Religion et laïcité en éducation permanente

Religion et laicité en éducation permanente

Dans l’hors-champs du théâtre des multiples polémiques qui divisent tant la société civile que l’État politique, la question des rapports entre laïcité et religiosité polarise radicalement l’espace de la citoyenneté et du débat public. Que la laïcité soit aujourd’hui considérée comme synonyme d’un progrès civilisationnel n’a rien d’une évidence, et nombreux sont les citoyens pour lesquels l’expression religieuse demeure un enjeu fondamental à l’exercice de leurs droits et de leurs libertés. Le secteur de l’éducation permanente est souvent amené à adopter une posture complexe face à cette problématique. Cette analyse entend proposer les jalons d’une posture critique apte à s’intégrer dans la complexité du débat.

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  1. INTRODUCTION

Religion et laïcité sont souvent opposées dans les représentations et dans les débats publics. La voix de ceux qui croient parait, pour certains, anachronique, antonyme de progrès, nécessairement problématique dans une société laïque. Pourtant, cette voix existe et persiste ; elle est celle de nombreux citoyens belges, qui ont des profils, des revendications et des aspirations multiples et variées.

Plusieurs polémiques ont eu tendance à polariser les positions sur la question de la laïcité. C’est, pour la plupart du temps, le cas de celles qui concernent plus particulièrement l’Islam et les différents signes religieux et pratiques qui lui sont associés.  Les uns brandissent la laïcité comme bouclier à l’invasion d’une autre civilisation, les autres prétendent simplement vouloir sauver les plus faibles des communautés musulmanes (femmes et jeunes filles) contre les pratiques patriarcales dont elles seraient particulièrement victimes en leur offrant la laïcité ; à l’opposé, certains, excédés sans doute par la démesure et l’omniprésence de certains débats, minimisent inutilement la signification et l’existence de certaines pratiques et dogmes religieux.

Parce que le public qu’elle cible, les milieux populaires, en particulier à Bruxelles, est aussi composé de personnes d’origine arabo-musulmane, mais également parce qu’elle constitue un secteur propice à la réflexion sur les débats de société qui divisent, l’éducation permanente est de facto particulièrement concernée par la problématique.

C’est pourquoi, malgré la complexité infinie de cette problématique, il nous parait nécessaire de contribuer à penser la posture que les associations d’éducation permanente peuvent adopter à l’égard des religions et des débats qui fusent autour de la laïcité.

Pour ce faire, nous proposons dans un premier temps de discuter des différentes significations qui peuvent être associées au terme « laïcité », afin de donner des clés de compréhension de base du débat et des arguments régulièrement avancés. Ensuite, nous proposons de mettre en perspective certains éléments de l’argumentaire « pro-laïcité », qui apparaissent aujourd’hui dans l’imaginaire collectif comme des évidences, à tel point qu’ils servent de véritable cheval de Troie aux partis d’extrême droite. À partir de cette appréhension de la problématique, nous formulerons certaines pistes d’action pour l’éducation permanente, en proposant de définir dans ce cadre ce qu’on pourrait être considéré comme une des missions de l’éducation permanente envers l’Islam[1] ainsi qu’envers les autres religions/convictions des minorités.

  1. QU’ENTEND-ON PAR LAÏCITÉ ?

2.1 La laïcité : un principe juridique et politique

La laïcité est un principe juridique de séparation de l’État et du religieux[2]. C’est un principe selon lequel l’État s’impose à lui-même d’être impartial à l’égard de ses citoyens, quelles que soient leurs convictions religieuses ou philosophiques. Ceci est évidemment fondamental : il garantit la liberté de croyance, de culte et de pensée. Soulignons que ce principe n’implique pas que l’État impose à ses citoyens d’être eux-mêmes impartiaux à l’égard de la diversité convictionnelle. Il est en effet capital de bien distinguer un principe juridique étatique d’un principe qui s’imposerait aux individus de cet État : c’est ce qui permet à chacun d’adhérer aux religions ou croyances philosophiques qui les convainquent et de manifester cette adhésion. Soulignons également qu’en Belgique, ce principe juridique n’implique pas que l’État n’ait aucun « lien » avec ces religions : son impartialité n’est pas considérée comme impliquant nécessairement l’absence de lien concret, institutionnel ou financier : c’est ce qui explique que l’État belge finance les cultes et convictions reconnus, en théorie[3] de la façon la plus impartiale qui soit[4].

2.2 Laïcité et sécularisation

La laïcité d’un État n’a pas nécessairement de lien avec la « sécularisation » de sa population, c’est-à-dire la disparition progressive des croyances religieuses et de l’influence de celles-ci sur le quotidien des citoyens :

Idéalement, la distinction entre société « laïque » et société « sécularisée » devrait paraitre évidente : la laïcité n’est pas la sécularisation. Alors que la première se réfère à des arrangements institutionnels (séparation entre l’État et la religion), la seconde décrit un processus sociologique empirique : la diminution de l’importance de la religion au sein de la société[5]

Comme Jacquemain le souligne dans son article très éclairant sur le mouvement laïque, de simples exemples permettent de saisir la distinction entre les deux phénomènes : la Suède était jusqu’à très récemment officiellement un état luthérien alors que la pratique religieuse y était très rare dans sa population, tandis que les États-Unis constituent à la fois un état rigoureusement laïque (bien plus que la Belgique) et un pays dans lequel les croyances et les dogmes religieux ont encore une grande emprise sur les individus.

Malgré cette distinction relativement claire, les deux processus sont très souvent pensés simultanément et sont même parfois confondus. C’est sans doute parce que le principe juridique et institutionnel de la « laïcité » est très régulièrement associé à un combat politique et idéologique. En Belgique francophone subsiste en effet un « mouvement laïque » qui « (…) associe la promotion de la laïcité comme objectif institutionnel et celle de l’athéisme (accessoirement de l’agnosticisme) comme référence idéologique et morale »[6]. L’association, qui vire parfois en véritable confusion, des deux « combats » dans le mouvement laïque induit souvent de penser la laïcité et la religion comme les deux éléments d’une alternative, nous condamnant tous à prendre position dans l’un ou l’autre des deux camps.

Pourtant, la laïcité telle qu’elle est pensée et mise en application dans la constitution belge n’est pas incompatible avec la religion ; au contraire, en réalité, elle existe justement parce que cette dernière a une place dans la vie de certains individus ; elle vient précisément garantir que toute personne, quelles que soient sa religion ou ses convictions philosophiques, soit respectée et traitée par l’État de façon égalitaire. Elle n’impose ni ne vise donc nullement la disparition du religieux chez les individus. Cette appréhension de la « laïcité » rend, de notre point de vue, plus aisée la recherche d’un (relatif) consensus autour de certains débats qui ont fait la Une des journaux ces dernières années, qui interrogeaient souvent la légitimité de l’adoption de certaines pratiques ou du port de certains symboles propres à une religion dans certains contextes. Face à des situations de ce type, il s’agit de se demander si en toute circonstance les individus et/ou l’État respectent ce principe de séparation entre le pouvoir et le religieux, et non, par exemple, de quel droit ou pour quel motif légitime les individus peuvent afficher dans l’espace ou les institutions étatiques des marques religieuses, puisqu’ils ne sont pas l’État (et sont d’ailleurs censés être traités équitablement par celui-ci malgré leur appartenance à certaines communautés religieuses ou philosophiques).

Le débat devient en réalité bien plus complexe lorsque ce qui est visé plus ou moins explicitement dans le mouvement laïque, c’est en fait l’instauration de l’athéisme comme référence idéologique et morale commune. Cette posture se fonde sur de nombreux arguments et a, en Belgique, une histoire sociopolitique particulière que nous n’évoquerons pas ici. Parmi les arguments avancés de manière relativement constante figure celui de l’archaïsme culturel considéré comme étant intrinsèque aux religions (et/ou à leurs institutions). Selon cette posture, une société libre et progressiste serait nécessairement débarrassée des religions.

  1. DE LA VARIABILITE DE LA TOLERANCE AUX ARCHAÏSMES CULTURELS

C’est notamment parce que certains grands penseurs comme Nietzsche, Feuerbach ou Freud ont mis en lumière les dérives et les limites des religions, à des époques où celles-ci, via leurs institutions surtout, exerçaient encore un pouvoir très important dans nos sociétés, que celles-ci sont encore aujourd’hui considérées comme aliénantes. Comme la popularité d’une citation (tirée des propos de Marx) en témoigne – « La religion est l’opium du peuple »[7] -, cet héritage culturel implique de penser la religion comme étant purement incompatible avec l’exercice de la raison et de la liberté. La religion est alors nécessairement, dans cette perspective, un « archaïsme, qu’il faut traiter avec tolérance, mais qui dans un « monde idéal » serait naturellement vouée à disparaitre »[8].

Parmi les nombreux points autour desquels s’articule cette prise de position, nous en épinglerons ici deux en particulier : l’aliénation de la raison et celle du pouvoir de résistance et d’émancipation face aux injustices et aux inégalités. Ces arguments sont au cœur des critiques de la religion qui ont permis à nos sociétés de s’en émanciper et d’en identifier les limites ; ils semblent toutefois servir, grâce à leur caractère relativement incontestable, pour d’autres luttes que celles pour lesquelles les grandes critiques de la religion ont été émises au début du 20ème siècle.

3.1 Une tolérance variable à l’irrationnel

Il est fréquent, dans l’imaginaire collectif occidental, que l’on associe le recul de la religion au progrès de la pensée : c’est là, en partie, l’héritage du triomphe de la raison sur la foi et la croyance clamé par les philosophes des Lumières[9] et de la dénonciation du pouvoir aliénant de la religion (qui fait accepter la misère et les injustices). Il faut dire qu’il est vrai que, pendant des siècles, les institutions religieuses ont imposé des normes (une moralité, disant ce qui est bien ou mal) et des représentations de la vie et du monde de façon souvent dogmatique, c’est-à-dire en laissant rarement la place à l’exercice du doute, de la raison, de l’esprit critique, ce qui a eu des conséquences dramatiques sur le destin d’innombrables personnes.

Si l’argument du progrès de la raison[10] et de la libération de la pensée peut sembler politiquement neutre, sa mobilisation dans les débats contemporains, pour jeter le discrédit sur les pratiques et les croyances de certains, nous parait devoir être creusée.

C’est notamment lorsque les croyances qui sont dénoncées comme « irrationnelles » n’ont a priori qu’un impact sur les pratiques quotidiennes, sur les rites, que cette critique nous interpelle[11]. L’on ne peut s’empêcher de constater en effet avec étonnement à quel point la tolérance à l’égard de l’irrationnel est relativement variable. Objets de réelles angoisses pour l’avenir du monde et d’une jeunesse « incapable de réfléchir »[12], ou tournés en ridicule, les éléments imposés par les écritures (en tous cas vécus comme tels), qui ne se justifient pas rationnellement (le ramadan[13], les interdits alimentaires,…) semblent constituer pour certains de véritables non-sens dans une société qui est particulièrement fière de s’être émancipée de la religion et des histoires, récits et normes irrationnels qu’elle imposait.

Quand on isole cet argument dans les discours, on constate que certaines pratiques irrationnelles irritent indéniablement plus que d’autres. En effet, de nombreuses formes de croyances irrationnelles se maintiennent, voire prennent de l’ampleur dans divers groupes sociaux sans s’attirer la moindre critique (ou à tout le moins, sans être considérées comme des menaces à « notre » ethos rationaliste). Les homéopathes, les kinésiologues, les « devins» de tous bords (astrologues, chiromanciens, cartomanciens) développent leur business sans offusquer ceux qui exploitent la lutte contre les religions, sur la base de l’argument rationaliste, à des fins racistes, xénophobes et/ou assimilationnistes. Par ailleurs, ceux qui consomment leurs services sont loin d’être ceux qui n’ont pas eu la chance de fréquenter longuement ce qui est souvent présenté comme le temple de la raison : l’institution scolaire.

Si ces croyances n’ont évidemment pas la même « (…)puissance idéationnelle, projectuelle, identitaire du religieux et de ses traditions historiques » qui ne se ramènent donc pas à « (…)une expression culturelle banale »[14], on peut tout de même s’étonner de ce que les fervents défenseurs de la Raison, en tout cas ceux que l’on entend beaucoup dans les médias et les débats politiques[15], ne semblent pas s’émouvoir ou s’inquiéter particulièrement de cette persistance (voire de ce retour) de l’irrationnel. Pourquoi tolérons-nous si facilement certaines formes d’irrationalités et pas celles qui sont liées aux religions, particulièrement lorsque celles-ci ne nous sont au départ pas familières ? Pourquoi, par exemple, la consommation de services de « soins » ou d’accompagnement fondés sur des pratiques irrationnelles, parfois pour des enfants, adolescents et adultes en souffrance, inquiète-t-elle moins que la croyance en le créationnisme ? Cet argument n’est-il pas, pour certains, un prétexte, comme le suggère Marc Jacquemain ? N’y-a-t-il pas, dans certains cas, d’autres enjeux qui se cachent discrètement derrière cette dénonciation de l’irrationnel ?

3.2 Une tolérance variable aux mécanismes de domination

Dans le discours « pro-laïcité », certains dénoncent avec ferveur la façon dont les religions entérinent des mécanismes de domination de façon générale, en les imposant et en les rendant incontestables, par exemple en imposant des rôles restrictifs aux femmes (devant être au foyer avant tout et se soumettre à la volonté des hommes).[16] Cet argument suffisent à jeter le discrédit sur les religions sans les distinguer de leurs institutions et dans des contextes différents de ceux où celles-ci ont été critiquées pour de tels motifs.

Du port du voile[17] à l’école et au travail, en passant par les longueurs des tenues utilisées pour se baigner, la laïcité est souvent « présentée au sein du débat public comme le bouclier destiné à protéger les femmes musulmanes des attitudes lourdement patriarcales au sein de leur propre communauté culturelle et religieuse »[18]. Comme le souligne Jacquemain, le simple fait que ce discours soit mobilisé par les plus xénophobes et réactionnaires des programmes politiques – les programmes d’extrême droite –  invite à s’y pencher :

Il y a au moins une raison circonstancielle qui justifie le scepticisme à l’égard de ce « storytelling » : il est devenu un schéma narratif central de la propagande du populisme d’extrême droite. En particulier en France, Marine Le Pen, la présidente du Front national, semble avoir accompli une soudaine conversion simultanée à la laïcité et au féminisme[19].

Comme le remarque avec humour Marc Jacquemain, on peut difficilement observer la mobilisation d’un argument féministe par des personnages intellectuels et politiques xénophobes et conservateurs sans montrer un certain scepticisme.

De la même manière que ce qui était dénoncé ci-dessus, il est dans ce cadre intéressant de s’interroger sur la façon dont sont tolérées les traces de la domination des femmes par les hommes, notamment dans l’espace public. Ceux qui brandissent l’argument de l’émancipation des femmes pour empêcher le port du voile dans certains contextes s’offusquent-ils de publicités et des produits culturels qui objectifient continuellement le corps des femmes (à travers l’affichage dans l’espace public, les publicités, les productions télévisuelles et cinématographiques…), des remarques et des postures sexistes, des inégalités de traitements et de salaires ? Les mécanismes oppressifs auxquels les femmes sont les plus soumises à la plage (et dont elles souffrent) sont-ils vraiment ceux pour lesquels une chasse a été récemment organisée sur le littoral français ?

De nouveau, la très grande force d’attraction de cet argument en faveur de la laïcité – l’émancipation des femmes d’un système patriarcal – ne doit pas cacher à quelle fin celui-ci est employé dans certains schémas narratifs. Comme le souligne Jacquemain, il faut se rappeler que, s’il est « (…) fort possible qu’il n’y ait pas de religion sans patriarcalisme (…), il semble en tous les cas qu’il peut exister un patriarcalisme sans religion », celui qui est encore bien présent dans nos sociétés, et notamment celui qui pousse certains hommes à considérer que les femmes musulmanes sont manipulées et ne savent pas décider et savoir ce qui est bon ou non pour leur émancipation[20].

Plus généralement, remarquons que l’argument antireligieux, qui se fonde sur le potentiel aliénant des religions – qui empêche la résistance aux injustices en imposant notamment leur fatalité –, est mobilisé dans un monde où les injustices sont principalement légitimées par des principes méritocratiques tout aussi paralysants pour certains types de trajectoires (et peut-être encore plus insidieux). On ne peut pas s’empêcher de penser, dans ce cadre, que, dans le contexte qui nous occupe, on se trompe de cible. Plus encore, il semblerait que ces arguments « progressistes » fassent intentionnellement l’objet d’une mobilisation  opportuniste et instrumentale par ceux qui défendent et développent des discours et projets réactionnaires, comme Marine Le Pen – dont on sait pertinemment que l’émancipation des femmes est loin d’être une préoccupation et revendication première.

C’est ce qui nous mène à nous demander si la variabilité de la tolérance à certains « archaïsmes » culturels ne cache pas une certaine variabilité de la tolérance « tout court ».

3.3 Le cheval de Troie « laïque » des assimilationnistes

Pour certains auteurs[21] l’acharnement contre les signes religieux musulmans en Belgique s’explique en grande partie par le fait qu’ils sont les témoins mêmes de la persistance d’une forme d’ « altérité » à l’égard de laquelle la tolérance de certains trouve ses limites. La présence de signes symbolisant, toujours d’un certain point de vue, l’altérité, la demande de reconnaissance voire la défense de traits particulièrement « exogènes » (parce qu’ethniquement et religieusement différents) est souvent perçue comme le signe d’un refus d’intégration, voire d’un mépris du « pays d’accueil ».

Mais de quoi parle-t-on, à quoi pense-t-on, quand on conclut à des « signes d’un échec » ou à  « un refus d’intégration »[22] ? Poser cette question implique de poser la question du sens du concept d’ « intégration ». Ce concept est flou et abstrait, parce qu’il mobilise au départ une métaphore destinée à décrire un processus social par un phénomène concret, matériel. Étymologiquement, intégrer implique d’introduire une chose ou une personne dans un ensemble cohérent. On le voit, le concept même d’intégration suppose que la société constitue un tout, cohérent mais également poreux (perméable, accessible en certains points). Que désigne-t-on concrètement quand on évoque ce tout dans lequel intégrer de « nouveaux » arrivants ?

En fait, porter des signes d’altérité n’apparait problématique, dans le cas des groupes d’origine immigrée, que dans la mesure où l’on considère que l’intégration implique l’assimilation culturelle, c’est-à-dire l’adoption par les populations d’origine immigrée de l’ensemble des traits (présupposés) communs aux citoyens « pure souche ». Jacquemain souligne en ce sens que

ce qui est visé, c’est la disparition progressive des traits culturels spécifiques des migrants et de leurs descendants sommés de faire allégeance, non seulement à nos lois – ce qui n’est effectivement pas négociable – mais à nos « normes et valeurs », soit des notions particulièrement élastiques. Cette conception de l’intégration – qui ne prévaut en Belgique que du côté francophone – est très proche de l’assimilationnisme à la française : pour bien s’intégrer, il faut se couler dans le moule au point de faire oublier ses racines, de boire de la bière ou du vin, de manger du jambon et de prénommer ses enfants Louise et Lucas plutôt que Yasmina ou Ayoub [23].

Or, ce projet inavoué relève non seulement d’un fantasme (hérité du mythe des États-Nations) – cette identité belgo-belge typique et les traits à y associer a-t-elle seulement une consistance, ne fut-ce que dans les esprits ? –, mais contient en plus des dérives évidentes aujourd’hui – comment appeler de ses vœux, dans une société si diversifiée et inégalitaire, que chaque individu épouse en tous points un modèle qui impose déjà sa domination dans de nombreux domaines, sans favoriser le repli sur soi, l’auto-exclusion et le rejet ?

Une fois mis de côté ce fantasme assimilationniste entretenu par certains, comment évaluer et penser l’intégration, notamment du point de vue de la place du religieux ? La plupart des autorités en la matière, en tout cas en Belgique francophone, ainsi que des chercheurs, s’accordent à dire qu’on peut définir empiriquement l’intégration comme « (…) la participation « à la vie sociale et culturelle (par le biais de l’école, du quartier, d’associations, d’institutions, etc.), économique (travailler) et citoyenne (participer au débat public, contribuer à la réflexion sur les choix politiques, agir dans le champ politique) »[24].

Or, en réalité, si l’on pose réellement la question de l’intégration, au sens d’acquisition de l’égalité en droits et en devoirs en tant que citoyens, on peut considérer que les revendications portées par les groupes minoritaires, si elles le sont de façon pacifique et selon les modes de revendication démocratiques, sont au contraire le signe d’une certaine forme d’intégration[25] : quoi de plus sain en effet, que de se montrer, en tant que membre d’un tout, tel qu’on est, de ne pas cacher des pratiques et des croyances et de les assumer comme devant également faire partie du paysage identitaire et religieux belge ? Que souhaiter de plus que des minorités osent poser des choix qui leur sont propres, et par là affirmer leur légitimité à définir, en Belgique, ce qui a droit ou non de cité en classe, à l’école, dans les transports, dans les restaurants ?

Évidemment, notre propos n’est pas ici de dire que l’intégration, au sens de participation à la vie sociale, démocratique, économique et citoyenne de tous les citoyens belges est une grande réussite. Mais si l’on pose cette question, il faut dès lors poser la question de la porosité, pour reprendre la métaphore, de notre société : où sont les espaces vides sur notre marché du travail saturé ? Et à qui sont-ils accessibles ? Y a-t-il la possibilité de se frayer un chemin dans le marché du travail, étant donnés les nombreux obstacles (notamment les discriminations sociales et culturelles) ? Plus encore, étant données les conditions de vie socio-économiques désastreuses dans lesquelles de nombreuses familles sont plongées, peut-on vraiment imaginer une participation active à la vie sociale, culturelle et citoyenne en dehors de son quartier ? Ces questions soulèvent une problématique plus vaste que celle abordée ici, mais il parait nécessaire de les garder à l’esprit pour envisager la problématique de l’émancipation, notamment des femmes musulmanes, de façon globale (en veillant à identifier les réelles causes des situations de domination et d’oppression).

On ne peut s’empêcher de souligner dans ce cadre que ceux qui s’obstinent à offrir la laïcité en cadeau, particulièrement aux femmes, pour favoriser leur émancipation et leur intégration, et qui ne se soucient pas des obstacles qui en amont mènent à des situations d’exclusion sociale et culturelle indéniables, œuvrent en définitive surtout à la disparition progressive des marques « exogènes », donc tout autant celles des femmes opprimées que de leurs maris. Ainsi, il parait clair que l’argument de la laïcité est utilisé par certains de façon instrumentale et stratégique pour faire « accepter » des discours xénophobes qui ne s’assument pas comme tels, comme nous l’a encore récemment montré Bart de Wever dans sa déclaration sur la différence entre Juifs et Musulmans[26].

  1. LE CAS SPECIFIQUE DES MUSULMANS : DU FANTASME AUX (RARES) DONNÉES

Notre intention n’est pas de laisser entendre que tout défenseur de la laïcité, aussi fervent soit-il, est nécessairement un assimilationniste masqué (ou qui s’ignore). Certaines personnes s’inquiètent sans doute sincèrement de ce « retour » du religieux dans la communauté musulmane et ailleurs, alors qu’ils ne seraient pas forcément, par contre, opposés à la persistance de signes identitaires et culturels « exogènes » forts. Les religions ont cette puissance et cette force (comme nous l’avons souligné) que d’autres simples pans de la culture n’ont pas – comme l’Histoire a pu le montrer –, et sont, en ce sens, des objets d’analyses, de vigilance et de questionnements tout à fait légitimes.

La question du retour hypothétique du religieux, particulièrement dans la communauté belge d’origine arabe, est extrêmement complexe : elle demanderait d’être débattue longuement et d’être lourdement documentée[27]. En tout état de cause, nous voyons ici deux remarques à formuler.

Premièrement, les enquêtes nous permettent d’être sûrs d’une chose : le développement d’un Islam plus visible en Belgique est le résultat d’une multitude de processus identitaires, sociologiques, culturels, politiques ; il répond à des besoins et des revendications extrêmement divers, voire antagonistes. Or, malgré cela, soulignons, avec Goldman, que

[l]a communauté musulmane est systématiquement réifiée de l’extérieur… alors que cette communauté n’existe pas comme le bloc qu’on fantasme, qu’elle n’est qu’une facilité de langage, qu’elle est ethniquement et culturellement plurielle, que ses limites sont poreuses. Sans doute a-t-on besoin de la stéréotyper pour se donner une chance de la saisir. [28]

Les (encore bien trop rares) études qui analysent les pratiques et les profils des musulmans de Belgique permettent de disposer de premières clés pour appréhender la complexité des trajectoires individuelles et familiales en termes de (retour vers le) religieux. Pour ne citer que quelques aspects étudiés, le contexte politique global en Occident, plutôt défavorable à l’Islam (depuis les attentats du 11 septembre surtout) peut expliquer le développement d’une identité narrative politique collective qui se traduit par une solidarité affichée avec les peuples opprimés par les grandes puissances occidentales (dont la Palestine, qui est le « centre de gravité émotionnel »[29] de ce sentiment d’injustice et d’impuissance) ou, au contraire, un rejet, une gêne, un malaise de l’appartenance à la communauté musulmane chez les nouvelles générations d’immigrés qui va jusqu’à la honte de la langue et la haine des traits physiques endogènes notamment. L’adoption ou non de pratiques et d’habitudes « religieuses » (ou symboliques d’une communauté religieuse) peut aussi prendre place dans des processus complexes et variés de développement social et identitaire à un niveau plus micro (donc apolitique) : dans le cadre d’émancipation, d’autonomisation, de réaction à des expériences particulières (positives comme négatives), de soumission à ou de rejet de certains modèles (transmis par le tissu familial et/ou social) plus ou moins imposés[30].

Les symboles religieux (tel que le port du voile) présentés comme univoques par certains paraissent en réalité loin de l’être. Ainsi, le port du voile peut tout autant être le résultat d’une soumission à l’autorité d’un parent ou d’une communauté patriarcale que celui d’une émancipation et d’un moyen d’affirmer ses convictions et choix politiques et/ou convictionnels.

Dans le même sens, les conséquences du retour du religieux dans la vie quotidienne et la définition de priorités et de valeurs est extrêmement variable selon les individus. Il est donc difficile, sinon inutile, de définir des aspirations et caractéristiques homogènes propres à une communauté musulmane fantasmée. Plus encore, le faire contribue nécessairement à reproduire ce qui dérange, ce qui est dénoncé, à savoir le communautarisme :

les assignations langagières finissent toujours par sortir des effets sur le réel. L’identité musulmane est au moins autant produite par le jeu des assignations que par une nécessité interne. Ce processus alimenté par un nous exclusif finit par faire surgir ce qu’on pourra ensuite dénoncer comme du repli sur soi ou du communautarisme[31].

Néanmoins, ce n’est pas parce que le réel résiste à la compréhension, de par sa complexité, que l’on fait le deuil de son apprivoisement et de son appréhension, surtout pas en éducation permanente : si des tendances et des corrélations existent, il faut pouvoir les analyser pour déterminer, par exemple, la façon dont le religieux joue un rôle dans les pratiques et les trajectoires des individus et les leviers sur lesquels agir pour garantir l’émancipation de tous.

Les résultats des enquêtes menées par Adam et Torrekens (dont Goffinet propose un résumé clair dans le Journal de l’Alpha[32]) permettent à la fois de lever les craintes de certains (concernant par exemple l’effet des croyances religieuses sur la conception des femmes et de leur rôle dans la société, l’adhésion aux principes de laïcité constitutionnelle, la façon dont les pratiques religieuses sont surtout perçues comme des moyens de socialisation et non pas des manières de guider la vie quotidienne selon des dogmes imposés), mais également de montrer les aspects dans lesquels les croyances religieuses semblent avoir tendance à aller de pair avec des postures relativement conservatrices dans le domaine de la vie privée (au sujet de l’acceptation de l’homosexualité ou du divorce par exemple). Tout en ne pouvant déterminer le sens des corrélations (est-ce que parce que les personnes interrogées sont musulmanes ? ou parce qu’elles font partie des groupes sociaux les plus défavorisés, en termes de niveau d’éducation et de conditions socio-économiques, à Bruxelles ?), il faut donc ainsi contribuer à ce que des connaissances fines se développent sur la question afin d’identifier les zones où l’éducation permanente a un rôle à jouer.

  1. LE PIÈGE DE LA MISE EN MIROIR CROYANCE/ÉMANCIPATION

5.1 L’émancipation : l’œuvre propre des classes subalternes

Comme l’introduction du numéro « Belges et musulman·e·s : le défi de l’inclusion » de la revue Politique permet de le souligner, « en majorité, les personnes musulmanes appartiennent aux classes les plus subalternes de la société, celles dont Marx et Engels suggéraient que leur émancipation sera leur œuvre propre »[33].  L’éducation permanente, qui a la mission de se tenir « aux côtés » de ceux qui sont les plus démunis « (…) en refoulant ce paternalisme qui est la marque la plus insidieuse du mépris »[34], est donc particulièrement concernée par cette problématique.

Elle est parmi les secteurs les plus à même de rappeler que l’émancipation exige de mettre de côté toute posture qui disqualifierait plus ou moins consciemment les (présupposées) victimes en tant qu’interlocutrices, supposant qu’elles ne savent elles-mêmes pas analyser leur propre situation, qu’elles sont de toute façon sous l’influence de quelqu’un ou de quelque chose. Cette infantilisation, cette disqualification de la voix d’une bonne partie des personnes directement concernées ne sont ni susceptibles d’appréhender le phénomène de façon complexe, ni enclines à favoriser l’émancipation de celles-ci.Dans ce contexte, l’éducation permanente a le mérite de rappeler ce principe, souvent oublié des débats et des polémiques et de souligner qu’avant tout, lorsque des groupes sont identifiés comme faisant preuve d’un manque d’autonomie ou d’émancipation, il faut identifier les obstacles qui les freinent et sur lesquels ils veulent agir, qu’ils soient sociaux, économiques ou culturels (au sens large, en ce compris religieux).

5.2 Éducation permanente et religion : deux finalités à l’horizon

Étant donnés les constats formulés en première partie de cette analyse, nous désirons penser notre action et notre réflexion en éducation permanente en poursuivant deux objectifs principaux :

  1. COMPRENDRE : comprendre, discuter, analyser les différentes motivations qui mènent au (retour du) religieux et les implications de celui-ci dans certains groupes minoritaires (les personnes musulmanes notamment) ainsi que l’articulation de différents freins à l’émancipation, pour créer et diffuser un savoir collectif critique autour de ces questions.
  1. AGIR : se tenir aux côtés des personnes défavorisées pour faire remonter leurs revendications et agir sur les problématiques identifiées avec elles, dans des formes d’expressions et selon des modalités qui leur conviennent et permettent dès lors une réelle émancipation. Face à la présence de personnes dont on peut supposer qu’elles doivent gagner en autonomie, l’urgence est avant tout de s’assurer qu’elles se trouvent dans des conditions socio-économiques et éducatives permettant de gagner celle-ci : c’est-à-dire, qu’elles puissent donc accéder à tous types de services et de compétences, indépendamment des choix qu’elles posent (religieux, vestimentaires, etc.). L’éducation permanente a pour mission spécifique d’œuvrer, directement ou indirectement, à permettre à chacun de disposer des outils intellectuels et pratiques lui permettant de vivre une vie autonome et de s’émanciper. Cela n’implique pas d’imposer, ni même de souhaiter, un certain type d’autonomie et d’émancipation (par exemple à l’égard des traditions et des pratiques religieuses).

Comme le soulignent les récentes analyses et publications, notamment du secteur de l’alphabétisation[35], nous manquons cruellement de connaissances et d’outils pour traiter des différents aspects liés à la religion et l’émancipation en éducation permanente.

Nous avons dès lors voulu ici mettre en lumière certaines pistes de réflexions et d’actions déployées dans le secteur de l’éducation permanente qui nous semblent poser les conditions pour penser le religieux dans des parcours d’autonomisation.

Au niveau des aspects politiques et identitaires de la problématique, certains s’attèlent à :

  • mettre en perspective les a priori assimilationnistes qui sous-tendent les réactions épidermiques face aux signes religieux musulmans pour mieux comprendre la problématique – pour ceux qui la nourrissent comme ceux qui la subissent – et en appréhender les effets
  • faire émerger un savoir collectif sur le sentiment de stigmatisation et d’injustice (à un niveau national et supranational), sur l’essentialisation des cultures (ses effets sur la réification d’une identité et sur le repli sur soi), les origines de la peur de l’autre et de l’étranger[36] sur laquelle surfent notamment les partis populistes et qui entretient une xénophobie nécrotique

Au niveau des aspects psychosociaux et culturels, certains s’attèlent à

  • comprendre et mieux connaitre la place du sacré dans la vie de certains citoyens de Belgique et ses implications, pour coconstruire, en filigrane, un savoir sur celui-ci, et des outils permettant de le respecter et de respecter celui des autres (v. à ce sujet les propositions intéressantes de Cédric Tolley et Valérie Laloux[37])
  • « dépasser la dualité pour envisager l’hybridation des normes dans la vie quotidienne »[38] En ce sens, analyser la compatibilité et l’articulation du religieux, du spirituel et du sacré avec différents domaines de l’activité humaine, comme l’apprentissage des méthodes scientifiques notamment (afin d’identifier dans quelle mesure et sous quelles conditions le besoin de croire et d’adhérer aux grands récits religieux comme le créationnisme[39] n’est pas incompatible avec l’apprentissage des démarches scientifiques et le développement d’un esprit critique)
  • interroger le besoin de répondre aux angoisses et questionnements existentiels et les moyens dont certaines personnes disposent pour le faire (en mettant au centre des réflexions le sens que les individus peuvent donner à la/leur vie aujourd’hui selon les conditions dans lesquelles ils vivent et leurs parcours personnel)
  • s’atteler à faire émerger le commun, l’universel, en toute situation, pour parvenir à établir une réelle confiance dans un travail collectif d’émancipation et se donner des principes communs nécessaires à un tel travail collectif

CONCLUSION

Cette analyse a tenté d’aborder une problématique particulièrement complexe et sensible. Tout en regrettant le manque de recherches sur les liens entre religion et émancipation, dans le cas particulier des personnes défavorisées de tradition musulmane – celles qui font l’objet de la majorité des débats questionnant la compatibilité de la religion et de la laïcité –, nous espérons avoir suffisamment souligné, comme le démontrait Amartya Sen dans Identity and Violence: The Illusion of Destiny, que réduire les individus à une seule identité, qu’elle soit religieuse, politique ou sexuelle, relève d’une illusion qui n’a, elle, même pas le mérite d’être assoupissante (bien au contraire, d’ailleurs).

C’est pourquoi il nous parait nécessaire, en tant qu’association d’éducation permanente, de mettre tout en œuvre pour dépasser la polarisation de ce débat, qui ne fait que favoriser la création d’identités figées et apporter de l’eau au moulin de ceux qui portent des projets politiques xénophobes et assimilationnistes. Dans le cadre de notre travail d’éducation permanente, nous défendons le développement d’une appréhension complexe des individus et de leurs pratiques, centrée sur leurs besoins et les réels obstacles à leur émancipation. Ainsi, nous désirons sortir d’une vision binaire « laïcité vs religion » pour considérer et appréhender les différentes manières dont l’esprit critique (nécessaire à l’émancipation) peut se développer parallèlement à l’existence et à la reconnaissance de certaines identités, croyances et pratiques religieuses. L’enjeu de cette démarche nous parait capital, en ce que celle-ci est susceptible de ramener au-devant de la scène les problèmes fondamentaux que rencontrent nos bénéficiaires en quête d’émancipation : les obstacles d’ordre socio-économique qui les empêchent de mener une vie sociale, culturelle, économique et citoyenne satisfaisante.

Nous avons à cet effet tenté de synthétiser les pistes d’action et de réflexion issues des positions de certaines associations d’éducation permanente telles que Lire et Écrire et Bruxelles Laïque, qui appréhendent ces enjeux quotidiennement mais également de façon réflexive. Nous espérons de la sorte nous décaler d’une conception de l’émancipation toujours occultée par l’idée abstraite et non interrogée de la suprématie de la raison. Nous avons voulu en effet montrer que le concept de raison n’est pas une clé de compréhension qui évite le marquage culturel : le concept de raison s’entend en effet de façon variable selon les cultures et les représentations. Enfin, nous postulons que la proposition d’émancipation au cœur du programme d’éducation permanente est plus riche, plus diverse et plus porteuse que celle de la conformité à une norme (celle d’une conception eurocentrée de la raison). Sachant que ce processus d’émancipation ne peut émerger qu’en défendant les droits culturels des individus, il nous semble que cela implique nécessairement de défendre leurs droits à croire, participer et défendre le culte qu’ils pratiquent au sein de la société.

  • [1] Notre analyse se penchera particulièrement sur le cas des communautés musulmanes parce que celles-ci sont au cœur des problématiques et des débats qui ont opposé ces dernières années laïcité et religion ; nous verrons et affirmerons toutefois que la posture que nous prônons à l’égard de l’Islam n’a aucune raison d’être différente de celle qui devrait être adoptée face à la religion (ou aux convictions philosophiques) d’une autre minorité qui ferait face aux mêmes types de tourments.
  • [2] V. notamment JACQUEMAIN, M., « La laïcité est-elle si favorable aux femmes ? », in La Revue Nouvelle, 67, 2012.
  • [3] Notons toutefois que l’impartialité de l’État en matière religieuse et convictionnelle était jusqu’il y a peu toute relative, puisque le culte catholique bénéficiait de 80 % des financements de culte (v. Jean-François Husson, «Le financement public des cultes et de la laïcité», in Revue Politique, décembre 2007). Ce déséquilibre semble toutefois aujourd’hui disparaître grâce à une redistribution progressive des financements des différents cultes. (v. notamment BOULET, J.-F., « Le financement public des cultes et de la laïcité en Belgique. Ad vitam aeternam ? », publication Centre Permanent pour la Citoyenneté et la Participation, 2013)
  • [4] On voit directement la complexité du principe juridique et de son interprétation en Belgique. On peut en effet se demander si le financement des cultes et la reconnaissance même de ceux-ci par l’État ne rend pas extrêmement complexe le maintien d’une impartialité et d’une neutralité de l’État.
  • [5] JACQUEMAIN, M., « La laïcité est-elle si favorable aux femmes ? », loc. cit., p. 36.
  • [6] JACQUEMAIN, M., « La laïcité est-elle si favorable aux femmes ? », loc. cit., p. 38.
  • [7] Cette citation est tirée d’une introduction à un ouvrage dans laquelle Marx affirme que« [la] religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple » (v. MARX, K, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, (1843), traduit par Jules Molitor, Éditions Allia, 1998).
  • [8] JACQUEMAIN, M., « La laïcité est-elle si favorable aux femmes ? », loc.cit., p. 41.
  • [9] Soulignons que, suite à ce radicalisme rationaliste des Lumières, l’identité moderne s’est développée selon Taylor en ouvrant la voie à une forme de vie spirituelle qui s’ancre dans un nouveau sentiment de confiance en l’ordre naturel et à une morale autonome qui prend son origine en les êtres eux-mêmes (v. Taylor, Les Sources du moi-La formation de l’identité moderne, Seuil, Paris, 1993.
  • [10] Même s’il faut noter que la pensée et la raison ne sont jamais « libérées » en tant que telles ; elles ne peuvent être essentialisées car elles sont le produit d’un contexte socioculturel particulier.
  • [11] Il est en effet inutile de comparer les effets de croyances irrationnelles dans le cadre des religions organisées avec d’autres types de croyances irrationnelles qui ne prennent pas place dans un système culturel et institutionnel si complexe et influent.  Nous désirons simplement ici insister sur la très élastique  frilosité de certains avec l’irrationnel.
  • [12] V. notamment le dossier du Vif-L’Express de 2008 intitulé « Comment l’Islam gangrène l’école » où des intellectuels dénoncent la menace que fait peser l’Islam sur l’apprentissage et la diffusion des théories scientifiques par l’école (notamment en ce qui concerne la théorie de l’évolution qui serait trop peu connue et même rejetée par certains).
  • [13] Voir par exemple les innombrables discussions sur le caractère raisonnable ou non du jeûne lors du Ramadan, ce qui mène même ceux qui prônent une tolérance à l’égard du maintien de cette tradition à chercher à justifier scientifiquement les bienfaits d’une telle pratique (notamment en mobilisant des arguments en vogue tel que le bienfait du « vrai » jeune de quelques jours pour le corps, qui n’a rien en commun avec le jeûne que les Musulmans pratiquent, qui, lui, se rompt tous les soirs autour d’un repas de fête dont le propre est d’être généreux et source de plaisir, au contraire de la soupe de légumes préconisée pour nourrir un estomac purifié grâce au jeûne…).
  • [14] DASSETTO, F., « Vie commune et particularité islamique », in Politique, 2017, pp. 15-16.
  • [15] V. l’article dans le Vif L’Express cité ci-dessus, les propos de Nadia Geerts et des « philosophes » comme Finkielkraut.
  • [16] Religion et sexisme sont parfois associées dans le discours, comme si l’une entrainait forcément l’autre et particulièrement dans le cas de la religion musulmane : dans une interview traitant de l’attentat de Charlie Hebdo, Nicolas Vadot dira que ce qui l’effraie vraiment, « plus que le terrorisme, c’est le sexisme, le sexisme religieux » (5 janvier 2018). V. également l’émission « Dossier Tabou » de M6 à l’automne 2017 qui a battu des records en matière d’audience et lors de laquelle Bernard de la Villardière invoque « le facteur culturel et religieux », en prenant l’exemple des cafés réservés aux hommes, pour expliquer le phénomène présenté comme nouveau du harcèlement sexuel (v. l’article de Libération sur cette émission du 3 octobre 2017).
  • [17] Depuis notamment la tribune « Profs, ne capitulons pas ! » adressée à Jospin, considéré alors comme trop laxiste par rapport au port du voile dans les écoles, et signée par Elisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Elisabeth de Fontenay et Catherine Kintzler (v. Le Nouvel Observateur en 1989).
  • [18] JACQUEMAIN, M., « La laïcité est-elle si favorable aux femmes ? », op. cit.,p. 35.
  • [19] Ibidem.
  • [20] Ibidem,  p. 50.
  • [21] v. notamment Jacqmain, Goldman, Torrekens, Jacobs, Rea.
  • [22] V. l’étude sur la perception du foulard chez les non-musulmans et les musulmans de Dounia Boudar et Saïda Kada, L’une voilée, l’autre pas, Albin Michel, Paris, 2003.
  • [23] GOLDMAN, H., « De l’intégration à la société inclusive », in Politique, 102, 2017, p. 10.
  • [24] Hambye, Ph. & Romainville, A.-S. Apprentissage du français et intégration. Des évidences à interroger. E.M.E, 2014, p. 6.
  • [25] JACQUEMAIN, M., « La laïcité est-elle si favorable aux femmes ? », op. cit., p. 42.
  • [26] De Wever affirme être aussi critique envers la communauté juive que musulmane, mais justifie son acharnement en tenant des propos extrêmement stéréotypés qui révèlent son programme politique et idéologique de façon peu équivoque : « les juifs orthodoxes (…) acceptent les conséquences [des signes extérieurs de la foi] ils évitent les conflits. C’est la différence. Les musulmans revendiquent une place dans l’espace public, dans l’enseignement, avec leurs signes de croyance extérieurs. C’est ce qui crée des tensions » (v. Le Soir du 18/03/2018).
  • [27] Comme en a attesté la divergence dans les réponses des intervenants (des chercheurs de la même université) à la conférence « La laïcité est-elle soluble dans la diversité » organisée à l’ULB le 20 février 2018, et plus précisément à la question « y a-t-il un retour du religieux ? » : le fait que des représentants des institutions religieuses soient invitées dans des débats politiques et publics par exemple n’impliquant pas nécessairement, pour Torrekens, un retour du religieux dans la société civile ; alors que Jean-Louis Schreiber déclarait estimer le contraire.
  • [28] GOLDMAN, « De l’intégration à la société inclusive », op. cit., p. 11.
  • [29] GOLDMAN, H. & RESNE, E., « Une identité politique musulmane ? », Politique 102., p. 87.
  • [30] V. notamment ADAM, I. & TORREKENS, C., Belgo-Marocains, Belgo-Turcs : (auto)portrait de nos concitoyens, Fondation Roi Baudouin, 2015 et CHOUDER ,I., LATRECHE M. & TEVANIAN, P., Les filles voilées parlent, La Fabrique ,2008.
  • [31] GOLDMAN, H., « De l’intégration à la société inclusive », op. cit., p. 11.
  • [32] GOFFINET, S.-A.,« Les musulmans de Belgique. Passer la photo dans le révélateur », in Journal de l’alpha, 204, 2017, pp. 63-77.
  • [33] V. l’introduction du dossier « Belges et musulman·e·s : le défi de l’inclusion », in Politique, 102, 2017, p. 9.
  • [34] Idem.
  • [35] V. introduction du numéro « Religion et laïcité » du Journal de l’alpha de 2017.
  • [36] Ainsi, la peur de l’autre, de l’étranger, c’est évidemment, en tout cas en grande partie, la peur de l’avenir, de la misère, de la concurrence sur le marché de l’emploi, de la dégradation des services sociaux et éducatifs. La peur ne se développe en effet qu’avec l’insécurité. Ainsi, nous désirons insister sur le fait que, de nouveau, ce sont bien les inégalités socioéconomiques qui rendent aujourd’hui inenvisageable un quelconque équilibre social.
  • [37] TOLLEY, C., & LALOUX, V., « Le sacré, le sien et celui de l’autre », Journal de l’alpha, 204, 2017, p. 20-32.
  • [38] Ghaliya Djelloul, « Dépasser l’horizon postcolonial pour envisager un féminisme pluriversel ? », La Revue Nouvelle, n°1, 2018, p. 61.
  • [39] Citons ici l’exemple éclairant d’une professeure de sciences, citée par Jacquemain, qui affirme à ses élèves croyants qu’ « étudier comment les choses se produisent ne nous dit rien, ni en pour ni en contre, au sujet de l’existence de Dieu et de son implication dans l’histoire du monde et des êtres vivants. Jamais vous ne m’entendrez-vous demander de choisir entre la science et votre religion, il s’agit de deux domaines de l’activité humaine complètement séparés » (« Comment peut-on (encore) être persan ? », loc cit., p. 40).