au-delà du réalisme capitaliste le plus élémentaire, on peut a minima s’étonner de ce que la philanthropie soit encouragée à grands coups – c’est là toute l’ironie de la chose – d’avantages fiscaux. Tout se passe comme si les responsables politiques n’y voyaient, du point de vue du pouvoir d’État, aucun manque à gagner, alors même qu’il est question de transférer une part de la finance publique entre les mains d’acteurs privés. Même dans la perspective d’un État faible, la pression des crises sociales et économiques successives depuis le début des années 2010 devrait au moins laisser une possibilité pour qu’un débat sur cette question soit ouvert. Mais, à y regarder de loin, ce qui reste de l’État social a l’air bien déterminé à perdre du terrain, et l’on ne semble pas capable d’imaginer autre chose que de s’en remettre à l’infiltration galopante de la logique de marché et à la bienveillance (ou à l’intérêt bien compris) de la classe dominante.
En d’autres termes, la préférence pour la défiscalisation des dons plutôt que pour l’imposition du capital n’aurait pas beaucoup de sens si le bras de fer se jouait entre logique de marché et organisation d’État. De ce point de vue, la conquête de l’État par la logique de marché est consommée depuis longtemps, même s’il s’agit bien davantage d’une interpénétration des deux règnes que d’une simple reddition de l’un au profit de l’autre. Dès lors, concevoir la philanthropie comme le signe de la résolution en cours d’une tension entre marché et État à la faveur du premier n’est qu’une manière de poser le problème qui, en définitive, n’apporte pas grand-chose de nouveau qu’une énième variation sur le thème des nuisances du néolibéralisme (liées à la logique d’entreprise, à la marchandisation, à la dérégulation, etc.)[20].
Nous allons donc devoir adopter une méthode d’analyse interprétative fine, qui doit nous permettre d’éviter d’en venir à penser, pour revenir à ce qui nous concerne directement en tant qu’association d’éducation permanence en Fédération Wallonie-Bruxelles, qu’il faudrait se réjouir de dépendre des pouvoirs publics plutôt que de la fondation de Stérin, qu’il y aurait donc une bonne gouvernance associative (la fédération) contre une mauvaise (la fondation). La nouvelle gouvernance publique est une démonstration patente de l’absurdité d’une telle opposition tranchée. La coexistence, la superposition partielle, le recouvrement, l’escamotage et l’éventuelle harmonisation de plusieurs régimes de gouvernance fournissent les éléments d’une grille de lecture beaucoup plus intéressante.
Cela dit, pas question de renoncer à concevoir toute forme de conflit simplement parce qu’on se refuse ici à absolutiser deux termes en opposition : la conflictualité peut être subtile, mitigée, voire inconsciente. Cela ne signifie pas qu’elle n’existe pas. De fait, la fraction la plus riche de la bourgeoisie lutte pour l’imposition d’une culture en congruence avec ses intérêts, et elle présente explicitement son activité philanthropique comme une stratégie pour lutter contre un ennemi commun. Mais cet ennemi commun, ce n’est pas l’État.
« Slasher la bureaucratie »
Dans le champ de la recherche, l’opposition entre les fondations philanthropiques et l’État fait pourtant l’objet d’un assez large consensus. Les motifs de prétention à cette concurrence – pluralisme, efficacité, bien public – délimitent un terrain de dispute dont l’enjeu est la représentation de l’intérêt général[21].
Toutefois, pour reprendre la très juste formule de Nicolas Guilhot, « comme toutes les oppositions tranchées entre des modèles abstraits, celle qui nous est proposée – la philanthropie privée d’un côté, la solidarité et la justice sociale garanties par l’État de l’autre – est à la fois globalement fondée et en partie trompeuse[22]. » C’est donc sur la partie trompeuse qu’il s’agit de nous concentrer, et, parce que nous nous intéressons ici au philanthrocapitalisme comme stratégie et expression d’un modèle plus général d’organisation du pouvoir, c’est à cette fin que nous allons tenter de cerner un peu plus précisément « l’ennemi commun » déclaré de la classe des ultra-riches.
Nous allons émettre l’hypothèse ici que l’opposition entre le don et l’impôt renvoie à une opposition plus fondamentale et plus ancienne, qui nous permettra de dialectiser la première. Une fois ce cadre de référence établi, nous pourrons alors nous pencher sur la méthode interprétative dont nous allons nous servir pour tenter de montrer en quoi le philanthrocapitalisme se nourrit d’une série d’ambivalences sémiotiques qui brouillent le champ des représentations ayant cours dans la société civile, et, plus spécifiquement pour ce qui nous concerne, dans cette fraction du non marchand que représente les associations actives en éducation permanente.
Mais revenons un peu en arrière. En janvier dernier, à l’occasion de la présentation des résultats 2024 du groupe LVMH, Bernard Arnault déclarait ceci :
Je reviens des USA et j’ai pu voir le vent d’optimisme qui régnait dans ce pays. Et quand on revient en France, c’est un peu la douche froide. Aux USA, les impôts vont descendre à 15 %, les ateliers sont subventionnés dans une série d’États et le président américain encourage ça, le marché se développe très vite. Quand on revient en France et qu’on voit qu’on s’apprête à augmenter de 40 % les impôts des entreprises qui fabriquent en France, c’est à peine croyable. Donc on va taxer le « made in France ». Pour refroidir les énergies, on fait difficilement mieux. Pour pousser à la délocalisation, c’est idéal ! Alors je ne sais pas si c’est vraiment l’objectif du gouvernement, mais en tout cas il va l’atteindre. On a proposé d’autres solutions, mais évidemment la bureaucratie… Il faudrait faire comme aux États-Unis et nommer quelqu’un pour « slasher » (sic) un peu la bureaucratie. Mais dès qu’on essaie de faire ça, là, on est poursuivi… C’est impossible[23].
Cette sortie prodigieuse nous éclaire sur un point très significatif : ce n’est pas du tout le principe de l’État que M. Arnault n’apprécie pas, puisqu’il trouve très admirable la politique de subvention (ça ne s’invente pas) d’ateliers de production en vigueur dans cet eldorado de la croissance. Ce qui le contrarie, au point d’en arriver à menacer très subtilement de délocaliser, c’est l’impôt. Or, ce grand obstacle à la liberté d’entreprendre, le milliardaire ne l’associe pas stricto sensu à l’État, mais à un principe organisationnel sous-jacent : la bureaucratie.
Il faudrait donc confier à un individu choisi la mission de « slasher » la bureaucratie. Cette affirmation n’est pas à prendre à la légère, elle révèle énormément du rapport qu’un milliardaire comme Bernard Arnault entretient avec les structures de pouvoir dont, en réalité, il dépend. Je pense qu’on peut avancer ici que M. Arnault ne fait qu’exprimer très candidement les tensions qui animent la classe des ultra-riches dans leurs relations avec le pouvoir d’État, ainsi que leur propre position vis-à-vis de la société civile, et, plus fondamentalement, la manière dont ils peuvent concevoir la nature du pouvoir ainsi que la juste manière de l’exercer.
À ce titre, il est très intéressant de se pencher sur la manière dont Elon Musk, puisqu’il s’agit clairement ici de l’objet de la fervente admiration du milliardaire français, envisage la question. À l’occasion d’un « Space[24] » tenu sur X (anciennement Twitter) en février 2025, Musk a tenu, lui aussi, des propos particulièrement révélateurs :
Pour que nous soyons une véritable démocratie, une démocratie fonctionnelle, le gouvernement doit être à l’écoute du peuple.
C’est littéralement ce que signifie la démocratie.
Cependant, lorsque vous avez une vaste bureaucratie non élue qui n’est pas responsable devant le public, et si les élus, le Président, les membres du Congrès et du Sénat, n’ont pas le pouvoir d’influencer la bureaucratie – et il est en réalité extrêmement difficile d’influencer la bureaucratie – alors vous n’avez pas le pouvoir du peuple.
Alors, vous n’avez pas de démocratie, mais vous avez le pouvoir du bureau – la bureaucratie.
Et c’est évidemment mauvais.
C’est inconstitutionnel et il est dès lors impératif que nous rendions le pouvoir au peuple du pays et que nous n’ayons pas de tyrannie de la bureaucratie, ce que nous avons certainement connu à un degré absurde.
Ce n’est pas seulement qu’il existe une quatrième branche inconstitutionnelle du gouvernement, mais c’est sans doute la branche la plus puissante du gouvernement[25].
Le directeur de Tesla, propriétaire de X, ex-conseiller du président Trump et directeur du DOGE, qui semble ici particulièrement concerné par la constitutionnalité du pouvoir d’État et par la préservation de la gouvernance démocratique, semble donc identifier la bureaucratie comme l’expression d’une forme de pouvoir tyrannique parasitant et pervertissant le concept même de l’État démocratique. Ce n’est donc, ici non plus, pas l’État en soi qui pose problème, puisqu’il est censément le garant du pouvoir du peuple. Ce n’est que la bureaucratie en son sein qui est un ennemi de la démocratie.
De toute évidence, il ne s’agira pas ici de discuter la cohérence de ce genre de propos. Comme je le disais plus haut, nous allons supposer plutôt une forme de bonne foi, ou d’auto-conviction ; car après tout, rien ne nous permet d’affirmer que Musk, de même qu’Arnault, Stérin, Gates et tant d’autres, ne sont pas réellement convaincus d’agir aussi pour l’intérêt général et le bien commun. Bien au contraire, la teneur de leurs propos (de même que l’ampleur et la portée de leurs projets) permet de supposer qu’ils entendent agir pour améliorer les choses, même en dehors de leurs éventuelles œuvres philanthropiques[26] : l’un des axiomes de la pensée néolibérale les incite à penser que la poursuite de leurs propres intérêts sert in fine le bien commun, d’une manière ou l’autre. Dans cette perspective, il faut ajouter que leur réussite en tant qu’hommes d’affaires les autorise à prétendre au statut de visionnaire, ou, à tout le moins, de bon gestionnaire. Pourquoi, donc, ne pas leur confier aussi la gestion d’autres affaires que celles strictement commerciales ? Leur vision et leur méthode n’ont-elles après tout pas fait leurs preuves ?
On objectera peut-être qu’il s’agit là d’une mouture psychologisante des critiques évoquées plus tôt, mais ce n’est pas tout à fait exact : il est beaucoup moins question ici d’éventuels états d’âmes que de déclarations et de postures idéologiques inextricablement reliées à des conditions positionnelles matériellement objectivables. Ce ne sont donc pas les intentions qui comptent ici, ce sont leurs effets ; et, dans le cas d’un discours, ces effets – en l’occurrence, de sens – sont fonction d’un contexte de réception dans lequel la position sociale de l’agent émetteur et sa potentialité d’action sont d’une importance capitale[27] . À plus forte raison lorsque cette potentialité d’action est l’objet même du discours.
Il est en effet question pour les philanthrocapitalistes de « faire la différence », non pas tant par rapport aux insuffisances d’une politique publique que par contraste avec ce mode d’exercice du pouvoir tant décrié qu’est la bureaucratie, conçue comme un appareil pesant, absurde et profondément inefficace de règles absconses, un Béhémoth qui vampirise toute capacité d’action, « refroidit les énergies », annihile la créativité et l’innovation[28]. Ainsi, les parangons de la nouvelle philanthropie se proposent-ils de mettre leur expertise, leur compétence, leur vision directement au service de nobles causes. Pleinement confortés dans la naturalité de leur position dominante, il est question ici d’endosser un rôle héroïque, au nom du bien commun. Ce faisant, l’objectif n’est pas de supprimer toute forme d’appareil d’État, mais plutôt d’en prendre le contrôle, afin d’y faire prédominer une certaine conception rénovée de l’action publique, plus « libre », plus « souple », plus « adaptative », « spontanée », et donc, plus optimale :
Au final, ce qui est disqualifié est moins l’Etat lui-même […] que l’idée d’intervention dirigée au service d’objectifs établis politiquement. Et elle l’est au nom d’une conception de l’innovation où c’est le grand « marché des idées », processeur d’information sinon infaillible du moins infiniment supérieur à tout organisme centralisé […] qui sélectionne les meilleurs projets et fait émerger les bonnes solutions[29].
On reconnaîtra ici sans peine la partition archi-connue, constamment rejouée : face au monolithe interventionniste de l’appareil bureaucratique, il s’agirait de proposer, ou plutôt d’imposer une approche plus adaptée à la réalité, c’est-à-dire plus libérale. Peu importe que cette approche « à l’écoute du peuple », ce « marché des idées », cet ouvroir à solutions créatives doive être tout de même un peu guidé par une poignée d’individus éclairés : la main invisible, certes, mais pas aveugle.
Tout ceci révèle un aspect important de la raison d’être du philanthrocapitalisme. En deux mots, il n’est pas question pour les ultra-riches de supprimer l’État, ni même, au fond, de le « réduire ». Il ne saurait en être question ne serait-ce que pour la raison simple que l’État, du fait de son monopole de la violence légitime, est la condition de possibilité du marché « libre », en ce qu’il garantit que ses lois soient respectées[30]. Il s’agit plutôt pour eux de conquérir, voire de devenir l’État. Non pas au sens où il s’agirait simplement d’obtenir un poste d’élu dans l’une ou l’autre instance du pouvoir, mais au sens d’une refonte de ce que l’État représente, signifie, et d’un réalignement de ses modalités d’action sur celles qui prévalent dans le domaine des affaires[31]. Pour le dire autrement, l’enjeu n’est pas ici d’aboutir à une forme de marchandisation de l’État, mais au contraire d’étatisation du marché, c’est-à-dire un stade où les frontières entre l’action publique et l’initiative privée ont été rendues si poreuses que les usages vendus comme les plus efficaces devraient prévaloir comme la voie royale pour le traitement des affaires collectives et des externalités sociétales. Ce dont l’approche bureaucratique, lente, normée, aveugle et désincarnée ne peut se charger qu’avec un rendement moindre.
Dans cette perspective, la philanthropie, en irriguant le secteur non marchand de ressources, mais aussi d’agents, d’idées, de discours et de pratiques « expertes », constitue très explicitement une stratégie d’entrisme, une considérable somme d’efforts et de moyens dépensés à « s’intégrer à la gouvernance de l’État […] avec un projet politique clair : modifier les pratiques et les programmes gouvernementaux[32]. » Il existe de nombreuses stratégies pour parvenir à cette fin générique, et il va sans dire que toutes les fondations ne sont pas nécessairement animées du même projet politique. Néanmoins, en tant que mécanisme de redistribution des moyens, de discrimination et de sélections des priorités du travail dans les champs de la culture, de l’éducation (permanente ou non), du soin et de la justice sociale, il est impossible de ne pas voir une convergence vers une proposition de société inégalitaire fondé sur la dynamique somptuaire du don, au prix du renoncement à une société, certes inégalitaire, mais où l’imposition reflète l’ancrage d’un idéal-type : celui d’une collectivisation démocratique des questions d’intérêt général.
Tout l’intérêt de recourir à la triangulation de l’opposition don-impôt à travers une mise en évidence de la fonction de repoussoir qu’occupe la bureaucratie dans le discours de ceux à qui l’idéologie néolibérale profite le plus, était de ne pas tomber dans l’opposition tranchée. Or, – et c’est là que les choses deviennent intéressantes – la critique de l’appareil bureaucratique évoquée ici par le biais d’Arnault et de Musk paraît, pour une part, tout à fait entendable : s’il y a bien un point sur lequel on pourrait s’attendre à mettre d’accord sans trop de difficultés un militant de gauche et un milliardaire d’extrême-droite, c’est sans doute sur l’absurdité dramatique et incapacitante des labyrinthes bureaucratiques[33].
David Graeber, dans son ouvrage Bureaucratie, fournit de passionnantes pistes d’interprétation du phénomène de bureaucratisation croissante de nos sociétés en prenant appui sur ce qu’il appelle la « loi d’airain du libéralisme », et qu’il formule comme suit :
Toute réforme de marché – toute initiative gouvernementale conçue pour réduire les pesanteurs administratives et promouvoir les forces du marché – aura pour effet ultime d’accroître le nombre total de réglementations, le volume total de paperasse et l’effectif total des agents de l’État[34].
Graeber poursuit en avançant que l’autorégulation des marchés ne fonctionne en réalité pas ; le fait qu’il soit nécessaire de recourir à une gestion de type bureaucratique pour en corriger les déséquilibres est une réalité admise depuis longtemps, même à droite. Mais cela fait longtemps que « les populistes de droite ont bien compris que les réalités importaient peu : politiquement, s’attaquer aux bureaucrates était presque toujours payant[35]. »
La charge contre la bureaucratie de la part de la classe dominante apparaît donc comme paradoxale : si prêcher moins de bureaucratie et davantage de liberté de marché mène à l’édification de toujours plus de bureaucratie, c’est précisément parce que l’appareil bureaucratique, pour Graeber, est l’un des piliers de soutènement d’un nouveau régime financier fondé sur la fusion des puissances publique et privée[36]. Dans cette économie financiarisée et articulée autour de grandes entreprises-institutions, la fonction d’arbitrage assurée par l’État devient prépondérante, au point que « le mécanisme central d’extraction des profits pour le secteur privé devient l’État lui-même[37]. »
Voilà pourquoi la classe bourgeoise n’appelle jamais (sauf peut-être, à la marge, sa fraction la plus radicalement libertarienne) à une suppression pure et simple de l’État, ni même, au fond, à sa « réduction » : comprenant fort bien que l’État est le garant de l’imposition du mode d’extraction et de circulation de la richesse sur laquelle elle capitalise, tout au plus appelle-t-elle à une optimisation de cette garantie. L’appel à la « déréglementation » ou à la « réforme » n’a pour autre signification que de chercher à obtenir un autre ensemble de règles plus avantageux – quitte à s’en assurer par entrisme, népotisme, lobbyisme, etc. En revanche, la charge contre la bureaucratie est à la fois beaucoup plus présente et beaucoup plus virulente. Or, si dans nos sociétés modernes la bureaucratie représente la réalisation (c’est-à-dire la mise en effet et le suivi) de toute réglementation, et si elle fait concrètement office, comme nous venons de le voir, de courroie de transmission d’une fusion des pouvoirs publics et privés dans le sens d’un devenir-État de la classe bourgeoise, alors une question se pose : en appelant à un monde post-bureaucratique, la classe dominante joue-t-elle contre son propre camp ?
Le gambit philanthropique
La réponse est évidente : bien sûr que non. Mais alors, qu’est-ce qui peut motiver les ultra-riches à saper la valeur sociale d’une administration sur laquelle, en définitive, leur prospérité repose ? Quel est l’intérêt d’une telle tactique ? Pour répondre à cette question, il faut garder à l’esprit la position que le riche philanthrope occupe à travers sa fondation et ses bonnes œuvres : il est un héros visionnaire qui se saisit d’une cause d’intérêt général pour lui apporter une solution radicale, en s’attaquant aux racines du problème grâce à sa compétence et/ou ses ressources hors du commun :
la légitimation de la délégation de plus en plus fréquente des services publics au secteur à but lucratif résulte en partie de la popularité de philanthrocapitalistes ultra-riches – des célébrités comme Bill Gates, Mark Zuckerberg et Pierre Omidyar, qui ont activement défendu une idéologie de la « munificence du marché » reposant sur la conviction selon laquelle la conciliation des profits des entreprises et du bien commun peut mener à la prospérité générale[38].
La puissance (réelle) et le génie (supposé) de ces individus forment une méta-justification qui autorise la caste des héros à entrer en action au service de l’intérêt général. En tant que telle, cette méta-justification, parce qu’elle se focalise sur les notions délibérément floues d’« efficacité » et de « rationalité », sert avant tout à masquer les valeurs réelles qui sous-tendent l’action philanthropique : on cadre ici le discours sur une valorisation de la méthode plutôt que sur la définition des fins[39]. Sur cette base, on peut relever que cette méta-justification est totalement creuse, puisqu’elle s’appliquerait aussi bien, moyennant quelques aménagements, à l’implémentation de l’appareil bureaucratique – celui-là même que l’entreprenariat du bien commun a censément pour vocation de supplanter. De fait, l’un comme l’autre peut être vendu comme une réponse rationnelle et efficace à un problème de grande ampleur[40].
C’est donc une sorte particulière d’efficacité qui a cours ici, qui n’est pas étrangère à l’aura de l’action héroïque. L’autorité charismatique de ces héros visionnaires que sont les richissimes donateurs rejaillit sur les structures qu’ils incarnent, de part et d’autre de cette fusion des pouvoirs publics et privés à travers laquelle ils font advenir un régime de pouvoir de type aristocratique – le gouvernement des meilleurs. La promotion de ce mythe séduisant du super-riche soucieux de changer le cours des choses permet à la classe économiquement dominante de jouer une tactique redoutable dans le jeu conflictuel qui a pour but la définition des normes sociales – ou, si l’on préfère employer ce vocabulaire, la maîtrise de l’appareil idéologique d’État –, tactique que je propose d’appeler le gambit philanthropique.
Au jeu d’échecs, un gambit est un coup qui consiste, en début de partie, à sacrifier un pion ou une pièce pour obtenir un avantage positionnel. Il s’agit, en d’autres termes, d’offrir un cadeau empoisonné à l’adversaire. On peut aisément voir en quoi le financement par le don pourrait entrer dans cette catégorie de coup, mais je pense que le piège le plus retors est ici l’apparente charge contre la bureaucratie, parce que, joué par la classe dominante, c’est un coup gagnant dans tous les cas : adhérer à la critique de la bureaucratie revient à épouser un narratif de l’efficacité de l’entrepreneuriat contre les aberrations de l’administration sclérosée ; y renoncer exige d’entreprendre une réfutation et, surtout, de proposer une contre-narration efficace, ou d’être piégé dans la délicate position consistant à défendre l’appareil bureaucratique en dépit de son caractère effectivement austère, déshumanisant et souvent absurde. Dans tous les cas, la position des ultra-riches s’améliore : ou bien par une déréglementation (c’est-à-dire une modification des règles en leur faveur), ou bien par le maintien d’une configuration déjà gagnante[41].
Si cet examen du cadrage idéologique des pratiques philanthropiques et de la latitude laissée aux grands capitalistes de se prendre pour les garants de la justice sociale en devenant les acteurs clés de la redistribution des ressources, c’est parce que l’art du storytelling permet de creuser le chemin de moindre résistance que suivra cette rivière financière. En effet, il est important de garder à l’esprit que
si l’on donne un pouvoir social suffisant à un ensemble de gens qui professent certaines idées, même les plus extravagantes, ils finiront, délibérément ou non, par produire un monde organisé de telle façon qu’il persuadera ceux qui y vivent, par mille biais subtils, de l’évidence absolue de ces idées[42].
Dès le XIXe siècle, les nouveaux barons du capital ont déployé des efforts considérables pour prêcher le nouvel évangile de la valeur-capital, « pas seulement dans les Rotary clubs et les chambres de commerce, mais aussi dans les écoles, les églises et les associations civiques [43]. » Dans un contexte similaire (oligarchie économique, précarité grandissante de la classe travailleuse, creusement abyssal des écarts de richesses entre les plus riches et les plus pauvres, concentration des appareils productifs entre les mains d’une ploutocratie à la tête de conglomérats monopolistiques, absence ou recul de l’aide sociale et de la solidarité organisée par l’État, etc.), les mêmes efforts sont déployés aujourd’hui par la même caste dominante.
Or, si d’importantes mutations culturelles, politiques et économiques ont eu lieu depuis l’époque des grands industriels tayloristes (et l’invasion du vocabulaire et des techniques issus du monde de l’entreprise dans à peu près toutes les autres sphères de la société n’est pas la moindre d’entre elles), il est plus que jamais essentiel d’identifier l’expression de ces efforts, ou, si l’on préfère, leur mécanique, leurs points d’impulsion et d’impact, les milieux qu’ils traversent et la trajectoire qu’ils y tracent. C’est à cette fin que nous allons, dans le dernier mouvement de cette étude, amorcer la piste d’un « examen balistique » dans le secteur non marchand à l’aide de la notion d’idéologème.
Idéologèmes et écrans de fumée
Dans L’inconscient politique, ouvrage majeur de la critique culturelle marxiste, Fredric Jameson propose la définition suivante de l’idéologème : il est « la plus petite unité intelligible des discours collectifs, essentiellement antagonistes, des classes sociales[44] ». Les idéologèmes prennent en fait la forme de motifs admis, impensés, potentiellement très problématiques en raison de leur caractère agglomérant et ouvert. S’ils constituent un excellent révélateur des précipités locaux de la concurrence et des recouvrements entre des représentations distinctes de l’État, du marché, de la nature du politique et du rôle de la société civile dans les métamorphoses du pouvoir, ils sont aussi un formidable outil d’implémentation idéologique, justement parce que le lien direct qu’ils entretiennent avec les systèmes de croyances qui s’y nouent a été si profondément dilué qu’il n’est plus du tout ni évident, ni univoque[45].
Ainsi, par exemple, on verra s’intriquer une série très identifiable d’idéologèmes dans l’idée que l’économie du don serait une réponse solidaire et démocratique aux dérives du capitalisme, et que cette réponse serait l’apanage des associations, créatrices de liens « à échelle humaine »[46] Cette forme de protorécit convoque des grands personnages collectifs aux prises dans une lutte où les valeurs du « local », du « gratuit », de « l’engagement libre », etc. sont érigées en remparts contre les appétences machiniques et prédatrices du capitalisme mondialisé. Le problème avec ce protorécit, c’est qu’il est si aisément mobilisable dans l’imaginaire collectif qu’il peut servir à générer des écrans de fumée, à créer de fausses dichotomies abstraites qui égarent – c’est-à-dire neutralisent – complètement la réflexion politique, et à légitimer in fine à peu près n’importe quoi. À plus forte raison parce qu’il est très difficile de s’y opposer frontalement (de la même manière qu’il est très difficile de défendre la bureaucratie) sans risquer d’être inaudible[47].
Il est donc possible de pointer un ensemble d’idéologèmes communément rencontrés, tous connotés positivement, qui tendent à se renforcer les uns les autres dans la légitimation du philanthrocapitalisme. À cet égard, on doit par exemple à Nicolas Duvoux une cartographie des valeurs transversale de la philanthropie, parmi lesquelles on trouvera notamment : la volonté de « traiter les causes » plutôt que des symptômes des problèmes sociaux, la scientificité, la soutenabilité, le fait de « chercher à assurer l’autonomie des populations », la notion floue d’intérêt général, le souci de l’amélioration de la condition des plus pauvres[48]. Dans la même veine, il pourrait être particulièrement intéressant d’interroger comment ce type de représentations et de valeurs infusent dans le milieu des associations, à travers les discours, les savoirs, les relations et les pratiques de terrain générées « librement », « spontanément » par les travailleurs et les publics eux-mêmes. Y décèlerait-on une homologie entre le rapport d’inféodation des opérateurs aux fondations donatrices et la violence symbolique liée au don de soi, à la disposition charitable, au credo de bienveillance ordonnée, au sacerdoce du travailleur social ? Pour qui est tributaire d’un mécène, le don de soi, l’investissement sans faille, l’obéissance aveugle ne sont-ils pas l’objet de la transaction, la condition de la reconnaissance, et, du même coup, l’attitude implicitement attendue du public[49] ?
L’objectif ultime de cette stratégie est d’obtenir l’assentiment spontané, irréfléchi, de la majorité du public : le concept de réalisme capitaliste, par lequel on désigne la naturalisation complète de la vision du monde propre à servir les intérêts de la classe dominante dans ce système économique particulier, peut servir à nommer cet objectif[50]. Ainsi, comme l’ont bien montré McGoey, Thiel et West, la légitimation du philanthrocapitalisme peut se comprendre comme
la colonisation systémique du « monde vécu », par laquelle une nouvelle faction sociale – en l’occurrence, les partisans du philanthrocapitalisme – s’essaye à des initiatives charitables en matière d’action sociale, mais exclut néanmoins du débat public certains thèmes, interdisant toute possibilité de participation du public aux processus décisionnels. Ici, la construction historique de la naturalité du marché sert à dédifférencier le « sous-système » politique de l’action étatique et entrepreneuriale en matière de protection sociale, tout en propulsant la « représentation symbolique » des élites néolibérales sur le devant de la sphère publique.
Dans ces circonstances, le philanthrocapitalisme sert de puissant « bouclier défensif contre les caprices du capitalisme » – d’autant plus que la colonisation du terrain politique et éthique limite la possibilité de procéder à un examen plus rigoureux des opérations du marché, tout en diluant toujours davantage les responsabilités[51].
Ce front de défense du capitalisme joue sur les tensions idéologétiques de son temps pour instiller l’idée d’une communauté de valeurs apparente entre les travailleurs du non marchand et les philanthrocapitalistes, à l’aide de tactiques d’escamotage visant à dissimuler le devenir-État de la classe des ultra-riches. Le gambit philanthropique avançant la bureaucratie comme appât n’est rien d’autre, dans ce cadre, qu’une attaque audacieuse contre les principes démocratiques et la solidarité, une manœuvre dans la campagne de capture de l’appareil d’État.
Réfutation. Mordre la main qui nourrit
Ne suffisait-il pas de relever la contradiction ? Les philanthrocapitalistes sont eux-mêmes cause des problèmes qu’ils prétendent résoudre. Un système social fondé rationnellement sur l’idée d’une solidarité efficace, qui chercherait donc à traiter les problèmes à la racine, n’aurait pas besoin d’eux. Prétendants à une fonction qu’il ne devrait revenir à personne de briguer, ils créent les conditions de possibilité de leur propre érection en parangons de l’intérêt général et s’en justifient en brandissant précisément leur « réussite », garante de l’efficacité de leurs méthodes.
Cela n’a, en effet, rien de très compliqué. Sauf qu’on peut s’étonner de deux choses. La première, c’est de savoir « pourquoi de plus en plus de gens se laissent-ils convaincre par l’idée que les nouveaux philanthrocapitalistes peuvent ‘sauver’ le monde quand, au mieux, la grande philanthropie n’a eu aucun effet sur les inégalités nationales et mondiales – et, au pire, les a accentuées[52] ». La seconde, c’est qu’il soit nécessaire, pour les sauveurs, de travailler l’opinion afin qu’elle avalise leurs bonnes œuvres. Il ne s’agit évidemment pas d’innocente pédagogie. L’écran de fumée sert ici tout à la fois à dissimuler la mise en œuvre d’une relation symbiotique entre l’État et le marché, et à se servir, de manière prophylactique en quelque sorte, des armes de ceux qui pourraient potentiellement résister à la propagation de cette idéologie au nom de valeurs humanistes. Dans cette campagne où les philanthrocapitalistes font, pour ainsi dire, office de porte-étendard, deux tactiques se conjuguent pour parvenir à une avancée décisive : la critique de la bureaucratie tendue comme piège à la gauche, et l’élaboration conjointe d’un champ lexical autour des idéologèmes issus de l’économie du don, de la lutte pour l’intérêt général, de l’autonomie, de la liberté, de l’émancipation et du bien commun. Dans un cas comme dans l’autre, nous avons proposé de voir ces tactiques comme des pièges tendus à la gauche, qui ne peut que difficilement défendre ou attaquer en retour cette critique et ce lexique sans renforcer la légitimité publique de l’idéal ultralibéral – puisqu’il vise les mêmes objectifs, avec de meilleures méthodes, et qu’il est tout aussi difficile de s’attaquer à la légitimité de la recherche de l’intérêt général que de faire valoir une méthodologie qui ne reposerait pas, en définitive, sur « l’efficacité rationnelle » et l’autonomie des acteurs (qui veut davantage d’inefficacité et de contrôle ?).
Le business de la philanthropie sert donc à agréger l’ensemble dans une attitude composée, bienveillante, affable, solidaire et engagée. Le philanthrocapitalisme, c’est le sourire du néolibéralisme :
La compréhension du pouvoir des élites économiques ne passe pas uniquement par des métaphores de prédation, mais aussi d’amour et d’adoration. Le philanthrocapitaliste moderne n’est pas un vampire ni un « économiste zombie », mais plutôt une figure bienveillante au sourire aimable dont l’attrait repose sur le pouvoir d’une « idéologie de l’harmonie » qui prétend réconcilier l’acte de donner et l’acte de prendre[53].
Il y a un réel danger à laisser les ultra-riches progresser dans la confiscation de ce que signifie agir pour le bien commun. Pour Pierre-Édouard Stérin, la promotion de ses propres intérêts – de ses valeurs, de son projet politique identitaire, de son éthos libéral et réactionnaire – va de pair avec l’intérêt général. Mais ce qui est vrai de Stérin l’est tout autant d’autres membres de sa caste, dussent-ils être plus silencieux ou, à tout prendre, moins explicites quant à leur agenda politique. L’idée n’est pas de dire que la philanthropie sert de cheval de Troie à une politique réactionnaire, mais elle n’y contrevient structurellement pas. Le courant dominant des milliardaires donateurs à la tête des plus influentes fondations ne joueront, in fine, que pour leurs propres intérêts – et ceux-ci entrent davantage en conflit avec la gauche qu’avec l’extrême-droite. Une poignée de héros visionnaires aux commandes d’un ensemble d’appareils d’État débarrassés des scories de la collectivisation (c’est-à-dire les prélèvements obligatoires), consacrés à stimuler les forces vives de l’économie, de la créativité, du peuple : un grand récit enthousiasmant ? Question de point de vue. Il s’agit donc d’aplanir toutes les perspectives :
Par-delà les découpages entre État et secteur associatif, entre universitaires, experts, entrepreneurs ou activistes, un champ réformateur peut s’observer, avec d’intenses circulations d’individus multipositionnés, de discours et de dispositifs, qui façonnent un « sens commun » de la réforme[54].
Reste à la gauche la charge de s’opposer au vent de la réforme philanthrocapitaliste. Comment ? La question est ouverte. En filant jusqu’au bout la métaphore échiquéenne, il existe, pour tout gambit, ce que l’on appelle un contre-gambit : une proposition de sacrifice en retour, un genre de contre-don – tout aussi empoisonné. Peut-être faudrait-il désosser l’armature de bienveillance et de vertu dans laquelle s’est carapaçonnée la mouvance post-capitaliste. Peut-être y a-t-il lieu de réfuter le parasitage des valeurs humanistes et universalistes, en prenant le parti de réfuter la manœuvre de l’adversaire, quitte à être prêt à perdre quelque chose en compensation.
Si l’idéologème doit être compris « non pas simplement comme un reflet ou un redoublement de son contexte situationnel, mais comme la résolution imaginaire des contradictions objectives à quoi il constitue une réponse active[55] », alors peut-être a-t-on tout à gagner à rendre clairs les champs encore obscurs de la bataille idéologique, pour y révéler d’autres complexes de tension, peut-être moins à l’avantage de la séduction philanthrocapitaliste. Pourquoi donc, au fond, ne pas abandonner le champ de la bienveillance solidaire pour assumer une perspective plus frontalement agonistique ? Ne plus chercher, donc, à préserver le sens de ce que l’on entend par « efficace », « réseau », « partenariat », « don de soi ». Abandonner ce lexique à l’idéologie de l’harmonie, et assumer d’y opposer, pied à pied : « vampirisant », « empire », « vassalisation », « exploitation ». Plutôt que de chercher à sauver ce qui est déjà perdu, peut-être faut-il chercher à attaquer et à détruire.
Édenter le sourire, en quelque sorte.
- [1] Traduction officielle, tirée du doublage francophone de la série.
- [2] Tel qu’on peut le lire dans le communiqué de presse disponible sur le site dédié à l’événement. URL : https://bruxelles.lanuitdubiencommun.com/ , ou https://drive.google.com/file/d/1pQSC7JQcnFftrwal0q9r2TnkgifxzAtz/view pour un accès direct.
- [3] Baromètre des associations 2024, p. 25. URL : https://media.kbs-frb.be/fr/media/12677/Barom%C3%A8tre%20des%20associations%202024 Consulté le 30/08/2025.
- [4] Pour davantage d’éclaircissements sur la distinction d’ordre juridique entre fondation privée et fondation d’utilité publique dans la législation belge, voir Vandenbulke Antoine, « Fondations, philanthropie et mécénat », Tijdschrift voor Rechtspersoon en Vennootschap – Revue pratique des sociétés, 7, 2016, pp. 847-867.
- [5] Baromètre des secteurs associatifs en Fédération Wallonie-Bruxelles, 2024. URL : https://statistiques.cfwb.be/fileadmin/sites/ccfwb/uploads/documents/Barometre_des_secteurs_associatifs_FWB_-_rapport_definitif.pdf
- [6] McGoey Linsey, Thiel Darren, West Robin, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Narcy Fanny, « Le philanthrocapitalisme et les ‘crimes des dominants’ », Politix, n°121, 2018, p. 33.
- [7] Ibid., p. 40.
- [8] Quand bien même on serait tenté de le faire, il ne faut pas oublier que – même si cela peut être difficile à admettre d’un point de vue de gauche, toujours menacé par le spectre de la moralisation galopante – bon nombre de riches philanthropes, voire, plus simplement, de riches patrons, se persuadent que leur action, en ce compris dans ses aspects les moins vertueux, contribue à un état de choses souhaitable et, a minima, moins terrible que s’ils ne faisaient rien. Au fond, les meilleurs méchants de cinéma ne sont-ils pas ceux qui, de leur point de vue, sont persuadés de faire le bien ?
- [9] Comme c’est notoirement le cas pour la Fondation Bill & Melinda Gates. Pour une étude complète, voir McGoey Linsey, No Such Thing as a Free Gift : The Gates Foundation and the Price of Philanthropy, Londres, Verso, 2015.
- [10] Pour une analyse située et multidimensionnelle, voir INCITE! Women of Color Against Violence, The Revolution Will Not Be Funded. Beyond the Non-Profit Industrial Complex, Durham et Londres, Duke University Press, 2017.
- [11] Hénaff Marcel, « La nouvelle philanthropie capitaliste », L’Homme, n°167-168, 2003, pp. 307-313.
- [12] Ibid., p. 310.
- [13] La convergence des logiques états-unienne et européenne est l’hypothèse d’Élisa Chelle dans « La philanthropie aux États-Unis et en France. Retour sur une traditionnelle opposition », in Sociologie, 2017, N°4, vol. 8, pp. 295-408.
- [14] Minot Didier, À quoi sert la philanthropie ? Richesse privée, action publique ou mobilisation citoyenne, Paris, Éd. Charles Léopold Mayer, 2019.
- [15] Sur la page d’accueil du site de la confédération, on apprend ainsi qu’elle « représente 31 fédérations d’employeurs du secteur public et privé. Celles-ci sont actives dans le domaine de l’enseignement, le socioculturel, l’environnement, la santé, l’insertion socioprofessionnelle, l’action sociale et celui des mutualités. L’accueil et l’hébergement des personnes âgées, handicapées et fragilisées, l’emploi adapté aux personnes handicapées, l’aide et les soins à domicile, l’aide à la jeunesse et la petite enfance sont également des secteurs qu’elles investissent. En termes d’emploi, le secteur à profit social représente 20% de l’emploi total wallon, soit plus de 12.000 entreprises en Wallonie et plus de 216.000 travailleurs. » https://www.unipso.be/ Consulté le 12/09/2025.
- [16] https://www.unipso.be/spip.php?rubrique118. Consulté le 12/09/2025. Nous soulignons.
- [17] Pas la peine de chercher ici à énumérer exhaustivement toutes les déclinaisons d’activités professionnelles gouvernées par cet impératif : conception/production/mise en circulation/promotion de marchandises, spéculation financière, etc.
- [18] Sous-titres du Guide de la philanthropie de la Fondation Roi Baudoin, téléchargeable ici : https://kbs-frb.be/fr/centre-de-philanthropie. Consulté le 17/09/2025.
- [19] En fait, pour ce qui nous intéresse ici, on pourrait étendre plus largement l’idée à toutes les formes de prélèvements obligatoires qui rendent possible la dépense d’intérêt général et la solidarité sociale. Il est toutefois important de noter qu’il faudrait en toute rigueur distinguer l’impôt des cotisations sociales en fonction des instances que chacune de ces modalités de prélèvement irrigue et des droits auxquels l’un et l’autre permettent de jouir, directement ou indirectement. Pour Bernard Friot, la distinction est beaucoup plus profonde encore, puisque la cotisation sociale, en tant que part socialisée et indirecte du salaire, est un levier d’émancipation, tandis que l’impôt, en tant que prélèvement sur le profit, reconduit logiquement la légitimité du capital. Pour un utile aperçu de cette perspective, voir Friot Bernard, « La cotisation, levier d’émancipation », Le Monde diplomatique, Février 2012, pp. 12-13.
- [20] À la limite, cette perspective rend certains phénomènes incompréhensibles, car cela reviendrait à avancer qu’en privilégiant l’incitation au don des riches plutôt qu’à leur imposition, les instances politiques elles-mêmes afficheraient une tendance à vouloir faire advenir une société sans État. Ce dont on peut douter, tant il est clair que la récente et très spectaculaire expérimentation de campagnes contre la structure d’État, avec la création par Donald Trump du Département de l’Efficacité gouvernementale (le DOGE, originellement sous la direction d’Elon Musk), conduit à une situation économique et politique pour le moins incertaine aux États-Unis, qui aurait de quoi échauder les plus fervents libertariens.
- [21] François Buton expose l’idée de manière très claire et condensée dans son analyse des stratégies d’implémentation de l’agenda philanthropique dans le cas particulier de la Fondation Mérieux en France : « En bref, la politique philanthropique apparaît de manière générale comme une alternative (problématique) à l’action de l’État. C’est aussi en tant qu’alternative qu’elle est défendue, au nom du pluralisme, d’une part (l’action philanthropique permet de proposer une autre définition des biens publics que celle de l’État), et d’une capacité d’innovation ou de prise de risques, d’autre part […]. Enfin, la visée même d’action en faveur de l’humanité ou du bien public place les fondations en concurrence avec l’État pour la représentation de l’intérêt général. » Buton François, « Les deux faces d’une politique philanthropique. La Fondation Mérieux et la surveillance épidémiologique des années 1970 aux années 1990 », Politix, n°121, p. 130.
- [22] Guilhot Nicolas dans « Pratiques du don. La philanthropie en France et aux États-Unis. Débat entre Anne Bory, Nicolas Guilhot, Sabine Rozier et Olivier Zunz », laviedesidees.fr, mars 2012. https://laviedesidees.fr/Pratiques-du-don Consulté le 03/09/2025.
- [23] https://www.huffingtonpost.fr/france/video/bernard-arnault-de-retour-en-france-apres-l-investiture-de-donald-trump-denonce-la-douche-froide-des-impots_245488.html
- [24] Salon conversationnel en vidéoconférence et d’accès libre.
- [25] Transcription et audio trouvé sur le compte X de Mario Nawfal, reposté par Musk lui-même. Traduction libre. URL : https://x.com/elonmusk/status/1894493960300892487 Consulté le 25/09/2025.
- [26] Tous les richissimes hommes d’affaires mentionnés ici étant, du reste, impliqués à différents degrés dans des fondations philanthropiques.
- [27] Notons au passage que supposer un agenda caché ou la plus parfaite hypocrisie n’y change rien : dans une perspective agonistique, peu importe au fond que le champion du monde d’un sport quelconque ne trouve pas de réel plaisir à occuper cette position, qu’il n’ait pas vraiment, au fond, envie de gagner les compétitions, ni même de s’entraîner, ou bien qu’il le fasse pour un tout autre motif que celui d’être le meilleur. Il n’en reste pas moins qu’il occupe la position de champion, et qu’à ce titre il a non seulement effectivement fait ce qui était de facto nécessaire pour gagner sa place, mais en outre tout ce qu’il peut dire à propos de ce sport peut être considéré comme révélateur d’un certain état du sport en question – quand bien même son discours serait un récital de formules creuses, ou intentionnellement dicté par son propre intérêt, ou contre celui d’un rival, etc. Dans tous les cas, l’interprétation du sens de l’énoncé devrait tenir bien davantage compte de la position de l’agent émetteur que des conjectures quant à ses intentions réelles.
- [28] Cette prétention a été décrite depuis longtemps. Voir par exemple Ducharme Élise et Lesemann Frédéric, « Les fondations et la ‘nouvelle philanthropie’ : un changement de paradigmes scientifiques et politiques » Lien social et Politiques, n° 65, printemps 2011, p. 206 : « Ils veulent maintenant « faire la différence », et, pour cela, ils tiennent à démontrer leur efficacité par rapport aux institutions publiques et aux OSC [organisations de la société civile, NdA] pour s’immiscer et opérer des changements dans les politiques publiques, ainsi qu’adopter une attitude beaucoup plus directive relativement aux organismes bénéficiaires de leur aide. »
- [29] Guilhot Nicolas dans « Pratiques du don », art. cit.
- [30] Voir Graeber David, Bureaucratie, Paris, Babel, 2017, pp. 41-44.
- [31] Trump, dans cette perspective, n’est qu’une expression caricaturale de cette ambition.
- [32] Ducharme Élise et Lesemann Frédéric, « Les fondations et la nouvelle philanthropie », art. cit., p. 208. Notons que j’extrais la formule de son contexte en la généralisant. Elle est employée dans l’article pour décrire la stratégie particulière de la Fondation Lucie et André Chagnon (FLAC) au Québec, qui s’est donnée pour cause principale la prévention de la pauvreté et de la maladie. Toutefois, l’expression est claire, concise, et applicable à la majorité des fondations que mes recherches m’ont amené à examiner.
- [33] Ce point d’accord potentiel peut être imputable à de nombreuses causes, y compris la difficile position de la gauche vis-à-vis de cet appareil bureaucratique, qu’elle ne parvient pas à critiquer sans se faire la chambre d’écho de la critique émanant de la droite, sans parvenir non plus à le légitimer complètement – faute, sans doute, de pouvoir se l’approprier.
- [34] Graeber David, Bureaucratie, op. cit., pp. 16-17. L’expression de la « loi d’airain » est précédée par cette évocation particulièrement claire : « Si l’idée du marché opposé à l’État et indépendant de l’État sert, depuis le XIXe siècle au moins, à justifier des politiques économiques de laisser-faire conçues pour réduire le rôle de l’État, celles-ci, en réalité, n’ont jamais eu cet effet. Le libéralisme anglais, par exemple, n’a pas entraîné le dépérissement de la bureaucratie publique, mais exactement le contraire : l’expansion continuelle de tout l’éventail des juristes, greffiers, inspecteurs, notaires et commissaires de police qui ont rendu possible le rêve libéral d’un monde de libres contrats entre individus autonomes. Les faits sont là : il faut mille fois plus de paperasse pour entretenir une économie de marché libre que la monarchie absolue de Louis XIV. » Il faudrait sans doute suivre plus longuement que nous ne le ferons ici l’exposé de Graeber pour évaluer avec exactitude le positionnement du philanthrocapitalisme vis-à-vis des procédés d’administration de la vie collective en général (en termes d’évolution des régulations et des protocoles d’application idoines, par exemple).
- [35] Ibidem.
- [36] L’« ère de la bureaucratisation totale » étant le processus qui voit « la fusion progressive de la puissance publique et privée en une entité unique, saturée de règles et de règlements dont l’objectif ultime est d’extraire de la richesse sous forme de profits. » Ibid., p. 25
- [37] Ibid., p. 33. Le point central de la présente étude n’est pas véritablement de prendre en charge une critique de la bureaucratie, mais il vaut la peine de noter que, pour Graeber, l’omniprésence et l’accroissement de la part bureaucratisée de l’existence est un point d’entrée essentiel pour analyser la grande totalisation propre au capitalisme néolibéral dans une culture (post-)postmoderne, et que l’on n’aurait aucun mal à rapprocher des travaux de Mark Fisher autour du réalisme capitaliste. Ainsi, selon Graeber, « une critique de la bureaucratie adaptée à notre époque doit montrer que tous les fils conducteurs – la financiarisation, la violence, la technologie, la fusion du public et du privé – convergent pour former un réseau unique qui s’auto-alimente. » Ibid., p. 53.
- [38] McGoey Linsey, Thiel Darren, West Robin, « Le philanthrocapitalisme et les ‘crimes des dominants’ », art. cit., p. 32.
- [39] « Autrement dit, lorsqu’on se réclame de l’efficacité rationnelle, on n’a pas à se demander à quoi sert vraiment l’efficacité ; donc à évoquer les buts, en fin de compte irrationnels, qui sont censés être les objectifs ultimes du comportement humain. On a ici un autre espace où marchés et bureaucraties parlent le même langage » Voir Graeber David, Bureaucratie, op. cit., pp. 49-50. Je souligne.
- [40] « Autrement dit, lorsqu’on se réclame de l’efficacité rationnelle, on n’a pas à se demander à quoi sert vraiment l’efficacité ; donc à évoquer les buts, en fin de compte irrationnels, qui sont censés être les objectifs ultimes du comportement humain. On a ici un autre espace où marchés et bureaucraties parlent le même langage » Voir Graeber David, Bureaucratie, op. cit., pp. 49-50. Je souligne.
- [41] C’est sans doute ainsi qu’il faudrait comprendre le fait que, en dépit des discours pour l’innovation radicale et le démontage des machines bureaucratiques, « de nombreuses fondations privées participent aujourd’hui aux divers projets visant à réduire les risques associés aux transformations des sociétés. Elles ont une préoccupation pour le maintien d’un ordre social, financier, politique, et pour cela plusieurs d’entre elles cherchent à occuper un espace plus important dans le système de gouvernance » Ducharme Élise et Lesemann Frédéric, « Les fondations et la nouvelle philanthropie », art. cit., p. 213.
- [42] Ibid., p. 48.
- [43] Ibidem.
- [44] Jameson Fredric, L’inconscient politique. Le récit comme acte socialement symbolique, Paris, Questions Théoriques, 2012, p. 93.
- [45] Marc Angenot, dans le quarantième chapitre de 1899. Un état du discours social, examine la circulation du cliché de la « lutte pour la vie » jusque dans des contextes étonnamment éloignés de son origine scientifique darwinienne, au fil de migrations qui le voient subir un ensemble de déformations, de transpositions, de dévidements et de réarrangements qui lui impriment un caractère proprement idéologétique. À cette occasion, il fournit une explication fort utile de la « vie » d’un idéologème, qui permet de saisir plus concrètement de quoi il retourne : « ce n’est pas nécessairement une locution unique, mais un complexe de variations phraséologiques, une petite nébuleuse de syntagmes plus ou moins interchangeables. Et dans un état du discours social, l’idéologème n’est pas monosémique ou monovalent ; il est malléable, dialogique et polyphonique. Son sens et son acceptabilité résultent de ses migrations à travers les formations discursives et idéologiques qui se différencient et qui s’affrontent, il se réalise dans les innombrables décontextualisations et recontextualisations auxquelles il est soumis. L’idéologème, au contraire de la pierre qui roule, amasse une mousse idéologique. Sa valeur sociodiscursive ne résulte ni d’un pur renvoi à l’« origine » scientifique, […] ni d’un assemblage en un contexte donné dépourvu de mémoire migratoire. Sa signification résulte de l’organisation globale du discours social et c’est dans un état du discours social qu’il se voit conférer une acceptabilité et des fonctions significatives. » Angenot Marc, 1889. Un état du discours social, Médias 19. URL: https://www.medias19.org/publications/1889-un-etat-du-discours-social/chapitre-40-migrations-dun-ideologeme-la-lutte-pour-la-vie Consulté le 25/09/2025.
- [46] « Entrer en association, c’est d’abord donner de son temps et de sa personne », écrivait Alain Caillé en 1998 dans la Revue du MAUSS. Voir Caillé Alain, « Don et association », Revue du MAUSS, n°11, 1998, pp. 75-83..
- [47] Idéalement, il faudrait procéder à la généalogie différenciante des idéologèmes ayant cours dans le discours de légitimation du philanthrocapitalisme, pour contester cette acceptabilité dont ils l’auréolent précisément du fait de leur signification d’ensemble dans l’état global du discours social d’une époque donnée. Une telle enquête et dissection complète dépassent très largement le cadre de cette étude.
- [48] Voir Duvoux Nicolas, « Les valeurs de la philanthropie », Informations sociales, n° 196-197, 2018, pp. 38-46.
- [49] Une enquête de terrain effectuée sur les relations entre entreprises et associations de solidarité articulées autour de l’aide alimentaire dans le Médoc tendait à démontrer l’existence de ce genre de dynamique. Voir Bordiec Sylvain, « La fabrique des biens philanthropiques La seconde vie des produits alimentaires dans un territoire rural », Politix, n°121, pp. 105-126.
- [50] Mark Fisher, auquel nous empruntons la notion de réalisme capitaliste, en précise utilement les modalités d’implémentation dans l’imaginaire collectif : « Les croyances psychologiques découlent des ‘gestes accomplis’ quand on se conforme aux discours et aux comportements officiels. Cela signifie que même si des individus ou des groupes ont pu mépriser ou moquer le langage de la concurrence, de l’esprit d’entreprise et du consumérisme qui s’est emparé des institutions britanniques depuis les années 1980, l’adhésion ritualisée à cette terminologie, largement répandue, a servi à naturaliser la domination du capital et a contribuer à neutraliser toute opposition à celle-ci. ». Fisher Mark, « La privatisation du stress », k-punk. Fiction, musique et politique dans le capitalisme tardif, Tours, Audimat éditions, 2024, p. 530.
- [51] McGoey Linsey, Thiel Darren, West Robin, « Le philanthrocapitalisme et les ‘crimes des dominants’ », art. cit., p. 51.
- [52] Ibid., p. 43.
- [53] Ibid., p. 30.
- [54] Lefèvre Sylvain et Berthiaume Annabelle, « Les partenariats entre secteur public et fondations philanthropiques au Québec : genèse, contestation et épilogue d’une réforme de l’action publique », Revue française d’administration publique, n° 163, 2017, p. 502.
- [55] Jameson Fredric, L’inconscient politique, op. cit., p. 146.