S’émanciper par la culture ? De la sociologie à l’éducation permanente

S'émanciper par la culture en éducation permanente

Cette analyse aborde la question de l’expression de la culture populaire en critiquant l’ethnocentrisme de classe, c’est-à-dire la tendance de la part des classes dominantes à considérer toute forme d’expression propre aux milieux populaires comme une forme d’inculture ou comme une forme rudimentaire de la culture légitime. Il s’agira alors de ressaisir la culture légitime non pas comme ce dont manquent les classes populaires, mais comme ce qui entrave activement l’expression des cultures dominées. L’éducation permanente sera alors comprise comme ce qui crée des espaces d’expérimentalisme culturel pour les cultures dominées permettant de destituer les codes de la culture légitime et de favoriser le devenir minoritaire de tout le monde.

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Introduction. Contre l’ethnocentrisme de classe, vers la démocratie culturelle

Telle qu’énoncée dans le décret sur l’action de l’éducation permanente (EP), la tâche de l’EP est de favoriser « l’émancipation individuelle et collective » par le développement d’une « citoyenneté active », en s’adressant en particulier à un « public issu des milieux populaires » de manière à en faciliter « l’expression culturelle ».

Il s’ensuit que l’un des obstacles majeurs que l’EP doit affronter est constitué par ce que la sociologie appelle « ethnocentrisme de classe », c’est-à-dire la tendance de la part des classes dominantes à considérer toute forme d’expression propre aux milieux populaires comme une forme d’inculture, ou, dans le meilleur des cas, comme une forme rudimentaire, ébauchée, non maitrisée, de la culture légitime, c’est-à-dire de la culture des classes dominantes – qu’il s’agisse des contenus de cette culture ou de ses formes, à savoir des styles et des modes de vie par lesquels ces contenus s’expriment. L’ethnocentrisme de classe conduit donc à considérer les formes d’expression populaires comme caractérisées soit par une absence de culture, soit par un défaut de culture, et la culture légitime comme « la » culture. Il se reflète tout particulièrement dans les politiques publiques visant à garantir le droit de « prendre part librement à la vie culturelle de la communauté » énoncé dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948. Le plus souvent, en effet, ces politiques « se sont contentées de ne comprendre la participation que comme la participation de tous à la vie culturelle des groupes dominants »[1]. C’est donc à travers l’ethnocentrisme de classe que se creuse l’écart entre la « démocratisation de la culture », c’est-à-dire précisément la tentative de « distribuer » dans les milieux populaires les formes et les contenus de la culture légitime, et la « démocratie culturelle » mise en avant par le décret, visant à assurer l’égalité des possibilités d’expression culturelle[2]. La première option rencontre ses limites dans le fait que la participation à la culture légitime est suspendue aux logiques sociales de distinction propres aux « codes » de cette culture, de sorte que sa « distribution » peut résulter en des formes de discrimination plus subtiles mais non moins violentes que celles provoquées par sa « monopolisation » par les groupes dominants. La deuxième option se heurte à l’obstacle que les formes d’expression culturelles non-légitimes sont entravées dans leur expression par les codes de la culture légitime qui ne les reconnaissent pas comme des formes de culture. La domination de la culture légitime semble donc rendre impossible la démocratie culturelle, et contraindre à faire de la démocratisation de la culture la seule forme de garantie des droits culturels, alors même que la démocratisation de la culture reproduit des formes de discrimination et renforce la domination de la culture légitime, en rendant encore plus difficile l’expression des cultures non-légitimes.

L’EP est alors amenée à se positionner face à cet écart entre démocratisation de la culture et démocratie culturelle, en reconnaissant, d’un côté (1), que les formes d’expression propres aux milieux populaires sont des formes de culture à part entière, et de l’autre côté (2), que ces formes de culture sont soumises à une domination qui leur soustrait réellement la possibilité de se rapporter d’égal à égal à la culture dominante, dans la mesure où elles ne sont même pas reconnues, dans le cadre des codes de la culture dominante, comme des formes de culture. La critique de l’ethnocentrisme de classe constitue donc une tâche de premier ordre pour l’EP, en ce qu’elle permet de reformuler la problématique des droits culturels non pas simplement en termes d’exclusion – ce qui suppose justement de prendre pour argent comptant la représentation des « exclus » comme manquant de culture –, mais en termes de domination – c’est-à-dire comme un rapport où il n’y a pas d’un côté un plein (« la » culture) et de l’autre un vide (le manque de culture), mais deux termes positifs, également dignes du titre de culture, dont toutefois l’un domine l’autre, en produisant justement cet « effet de vide ».

L’idée d’ethnocentrisme de classe nous semble aussi importante parce qu’elle permet de déplacer le regard porté sur la problématique des droits culturels d’une perspective exclusivement concentrée sur le rapport entre cultures et communautés, c’est-à-dire qui prend l’appartenance à une communauté – ethnique, linguistique, nationale, religieuse, etc. – comme le seul critère de la démarcation entre cultures, vers une perspective considérant les rapports entre cultures et conditions, c’est-à-dire qui prenne en compte, en tant que critère de démarcation entre cultures, les conditions sociales des groupes qui « portent » ces cultures. En effet, le concept d’ethnocentrisme s’est développé avant tout dans le cadre de la critique ethnologique du regard occidental sur les cultures des sociétés lointaines, c’est-à-dire de la critique de l’eurocentrisme. Cette critique peut alors s’appuyer sur la possibilité d’identifier des formes culturelles relativement autonomes par rapport aux effets de la domination occidentale, pour faire de ces formes culturelles la source de la critique du regard occidental – le cas le plus « pur » étant celui de cultures qui n’ont pas encore été affectées par des rapports avec d’autres cultures. L’idée d’ethnocentrisme de classe s’impose au contraire lorsque l’on veut critiquer le regard que les sociétés occidentales portent sur elles-mêmes. La difficulté spécifique de cette critique est que toute forme d’altérité culturelle au sein des sociétés occidentales se construit d’emblée dans une interaction avec la culture légitime, et est donc plus difficilement identifiable dans son autonomie relative. En ce sens, le concept d’ethnocentrisme de classe ne conduit pas à abandonner la perspective qui associe culture et communauté, mais à mieux identifier la manière dont les rapports de classe contribuent à transformer les formes d’expression propres aux milieux populaires – que ces formes d’expression soient le fait de « minorités » culturelles ou pas – en un manque de culture. Le cas des minorités au sein des sociétés occidentales se situe en fait à mi-chemin entre ces deux perspectives et souffre des discriminations relevées par les deux : les cultures des minorités sont caractérisées, en raison de leur inscription communautaire, par plus d’autonomie relative à l’égard de la culture de la communauté majoritaire[3] ; en même temps, dans la mesure où, le plus souvent, la plupart des membres des minorités – notamment aujourd’hui des minorités définies par leur ethnie ou religion – sont aussi des ressortissants des milieux populaires, ces cultures sont aussi affectées par la domination de la culture légitime sur les formes d’expression propres aux milieux populaires en général[4]. Une telle perspective permettrait alors de contrer l’idée souvent répandue selon laquelle le problème des droits culturels concerne principalement les minorités, alors qu’il touche en fait ces « majorités » que constituent les milieux populaires, c’est-à-dire tout individu et groupe « minorisé » par l’imposition d’une culture légitime. (Ce qui permet de comprendre que ce qui définit la minorité n’est pas le nombre mais l’impossibilité de fixer la norme).

Dans cette analyse, nous voudrions étudier les différentes formes que peut prendre l’ethnocentrisme de classe, afin d’identifier les manières dont l’EP peut s’en déprendre pour poursuivre ses finalités. Pour ce faire, nous opérerons un détour à travers une étude des difficultés qui se posent aux sociologues qui s’efforcent, contre l’ethnocentrisme de classe, de rendre compte de la « culture populaire ». L’ouvrage qui nous servira de guide est Le savant et le populaire de Claude Grignon et Jean-Claude Passeron, qui constitue l’une des tentatives les plus significatives de formuler les principes méthodologiques d’une approche sociologique de la culture populaire. À partir de cette étude, nous soutiendrons que là où la sociologie, dans sa visée « objectivante », rencontre ses impasses, l’EP peut trouver des ressources émancipatrices.

Afin de nous donner les moyens de ne pas céder à l’ethnocentrisme de classe, nous devons adopter une conception de la culture suffisamment large pour que notre regard ne soit pas immédiatement attiré par la « haute culture » qui constitue la pointe la plus visible de la culture légitime. Nous pouvons alors reprendre la définition minimale de « culture » que Passeron formule à partir de Max Weber : la culture est, pour tout individu, groupe et classe « le moyen de penser comme vivable la condition objective dans laquelle il vit »[5]. Il est donc possible d’identifier la culture avec la sphère du symbolique, en tant qu’elle désigne non pas l’inscription des individus et des groupes dans des conditions d’existence déterminées, mais la manière dont ils vivent et se représentent leur rapport à leurs conditions d’existence[6]. Et, comme il s’agira d’aborder la question des cultures dominées, nous pouvons aussi reprendre à Weber son concept de la domination comme « la chance pour un ordre de rencontrer une docilité »[7]. Ce concept nous indique d’emblée que la domination ne se réduit pas à l’imposition d’une contrainte, car la contrainte est toujours accompagnée par une forme de légitimation qui engendre une docilité. D’où l’importance de la dimension culturelle (ou symbolique – les deux termes sont à prendre ici comme des synonymes) de toute domination – car c’est justement au niveau de la manière dont les individus et les groupes vivent leur rapport à leurs conditions d’existence que s’installe la légitimation de la domination.

Domination symbolique et culture populaire

Afin de comprendre comment une « culture dominée » se constitue dans l’interaction et l’interpénétration avec la culture légitime, il faut analyser la manière dont elle s’inscrit dans le système de la domination symbolique. La domination symbolique est constituée par « l’ensemble des effets produits par la reconnaissance de sa légitimité qu’un pouvoir est capable d’imposer en imposant la méconnaissance des rapports de force qui lui permettent d’exercer son action »[8]. La spécificité de cette relation est que, étant une relation de domination, elle comporte deux pôles (dominants-dominés), mais, en imposant la méconnaissance des rapports de force, elle efface le pôle dominé, de sorte que l’on passe d’une situation à deux pôles vers une situation où il n’y a qu’un seul centre : celui de la culture dominante, par rapport auquel on est plus ou moins éloigné, mais dans la sphère duquel on est toujours intégré, car la culture dominante se donne comme « la » culture. C’est par ce biais-là que s’impose la reconnaissance de la légitimité du pouvoir comme dû à la maîtrise de « la » culture par ceux qui le détiennent (et non pas à un rapport de force), ainsi que l’intériorisation par les dominés de leur infériorité culturelle et l’acceptation de leur place dans les rapports de pouvoir. La culture dominée – culture qui surgit de la manière dont des groupes et des individus dominés vivent leur rapport à leurs conditions d’existence – devient alors une entité insaisissable, alors que la culture dominante se présente à l’inverse non pas comme l’expression de conditions sociales déterminées, mais comme l’expression d’une humanité commune, comme universelle.

C’est pourquoi il est difficile d’identifier une « culture populaire ». Si, avant qu’une industrie culturelle « de masse » ne s’impose dans toute sa puissance, il était encore aisé d’identifier des cultures populaires – par exemple une culture paysanne rurale et une culture ouvrière urbaine –, identification qui était par ailleurs favorisée par la possibilité d’associer ces cultures à des communautés nettement identifiables (les villages, les quartiers ouvriers), nombre d’observateurs en sont venus à soutenir que l’industrie culturelle aurait produit une homogénéisation culturelle et une disparition des stratifications culturelles reposant sur les conditions sociales (homogénéisation qui conduirait donc en même temps à la disparition de la « haute culture » de l’élite). Ainsi, dit-on, comme l’industrie culturelle s’adresse à tous de manière « démocratique », « la culture industrielle est le seul grand terrain de communication entre les classes sociales », si bien que « la nouvelle culture se prolonge dans le sens d’une homogénéisation des mœurs ». Cette analyse n’est pas sans s’accompagner du mythe sociologique de la constitution d’une grande « classe moyenne », « la formation d’une gigantesque couche salariale, dans l’Occident industriel, où confluent d’une part l’ancien prolétariat ouvrier qui accède à un niveau de vie consommateur et à des garanties de sécurité sociale, d’autre part l’ancienne classe moyenne qui se coule dans le salariat moderne »[9].

De telles analyses saisissent certes une tendance réelle, de sorte qu’« il n’est pas sûr qu’on puisse repérer une forme stable d’organisation de sociabilité comme il en a existé dans ce qu’on a appelé en Europe “culture populaire”, qu’elle soit rurale ou citadine »[10]. Il faut néanmoins veiller à ne pas confondre le fait que l’industrie culturelle s’adresse à tous avec le fait qu’on s’y rapporte de la même manière. C’est précisément l’un des effets de l’ethnocentrisme de classe que de cacher la culture dominante derrière la culture « commune », « de masse », notamment en y diluant les contenus et les formes de la culture dominante, et en y récupérant certains contenus et formes des cultures dominées. Cela empêche ceux qui n’ont pas acquis les codes de la culture dominante de mettre en œuvre des pratiques de distinction par rapport à la culture de masse et les mène en même temps à égarer les ressources culturelles alternatives qui étaient attachées à leur condition sociale en intériorisant l’idée de l’illégitimité de ces ressources. Il s’ensuit qu’il faudrait plutôt soutenir que l’industrie culturelle participe à la création d’« un ordre social qui tend toujours davantage à donner tout à tout le monde, notamment en matière de consommation de biens matériels ou symboliques, ou même politiques, mais sous les espèces fictives de l’apparence, du simulacre ou du simili, comme si c’était là le seul moyen de réserver à quelques-uns la possession réelle et légitime de ces biens exclusifs »[11]. La culture de masse est alors l’apothéose de la culture légitime plutôt que sa trahison.

Cela se manifeste de la manière la plus évidente dans la forme la plus puissante de « démocratisation de la culture », à savoir la « démocratisation scolaire ». Si le fait que l’on soit obligé à aller à l’école jusqu’à un âge avancé et la création d’un tronc commun ont donné aux classes populaires un accès à cette forme standardisée et diluée de la culture dominante qu’est la culture scolaire, l’école continue par ses codes à constituer un lieu de différentiation et de division entre classes (par la différentiation entre établissements, filières, disciplines, titres, elle-même orchestrée par la réussite et l’échec scolaire), de sorte que les chances pour un fils d’ouvrier d’accéder à l’université et surtout à un emploi prestigieux demeurent à peu près aussi basses que jadis[12]. Mais ce qui est plus frappant est que « le passage par un régime d’études longues contribue à disqualifier l’expérience ouvrière et peut produire des effets de honte sociale pour les élèves “moyens” qui sont “déculturés” (perte de leur culture ouvrière d’origine) mais non véritablement acculturés scolairement, flottant ainsi entre diverses appartenances »[13]. Le développement de la démocratisation scolaire fait alors surgir la figure inquiétante d’un nouvel analphabétisme : « Alors que le mouvement ouvrier attendait tout de l’éducation gratuite et obligatoire, l’usage que les membres des classes populaires sont conduits à faire de leurs nouvelles possibilités de lecture les faits régresser culturellement en-deçà de l’époque où la majorité ne savait pas lire », la démocratisation scolaire privant en même temps les classes populaires de leurs éléments les plus actifs et les plus critiques (ce qu’on appelait naguère son avant-garde), en favorisant leur ascension sociale[14]. De sorte que les milieux populaires

sont dépossédés de leur propre subculture par l’action conjuguée de la concentration des entreprises et de la division du travail, de l’industrie culturelle et du système scolaire de sélection. Et ce n’est pas en faveur de la culture cultivée, c’est au bénéfice, si l’on ose dire, d’une plus grande pauvreté culturelle. Ils n’ont pas le choix entre la subculture populaire et la culture cultivée, mais entre l’appauvrissement par la culture de masse et le développement à partir des réalités survivant aujourd’hui, de la culture populaire de demain[15].

Face à cet état des choses, ne pas se plier à l’ethnocentrisme de classe implique de cerner la résilience d’une culture dominée surgissant d’un rapport à une condition d’existence. Il importe donc d’identifier une « culture populaire, non pas de masse, mais directement accessible sans affiliation à des groupes de proximité, de goût, de sensibilité, d’apprentissage, par exemple le rap plutôt que les Jeunesses musicales de France »[16]. Le principe de cette approche est l’idée que

l’humanité, même dominée, a toujours les moyens de ne pas se laisser complètement dominer et déshumaniser. Tant qu’il y a une possibilité d’autonomie symbolique dans des espaces sociaux partiellement soustraits à cette emprise, la manière de vivre n’est pas complètement dominée de l’extérieur par la puissance des dominations[17].

Il faut en ce sens s’inscrire dans la perspective ouverte par l’ouvrage fondateur de R. Hoggart sur les effets de la culture de masse sur la culture populaire. Selon Hoggart, les membres des classes populaires ne sont pas des « consommateurs passifs » de la culture de masse. Ils mettent plutôt en œuvre une « consommation nonchalante », qui les conduit à « ignorer les pires sollicitations de la culture et du loisir modernes ou même [à] en amender les productions les plus douteuses par la retraduction qu’ils leur font subir conformément à leurs habitudes et à leurs modèles traditionnels »[18]. Et Hoggart de conclure que « le plus étonnant n’est pas tant que chaque génération ait pu conserver dans une large mesure les traditions des aînés, mais bien qu’elle soit restée capable d’en créer de nouvelles »[19]. Le caractère actif des classes populaires à l’égard de la culture de masse/dominante n’est par ailleurs pas sans affecter et faire varier cette dernière.

Il importe ainsi de mettre en avant, à partir de ces formes de résilience, la possibilité de formes culturelles relativement autonomes surgissant des rapports à des conditions d’existence propres aux groupes dominés. Il s’agit donc de pluraliser la culture, en s’opposant à l’idée de « la » culture.

Est-il simple de se débarrasser de l’ethnocentrisme de classe ?

Le déni de culture opéré par l’ethnocentrisme de classe peut prendre des formes différentes, sur lesquelles nous voudrions nous pencher afin de mieux comprendre comment les combattre. La première est celle du « racisme de classe », qui consiste pour les classes dominantes à se donner une définition de l’être humain à partir de leurs propres pratiques culturelles, de sorte que ce qu’elles perçoivent comme un manque de culture devient le signe d’un degré moindre d’humanité[20]. Quant aux explications de cette infériorité supposée, elles semblent se concentrer aujourd’hui dans le monde occidental sur des défauts supposés d’intelligence et de rationalité. D’où l’idée selon laquelle le racisme de classe prend aujourd’hui la forme d’un racisme de l’intelligence[21].

Dans d’autres cas, on reconnaît que ce manque de culture n’est pas naturel, qu’il est l’effet d’une domination. Cette reconnaissance ne suffit toutefois pas à se débarrasser de l’ethnocentrisme de classe. Elle peut en effet donner lieu à deux attitudes intellectuelles qui le reconduisent de manière plus subtile et qui risquent de se retrouver aussi dans les tentatives de mettre en place des pratiques culturelles « alternatives » : le légitimisme et le populisme[22].

1) La première attitude prend en compte de la domination symbolique et de ses effets sur les cultures dominées. Toutefois, elle considère cette domination comme étant en quelque sorte « totale », si bien que les groupes populaires seraient effectivement dans une situation de manque de culture, parce que la culture légitime les déposséderait de toute culture. Le légitimisme critique ainsi la domination symbolique, mais considère que, par le fait même que la culture légitime domine, elle élimine toutes les autres formes culturelles. Cela revient à réduire le réel aux effets, certes bien réels, de la domination. On risque ainsi de se limiter « à décompter d’un air navré toutes les différences [entre cultures] comme autant de manques, toutes les altérités comme autant de moindre-être – que ce soit sur le ton récitatif élitiste ou sur celui du paternalisme »[23].

2) Il est d’un autre côté possible de prendre en compte la résilience des cultures dominées par rapport à la domination symbolique. Cela peut toutefois conduire à l’idéalisation des cultures dominées caractéristique du populisme. Le populisme considère que la représentation des cultures dominées comme manquant de culture est seulement une illusion, comme si la domination symbolique ne produisait aucun effet réel. Le populisme prend alors la forme d’un renversement pur et simple des valeurs et codes dominants, et de l’exaltation de la culture populaire comme la seule vraie culture, comme une culture parfaite en tant que telle. Il faut comprendre que le populisme exerce aussi une injustice à l’égard des classes populaires. En effet, comme la domination symbolique affecte bel et bien les cultures dominées, qui ne sont donc jamais « pures », le populiste doit opérer un tour de force pour les « purifier », tour de force qui se réalise souvent par le fait qu’il tente d’exprimer lui-même cette pureté, en parlant « au nom de… », c’est-à-dire en s’attribuant un pouvoir de réhabilitation symbolique qui n’est que l’autre face de la domination symbolique. En réalité, ce que le populiste exprime ainsi n’est que son propre fantasme du « peuple ». Comme Bourdieu l’explique à propos du réalisme socialiste en art, le populisme, « loin d’exprimer le peuple, enferme la dénégation du peuple, sous la forme de ce “peuple” torse nu, musclé, bronzé, optimiste, tourné vers l’avenir, etc. » qui n’est autre que « l’idéal inconscient d’une petite bourgeoisie d’hommes d’appareils qui trahit sa peur réelle du peuple réel en s’identifiant à un peuple idéalisé, torche à la main, flambeau de l’Humanité »[24].

Dans sa tentative de construire une méthodologie pour l’étude sociologique des cultures populaires, Passeron affirme la nécessité pour la sociologie, dans sa visée « objectivante », d’osciller sans cesse entre ces deux attitudes intellectuelles, de manière à ne jamais tomber dans leurs extrêmes (le légitimisme qui exagère dans la négation et le populisme qui exagère dans l’idéalisation), en veillant à l’ambivalence de toute forme d’expression culturelle populaire en tant qu’elle est prise entre autonomie et domination. En d’autres termes, il faut tenir les deux bouts consistant à comprendre la culture populaire à la fois comme une vraie culture (ce qui revient à lui attribuer une certaine autonomie) et comme une culture dominée (ce qui revient à lui attribuer une certaine hétéronomie).

Il nous semble que la perspective émancipatrice portée par l’EP rende possible un pas supplémentaire. Elle assoit l’émancipation sur ce que Grignon appelle « la capacité de non-reconnaissance des classes dominées »[25] à l’égard de la culture dominante. C’est cette capacité qui soutient des formes d’insoumission culturelle sur lesquelles l’EP peut se brancher non pas seulement pour « objectiver » la domination symbolique, mais pour la combattre. Il faudra alors montrer comment ce travail permet de sortir de la dialectique dominant-dominé, où le mieux qui puisse arriver aux dominés, c’est de reconnaître la légitimité de la domination, afin d’être à leur tour reconnus par les dominants. Il peut favoriser une position tierce depuis laquelle la structure même de la dialectique puisse être destituée.

Formes de l’insoumission culturelle

Comment s’exercent ces formes d’insoumission culturelle ? La première forme d’insoumission à laquelle on peut penser est la résistance explicite. Or, dans ces situations « réactives », la culture dominée tend à endosser comme « positif » un trait que la culture dominante évalue comme « négatif », mais en restant toutefois dépendante de la structure de l’échelle de valeurs de la culture dominante. Ainsi, « l’inversion des valeurs dominantes est encore un processus qui s’affronte de trop près à l’action de domination symbolique pour rendre compte de tout ce par quoi une culture populaire échappe à l’imposition de la légitimité culturelle »[26]. L’exemple de l’argot est en ce sens significatif. L’usage de l’argot donne lieu à une « recherche dominée de la distinction » qui développe un « style » aussi complexe et nuancé que celui de l’éloquence académique. Ce style montre bien à quel point les groupes populaires sont des véritables acteurs de culture. En même temps, cela peut soutenir aussi un « aristocratisme de paria » qui s’oppose autant aux dominants qu’à ces dominés qui, se conformant aux normes du langage dominantes, sont considérés comme soumis. Cet aristocratisme reconduit donc la distinction entre dominants et dominés qu’il prétend en même temps remettre en question[27].

Il ne faut donc pas confondre immédiatement résistance et émancipation symbolique. Cela permet d’identifier une deuxième forme d’insoumission culturelle. En effet,

les terrains de l’insoumission sont plus vastes que ceux de la révolte. Si la production de symboles et de comportements s’effectue jamais, dans les classes populaires, de manière autonome, c’est plutôt dans des conditions soustraites momentanément ou localement à l’action visible et aux effets directs des rapports de domination. C’est l’oubli de la domination, non la résistance à la domination, qui ménage aux classes populaires le lieu privilégié de leurs activités culturelles les moins marquées par les effets symboliques de la domination[28].

Il faut donc reconnaître que « la culture populaire [peut] encore travailler symboliquement quand elle est de campos, c’est-à-dire quand elle travaille sur d’autres problèmes que ceux que la domination subie “devrait” lui imposer »[29]. Si l’on s’efforce de cerner la culture populaire lorsqu’elle se construit « à distance » de la domination, on peut alors identifier des pratiques culturelles autonomes, dont l’argot lui-même peut faire partie, qui n’ont rien à envier au niveau de la complexité et de la nuance aux pratiques culturelles des classes dominantes, mais qui ne rejouent pas la structure de leur échelle de valeurs.

En même temps, il importe de reconnaître que même à ce niveau des ambivalences surgissent aussi, dans la mesure où toute pratique culturelle « autonome » des classes populaires, en rendant vivable une condition, peut aussi constituer une source d’acceptation et de résignation. L’insoumission culturelle s’exerce en effet surtout au sein ce que Bourdieu appelle les « marchés francs », c’est-à-dire des espaces d’échange délaissés par les dominants (par exemple, le bistrot de quartier), alors qu’au sein des « marchés dominants » (par exemple dans les relations avec la justice, la médecine ou l’école), les membres des classes populaires doivent endurer des efforts considérables vers la correction linguistique, ou bien se réduire au silence[30].

Conclusion. Autonomie, destitution, devenir-minoritaire

C’est néanmoins dans ces formes d’insoumission culturelle que l’EP trouve ses ressources émancipatrices. Nous en identifierons, de manière provisionnelle, trois.

1) L’EP favorise l’expression créative des pratiques culturelles dominées en créant les espaces d’expérimentalisme culturel que la culture dominante leur refuse. Cela implique de se rapporter à ces pratiques culturelles comme à des pratiques potentiellement autonomes – c’est-à-dire aussi riches symboliquement que celles de la culture dominante –, ce qui implique de les considérer comme le produit de la même intelligence qui est à l’œuvre dans n’importe quelle forme de la « haute culture ». L’EP se rapporte donc aux formes d’expression des classes populaires à la lumière de la présupposition de ce que J. Rancière appelle « l’égalité des intelligences »[31], c’est-à-dire de la présupposition que conditions et capacités ne vont pas de pair, qu’être dominé ne signifie pas être incapable, avant tout incapable d’être acteur de culture. Un tel travail mérite d’être entrepris ne serait-ce que pour l’estime de soi qu’une telle (auto)reconnaissance en tant qu’acteurs de culture peut engendrer auprès des publics visés. En plus, ce travail permet aux dominés de comprendre qu’ils ne sont pas seuls face à la domination, ce qui est peut-être une autre manière de dire qu’ils produisent de la culture.

2) En même temps, une fois de plus, il ne faut pas qu’en saisissant les cultures dominées lorsqu’elles oublient la domination, on ne prenne pas en compte la domination elle-même et ses effets. En ce sens, si les formes d’expression propres aux milieux populaires sont des formes de culture à part entière, il reste qu’elles n’ont aucune valeur au sein des marchés culturels dominants, comme le montre l’exemple de l’argot qui, en dépit de sa richesse, est vecteur de disqualification à l’école ou au tribunal. C’est l’effet d’une inégalité au niveau de la compétence permettant de maîtriser les codes des marchés dominants. Or, tout le problème est qu’il ne suffit pas d’acquérir par l’éducation cette compétence pour que les cultures dominées puissent s’exprimer sur les marchés dominants, précisément parce que les codes de ces derniers ne peuvent que disqualifier les cultures dominées comme manquant de culture. Mais, autant que les capacités et les conditions, les compétences et les capacités ne vont pas non plus de pair. Cela implique alors de ressaisir la culture légitime comme ce qui entrave activement l’expression des cultures dominées, comme ce qui les empêche activement dans leur expression. Il s’agit ici d’une deuxième opération de l’EP, qui explicite le jeu aux dés pipés que la domination symbolique impose en tant qu’elle empêche aux cultures dominées de s’exprimer dans un rapport d’égalité avec les formes culturelles dominante. En d’autres termes, il s’agit de déconstruire les codes des marchés culturels dominants. C’est dire que l’EP peut aussi produire une connaissance critique de l’ordre social, l’(im)possibilité d’expression culturelle pour les classes dominées constituant à la fois la source et la finalité de cette connaissance. Cette connaissance critique ne constitue bien entendu pas par elle-même une transformation de la domination – du rapport de force –, mais, étant donné que la domination symbolique est ce qui soutient la méconnaissance des rapports de force, elle peut constituer une manière de passer de l’autonomie culturelle « déjà là » à une stratégie de lutte contre la domination qui s’attèle à transformer les rapports de force eux-mêmes.

3) Enfin, un tel travail n’est pas sans toucher ceux qui bénéficient de la domination symbolique. Prenons l’exemple de W. Labov. Ce sociolinguiste pourfend les discours des psychologues qui, sur la base des tests scolaires des enfants du prolétariat noir des ghettos américains, affirment qu’ils souffrent de « privation verbale ». Labov démontre qu’en changeant la situation sociale et la forme du test, les résultats changent aussi. On découvre que « les enfants noirs des ghettos urbains (…) participent pleinement à une culture éminemment verbale ». Labov va alors jusqu’à renverser l’attribution du stigmate : « au plan de la narration, du raisonnement et de la discussion, les membres de la working class apparaissent par bien des aspects comme des locuteurs plus efficaces que beaucoup de membres de la middle class qui ergotent, délaient et se perdent dans une foule de détails sans importance »[32]. Il ne s’agit pas ici d’une simple forme de populisme, parce que le renversement de l’attribution du stigmate ne vise pas tant à affirmer que la culture populaire est « meilleure ». Il vise plutôt à remettre en question la norme culturelle elle-même, en tant que standard impossible à réaliser. Labov permet ainsi de « transformer en outils de recherche [les] armes habituelles [des dominés] – l’insolence, la gouaille, la provocation »[33], afin de mettre en évidence ce qui manque à ceux qui ont tout, en tant qu’ils manquent par rapport à leurs propres normes culturelles.

Tourner l’insolence populaire en outil de critique permettant de révéler les comportements des dominants en tant qu’ils souffrent eux aussi d’un manque par rapport aux normes culturelles dominantes constitue une troisième opération essentielle de l’EP. Elle est essentielle en ceci qu’elle accompagne la destitution de la domination symbolique par la prise en compte de ce que Deleuze et Guattari appellent le « devenir minoritaire de tout le monde » : « la majorité, dans la mesure où elle est analytiquement comprise dans l’étalon abstrait, ce n’est jamais personne, c’est toujours Personne (…), tandis que la minorité, c’est le devenir de tout le monde, son devenir potentiel pour autant qu’il dévie du modèle »[34]. C’est en fait dans la déviation par rapport au modèle que, même pour ceux qui dans le modèle se reconnaissent, l’on est acteur de culture. Ainsi, la création d’espaces d’expérimentalisme culturel en tant qu’elle destitue la norme majoritaire qui fixe les cultures dominées comme des formes de minorité permet en même temps de libérer tout le monde pour son devenir minoritaire.

  • [1] M. Sant’Ana, « Défense des droits culturels et lutte contre les discriminations, quels enjeux pour les politiques culturelles ? », Etude de l’ARC, 2016, URL : https://arc-culture.be/blog/publications/defense-des-droits-culturels-et-lutte-contre-les-discriminations-quels-enjeux-pour-les-politiques-culturelles/.
  • [2] Dans un texte où il prône un renouvellement des politiques de démocratisation de la culture, J.-L. Genard identifie bien le problème posé par ces politiques : « Bien que menées au nom de l’idéal de démocratisation (…) les politiques de démocratisation de la culture se heurtaient donc à la nature même de la culture, à ses liens substantiels avec la constitution de la subjectivité, et entraient donc potentiellement  en contradiction avec l’idéal tout aussi démocratique d’égale dignité des cultures et des êtres, dès lors qu’était récusée la prétention universelle des biens culturels faisant l’objet des politiques de démocratisation, au nom par exemple de liens privilégiés avec certains groupes sociaux, certaines identités culturelles » (J.-L. Genard, « Démocratisation de la culture et/ou démocratie culturelle ? Comment repenser aujourd’hui une politique de démocratisation de la culture ? », sans date, URL : https://www.gestiondesarts.com/media/wysiwyg/documents/Genard.pdf). Voir aussi C. Romainville, « Démocratie culturelle et démocratisation de la culture – Premier panorama de leurs usages dans la littérature francophone relative aux politiques culturelles (1960-2010) », Repères, n° 4-5, juin 2014.
  • [3] Autonomie relative qui s’explique, d’un côté, par le rapport que les communautés minoritaires entretiennent avec un passé culturel qui n’est pas celui de la communauté majoritaire et, d’un autre côté, par la lutte constante qu’elles mènent contre les discriminations culturelles dont elles font l’objet.
  • [4] Badiou a bien exprimé la manière dont la condition de classe surdétermine les discriminations dont sont frappées les cultures des minorités : « La religion musulmane ajoute aux tares des autres religions celle-ci, gravissime : elle est, dans ce pays, la religion des pauvres » (A. Badiou, « Derrière la loi foulardière, la peur », Le Monde, 22 février 2004).
  • [5] J.-C. Passeron, « Quel regard sur le populaire ? », Ville-Ecole-Intégration Enjeux, n° 133, juin 2003, p. 22.
  • [6] Ce concept de culture côtoie le concept d’idéologie, qu’Althusser reformule à la suite de Marx en affirmant que « dans l’idéologie, les hommes expriment (…) la façon dont ils vivent leur rapport à leurs conditions d’existence » (L. Althusser, Pour Marx, Paris, La Découverte, 1996, p. 240).
  • [7] M. Weber, Economie et société, t. 1, Paris, Plon, 1971, p. 56.
  • [8] C. Grignon, J.-C. Passeron, Le savant et le populaire, Paris, Seuil/Gallimard, 1989, p. 31.
  • [9] Morin E., « L’industrie culturelle », Communications, n° 1, 1961, p. 53.
  • [10] J.-C. Passeron, « Quel regard sur le populaire ? », op. cit., pp. 21-22.
  • [11] P. Bourdieu, P. Champagne, « Les exclus de l’intérieur », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 91-92, mars 1992, p. 74.
  • [12] « Ce système d’enseignement largement ouvert à tous et pourtant strictement réservé à quelques-uns réussit le tour de force de réunir les apparences de la “démocratisation” et la réalité de la reproduction [de la division entre groupes sociaux], qui s’accomplit à un degré supérieur de dissimulation, donc avec un effet accru de légitimation sociale » (P. Bourdieu, P. Champagne, « Les exclus de l’intérieur », op. cit., p. 73).
  • [13] Beaud, M. Pialoux, Retour sur la condition ouvrière, Paris, La Découverte, 2012, p. 436.
  • [14] [1] R. Hoggart, La culture du pauvre, Paris, Minuit, 1970, p. 394.
  • [15] P. Belleville, « Attitudes culturelles actuelles des travailleurs manuels », cité in C. Grignon, J.-C. Passeron, Le savant et le populaire, op. cit., p. 244.
  • [16] J.-C. Passeron, « Quel regard sur le populaire ? », op. cit., p. 27 (nous soulignons). Il faudrait d’ailleurs parvenir à diversifier le terme trop massif de « culture populaire », de manière à pouvoir prendre en considération les différentes formes culturelles qui se rapportent aux différences conditions d’existence « populaires » (cf. P. Bourdieu, « Vous avez dit “populaire” ? », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 46, mars 1983).
  • [17] J.-C. Passeron, « Quel regard sur le populaire ? », op. cit., p. 20.
  • [18] R. Hoggart, La culture du pauvre, op. cit., p. 63, p. 381. « Les membres des classes populaires acceptent sans difficulté les formes de délassement ou de divertissement que leur offre la société où ils vivent, mais sans se laisser fasciner par le spectacle ou manifester le moindre respect pour cette société. Ils sont tout prêts à s’amuser avec ce qu’on leur donne à voir ou à lire, mais ils ne sont pas “assez cons” pour “y croire” » (ibid., p. 332-333)
  • [19] Ibid., p. 386.
  • [20] Sur cette question, cf. Balibar E., « Le “racisme de classe” », in Race, nation, classe. Les identités ambiguës (1988), Paris, La Découverte, 1997
  • [21] « Ce racisme est propre à une classe dominante dont la reproduction dépend, pour une part, de la transmission du capital culturel, capital hérité qui a pour propriété d’être un capital incorporé, donc apparemment naturel, inné » (P. Bourdieu, « Le racisme de l’intelligence », Le Monde diplomatique, avril 2004).
  • [22] Le concept de populisme que nous employons ici ne doit pas être confondu avec la notion passe-partout de populisme employée aujourd’hui pour « expliquer » les succès électoraux de certains partis dits « antisystème ». L’usage actuel du concept n’est qu’une manière pour des milieux intellectuels en manque de repères politiques de faire du mépris de classe le principe d’une réorientation professionnelle les conduisant à se hisser à experts des limitations à imposer à la « bonne » démocratie. Pour une critique de l’usage actuel de cette notion, voir A. Collovald, Le « Populisme du FN ». Un dangereux contresens, Paris, Editions du Croquant, 2004. 
  • [23] C. Grignon, J.-C. Passeron, Le savant et le populaire, op. cit., p. 42-43.
  • [24] P. Bourdieu, « La délégation et le fétichisme politique », Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, 2001, p. 272.
  • [25] C. Grignon, J.-C. Passeron, Le savant et le populaire, op. cit., p. 78.
  • [26] Ibid., p. 116.
  • [27] Cf. P. Bourdieu, « Vous avez dit “populaire” ? », op. cit.
  • [28] C. Grignon, J.-C. Passeron, Le savant et le populaire, op. cit., p. 104.
  • [29] Ibid., pp. 120-121.
  • [30] En raison de sa grande richesse (due entre autres choses à l’interpénétration entre condition et communauté et donc à la double discrimination qui l’accompagne), la culture populaire des ghettos noirs aux Etats-Unis est traversée par ces formes d’insoumission et par leur ambivalence. O. Patterson identifie quatre configuration culturelles : la culture « mainstream » de la classe moyenne noire (qui tend vers le conformisme à l’égard de la culture légitime) ; la culture vernaculaire de la classe ouvrière et des groupes précarisés, qui tourne essentiellement autour de la religion (qui peut être associée à l’oubli de la domination – avec ses formes d’autonomie et d’acceptation – et qui a été capable de constituer le principe du Civil Rights movement, que Patterson considère avant tout comme une « révolution religieuse ») ; la « black thug culture » : véritable nihilisme culturel qui, sur la base d’un « schéma d’honneur primaire », célèbre l’hypermasculinité, la violence, la guerre entre territoires, un matérialisme extrême, le crime, etc. (qui peut être associée aux formes de résistance par le renversement et confirmation de la structure de l’échelle de valeurs dominante) ; et la configuration culturelle la plus ambivalente : la « culture Hip Hop » qui « a commencé comme un puissant moyen subalterne d’expression de l’aliénation et de la rage concernant les conditions du ghetto » et « a été en large partie transformée dans la misogynie hypermasculine et le nihilisme du “gangsta rap” (mais il y a d’autres sous-genres alternatifs), sous l’impulsion et l’insistance du système d’entreprises qui contrôle l’industrie musicale » (qui se trouve donc à la frontière entre culture populaire et culture de masse) (cf. O. Patterson, « From one Out-In to another : What’s missing in Wacquant’s structural analysis », Urban Studies, vol. 56, n° 6, 2015).
  • [31] Cf., par exemple, J. Rancière, « Communistes sans communisme ? », dans Moments politiques, Paris, La Fabrique, 2009.
  • [32] W. Labov, Le Parler ordinaire, la langue dans les ghettos noirs des Etats-Unis, cité in C. Grignon, J.-C. Passeron, Le savant et le populaire, op. cit., pp. 226-227, p. 231.
  • [33] C. Grignon, J.-C. Passeron, Le savant et le populaire, op. cit., p. 124.
  • [34] G. Deleuze, F. Guattari, Mille Plateaux, Paris, Minuit, 1980, pp. 133-134.