L’Informaticien Public, un enjeu démocratique – Acte 2

À l’ARC – Action et Recherche Culturelles asbl, nous répétons à qui veut l’entendre que la fracture numérique est une fracture sociale. Mais qu’est-ce que ça veut dire ?
Adrien Godefroid et Vincent Ferré, qui coordonnent le service, sont deux Informaticiens Publics de l’ARC. Ils se mettent quotidiennement au service des populations les plus précarisées, dans leurs quartiers, où ils leur permettent de rester connectées à une société qui se veut et s’annonce numérique. Acte 2, témoignage.

[L’acte 1 de ce récit est visible sur cette page]

Se rapprocher des populations numériquement fracturées

Adrien est à l’origine du service « Informaticien Public ». Animateur numérique, c’est au cours de séances d’initiation qu’il a compris que cette offre ne rencontrait pas une demande de plus en plus fréquente :
« Certaines personnes venaient en initiation mais y posaient des questions très précises sans pour autant être demandeuses d’une formation plus complète : rédiger un CV, commander un document dans une administration… C’était impossible à gérer dans ce contexte, puisque nous étions en présence de groupes venus s’initier à l’informatique et qui n’avaient pas les mêmes attentes. Nous avons commencé à proposer à ces personnes de revenir dans une permanence de notre Espace Public Numérique (EPN) pour une aide individualisée et beaucoup plus concrète. Cette aide complémentaire s’est avérée correspondre à une demande croissante et nous avons décidé d’explorer ce terrain ».

Très vite, la nécessité de se rapprocher des populations numériquement fracturées est devenue une évidence. « Le quartier de l’ARC n’est pas très communautaire et est légèrement décentré des quartiers plus populaires, où la fracture est la plus forte. Nous avons décidé de nous positionner en leur cœur, en nouant des partenariats. La maison de quartier Buanderie fut notre première permanence extérieure, il y a environ 4 ans. Ce partenariat se poursuit et des ponts entre nos activités se sont d’ailleurs construits. Les premières participantes de notre club informatique étaient des femmes qui fréquentaient la maison de quartier et souhaitaient échanger autour de leurs difficultés quotidiennes en informatique et répondre ensemble à certains besoins ».

Au fil du temps, les partenariats se sont multipliés. Les informaticien.ne.s public.que.s aussi. « Nous assurons aujourd’hui 11 permanences dans le grand Bruxelles et si nous sommes très satisfaits de cette évolution, nous sommes tout à fait conscients qu’elle est insuffisante. Pour avancer, nous développons des outils, comme un site internet qui sera d’une grande aide pour répondre aux demandes, et nous cherchons encore des bénévoles. Nous avons aussi besoin de fonds, bien sûr. Mais surtout, nous espérons que d’autres s’empareront de notre concept, qu’il fera des petits un peu partout dans le pays et nous mettrons nos outils à leur disposition ».

Pas besoin d’être informaticien.ne

Pas plus qu’Adrien, Vincent n’est informaticien de formation. « Je m’y connais, je me débrouille bien et ça fait bien longtemps que je viens en aide à des proches pour des questions informatiques. Mes compétences sont généralement largement suffisantes pour répondre aux demandes des gens qui viennent me trouver dans mes permanences, puisqu’il s’agit de démarches de base comme un virement bancaire, une inscription, l’achat d’un titre de transport ou encore la récupération d’un mot de passe. Et quand je ne suis pas à même de répondre à une demande, j’oriente vers la bonne personne ou le bon service. Parfois dans l’association qui accueille la permanence, d’ailleurs ».

Si les problèmes exposés aux informaticien.ne.s public.que.s sont souvent simples à gérer pour eux.elles, faire appel à ce service n’est pas toujours facile. « Depuis quelques années, savoir utiliser un ordinateur devient la norme. Du coup ça génère de la gêne et les gens se cachent jusqu’à ce qu’ils n’aient plus le choix. Alors ils viennent nous trouver et s’en excusent. Ils nous disent qu’ils sont désolés, qu’ils sont vraiment nuls. On leur répond qu’ils ne le sont pas, qu’ils sont loin d’être les seuls dans leur cas, que nous-mêmes avons parfois quelques difficultés et que le problème ne vient pas d’eux, mais du fait que la société nous impose l’informatique sans rien nous demander et sans se soucier de savoir si on s’en sortira ».

Reconstruire le lien social

Tout est dans tout, comme on dit. Et bien évidemment, la fracture numérique ne fait qu’accentuer une fracture sociale déjà bien présente dans les quartiers où l’informaticien public a installé ses permanences. « Aujourd’hui, confirme Adrien, nous ne démarchons plus, nous n’en avons plus besoin. Le bouche à oreille fonctionne bien et les besoins se font croissants puisque la numérisation avance à grands pas. Mais nous sommes conscients que nous recréons aussi du lien. Du lien entre nous et les associations qui nous accueillent, du lien entre nos différentes activités respectives, du lien social aussi ».

« Il n’est pas rare que des personnes reviennent régulièrement nous voir surtout pour papoter avec nous, confirme Vincent. Ces gens sont plus en demande de lien social qu’autre chose et ils peuvent servir de relais dans le quartier, parler à leurs voisins, les orienter vers nous et l’association partenaire. Beaucoup de gens sont très reconnaissants, de toutes petites choses pour nous sont vraiment d’une grande aide pour eux. Certains nous demandent combien ils nous doivent – et ils ne nous doivent rien bien sûr. Ils laissent quand même un pourboire, une petite carte de remerciement, une boîte de chocolats, une clé USB. Parfois nous partageons un repas dans l’association. Tout ça est vraiment très précieux et va bien au-delà de l’aide concrète que nous proposons. Pour nous, c’est aussi très riche : nous rencontrons beaucoup de profils différents, des histoires de vie. On rentre fort dans la vie des gens, parfois dans leur intimité familiale, dans leurs données personnelles. Ce sont des choses avec lesquelles nous sommes très prudents, dont on parle avec eux, mais qui renforcent le lien. Nous avons aussi affaire à des gens qui sont plus à l’aise dans d’autres langues, ce qui peut compliquer un peu les choses. Nous avons désormais une informaticienne publique qui parle arabe et c’est très précieux ! » Et de conclure, amusé : « Traditionnellement, ce sont les personnes plus âgées qui apprennent aux plus jeunes. Ici, c’est souvent l’inverse ».

Anne LÖWENTHAL,

Responsable de communication à l’ARC

 


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