Faudra-t-il les laisser mourir ?

Combat des blouses blanches

Il y a quelques mois en Belgique, des travailleur·euse·s du secteur médical entamaient un combat qui allait les mobiliser plusieurs mois et les mener (jusqu’ici) à un succès relatif. Nous avons décidé de soutenir cette mobilisation, car elle souligne les effets de la politique ultralibérale sur les soins de santé, sur les travailleur·euse·s du secteur mais aussi sur l’ensemble de la population.
Cette plongée dans le combat « des blouses blanches » nous a amenés à penser les choses au travers du prisme de l’indispensabilité : sans ces travailleur·euse·s, point de soins de santé, de sorte que la suspension ou le sabotage du travail conduisent inévitablement à la mise en danger de vies humaines. « Faudra-t-il les laisser mourir ? » s’interrogent alors ceux qui choisissent de lutter pour de meilleures conditions de travail. À quels enjeux sociaux et politiques s’adresse donc cette question ?

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Introduction

Il y a quelques mois en Belgique, des travailleur·euse·s du secteur médical (infirmier·e·s pour leur grande majorité, mais aussi aides-médicaux·ales, préposé·e·s à l’entretien, ambulancier·e·s, brancardier·e·s…) entamaient un combat qui allait les mobiliser plusieurs mois et les mener à un succès relatif, puisque partiel et provisoire : en novembre dernier (2019), un « fonds blouses blanches » était voté au parlement[1], à l’unanimité moins la NVA. Poussée par le désir d’analyser les dégâts du capitalisme sur notre société et singulièrement sur les services publics, l’ARC avait à l’époque décidé de suivre cette mobilisation et de la soutenir, car elle soulignait les effets de la politique ultralibérale sur les soins de santé, sur les travailleur·euse·s du secteur mais aussi sur l’ensemble de la population, puisque nous sommes tou·te·s des patient·e·s en puissance et que la plupart d’entre nous finiront vieux·vieilles, affaibli·e·s (voire dépendant·e·s) et entouré·e·s de soins médicaux de plus ou moins bonne qualité selon l’état dudit secteur ou selon que nous ayons ou non les moyens d’y recourir.

Cette plongée dans le combat dit « des blouses blanches » nous a révélé qu’ici aussi, les choses s’observent au travers d’un prisme crucial des luttes qui tendent, aujourd’hui, à affronter l’épuisement (au sens propre comme au figuré) du modèle de gouvernance néolibérale, en particulier lorsqu’il s’applique aux services sociaux et médicaux. Il s’agit de ce que l’on peut nommer, en toute simplicité, le prisme de l’indispensabilité : sans les travailleur·euse·s du secteur médical, il n’est point de soins de santé, de telle manière que la suspension ou le sabotage du travail conduisent, inévitablement, à la mise en danger de vies humaines. Que les secteurs d’activité « indispensables », pourtant frappés du sentiment d’impuissance qui touche inévitablement les personnes qui tentent de s’opposer à la toute-puissance du système dominant, entrent en lutte signifie que leur mise en crise est devenue, à terme, un levier incontournable dans l’obtention de « victoires » contre le capitalisme. Cependant, dès qu’est invoqué, là, le droit de grève, ce dernier comporte des choix qui – dans un sens beaucoup plus littéral que d’habitude – conduisent à la prise « en otage » de vies humaines. Et, dès lors que le contexte socio-politique encadrant le travail hospitalier amène à rendre possible la mise en question de l’exigence du service minimum et de disponibilité des soins (ce qu’on nomme, plus techniquement, l’obligation de continuité de service), il devient légitime de dire que se manifeste, sous nos yeux concernés, une immense crise de l’hôpital ayant, précisément, pour cause la gouvernance néolibérale du service public. Mais si une crise s’accompagne toujours de drames, elle forme un véritable moment symptomatique « permettant déconstruction et reconstruction, [et] ouvrant donc sur une rupture éventuelle »[2].

C’est à la particularité de cette « rupture éventuelle » que la présente analyse veut s’intéresser. En effet, comment arrêter le travail pour réclamer plus de moyens quand on sait que cet arrêt nuira à autrui ? Comment, alors, s’opposer à la pression de l’injonction à la rentabilité et à la performance quand on sait pertinemment que celle-ci met en péril non seulement la santé des travailleur·euse·s, mais l’effort commun pour la survie de tou·te·s ? Ce type de questions se pose bien entendu dans d’autres secteurs des services : l’éducation, les services de secours, les soins à domicile, la justice, la sécurité, les transports publics… Bref, dans les services publics et singulièrement en leur sein ceux et celles qui sont dit de « première ligne ». Et face à l’urgence de moins en moins relative qu’impose aujourd’hui l’hyperprécarisation de ces mêmes services, il s’agit de se demander combien ce qui produit là une opposition n’est autre que le conflit généré par la responsabilité qu’ont certain·e·s travailleur·euse·s sur la vie de la population ; responsabilité qui caractérise particulièrement le pouvoir médical et qui, appropriée et mesurée par la rationalité néolibérale, est devenue le levier d’une activation de plus en plus violente du « marché » des soins et de ses opérateurs (particulièrement les infirmier·ère·s et les aides soignant·e·s). « Tu travailleras quoi qu’il arrive et quelles que soient les conditions, car sans toi mourront les patients ! » profèrent les tenants d’une « modernisation » de l’hôpital. « Faudra-t-il alors les laisser mourir ? » s’interrogent alors ceux qui paient les frais de cette mise sous pression et veulent la combattre. Cette analyse voudrait envisager de quels enjeux politiques cette question est le nom.

Chantage et vocation

Nous aurions volontiers fait l’impasse sur les slogans un peu ridicules brandis par certains politiciens et citoyens lors de manifestations, grèves et autres piquets, mais ces « prises d’otages » et autres « ils empêchent les gens d’aller travailler » sont de fait au cœur de notre propos (sans que ceux et celles qui les brandissent systématiquement n’en réalisent nécessairement la portée, préférant l’usage de ce type d’éléments de langage stéréotypés à une compréhension, même négative, des motifs de la lutte). Car ces questions sont bien réelles dans l’esprit des grévistes/manifestant·e·s des secteurs précités. Elles les taraudent bien souvent. Par exemple, comment gérer le paradoxe qui consiste à déforcer des équipes de travail pour dénoncer le manque de personnel ? Très pragmatiquement, pour reprendre des mots maintes fois entendus au cours des différentes rencontres que nous avons eues avec divers·e·s soignant·e·s : comment faire grève alors qu’on sait que des collègues vont encore plus souffrir au travail et que des patient·e·s vont subir de plein fouet cette absence ? Comment arrêter le travail alors qu’on sait que cet arrêt va aggraver la situation qu’on entend de la sorte dénoncer ? L’abime réflexif qui touche le/la gréviste d’hôpital est totalement extensif à d’autres secteurs : comment cesser de ramasser les déchets quand on sait que cela transformera la ville en une immense décharge à ciel ouvert ? Comment empêcher la tenue des cours quand on en connaît l’importance ? Comment laisser des élèves livrés à eux-mêmes alors qu’on a tant de choses à leur apporter ? Comment lutter pour sa tartine en empêchant des navetteurs d’aller gagner la leur ? Comment déposer son casque quand une maison pourrait brûler ? Comment s’absenter quand on sait l’arriéré judiciaire ? Comment faire grève quand on sait qu’on va priver les détenus de psychologue, de médecin, de cours, de visites ? Ces questions, qui émergent plus facilement pour leur aspect « moral » que pour leur densité politique, gagnent justement une dimension stratégique beaucoup plus pertinente dès lors que le mouvement de grève se radicalise davantage : la politisation du mouvement est précisément ce qui permet de penser les conséquences de la grève comme étant un levier stratégique incontournable pour obtenir les victoires visées par la mobilisation, soit celles qui garantissent un système de soins de santé humain, de qualité et efficace.

Le contexte des grèves françaises actuelles est, justement, l’occasion de s’efforcer à penser quelles difficultés viennent frapper ceux qui s’engagent dans la grève. Ces questions sont d’autant plus prégnantes qu’on n’exerce rarement un métier de service (à autrui, à la collectivité) sans l’intégrer dans un horizon de soin et de souci de l’autre. L’altruisme, les valeurs de solidarité et de partage sont souvent décrits comme la colonne vertébrale de ce que beaucoup nomment « vocation », une appellation non dénuée d’un sous-entendu qui ajoute encore du poids au questionnement, puisqu’elle signifie (au-delà de sa première définition, connotée religieusement) « inclination, penchant marqué pour une profession exigeant dévouement et désintéressement »[3]. De là à attendre des professionnel·le·s de services aux personnes qu’ils·elles les prodiguent à n’importe quel prix et dans n’importe quelles conditions en glissant de la vocation à l’aveuglement, en exploitant l’engagement pour justifier l’exploitation, en surfant sur la culpabilité qu’induit la liaison de la souffrance des clients à la souffrance professionnelle des travailleur·euse·s, il n’y a qu’un pas que d’aucuns franchissent allègrement, plus encore quand ces professionnels débrayent. En ce sens, la crise de l’hôpital vient, de façon opportune, remettre en question et au centre du débat cet éthos vocationnel dominant dans le secteur, trop souvent mobilisé pour justifier l’exploitation et la souffrance au travail du personnel hospitalier.

Cette attente à leur égard définit même l’un des premiers champs d’investissement légitime des travailleur·euse·s qui, en prise avec les paradoxes précités, choisissent l’option de la grève pour obtenir des reconnaissances : on ne peut pas soigner tout le monde, on n’est pas tout-puissants, même si certain·e·s le pensent et l’espèrent. En rappelant ce truisme, les grévistes visent explicitement le fait que, alors même que cette impuissance est structurelle et évidente, il n’en reste pas moins que la qualité (et parfois aussi la quantité) des services publics s’est, sous l’effet des politiques publiques (néolibérales) aujourd’hui défendues, détériorée au fil du temps, un temps récent et relativement court. Pas un jour ne passe sans qu’on entende ou ne lise que les charges administratives sont de plus en plus pesantes, les cadences de plus en plus infernales, les missions de plus en plus instrumentalisées à des fins de contrôle, les moyens de plus en plus dérisoires[4]. La démesure des attentes des usagers des services publics est donc légitime, puisqu’ils ont assisté à cette dégradation et sont en droit d’espérer mieux, leur part contributive au financement desdits services n’ayant fait qu’augmenter dans le même temps. La responsabilité pour cet état des choses n’incombe pas aux professionnel·le·s des secteurs publics, mais elle pèse pourtant sur ceux·celles-là en premier lieu, puisqu’ils·elles sont, à nouveau, en « première ligne » d’un service dont la continuité ne peut pas être mise en cause. Sauf peut-être à voir se radicaliser des luttes qui ont davantage, à l’hôpital, historiquement pris la forme de mobilisations collectives « consensuelles », et moins « contestataires »[5], c’est-à-dire moins orientées vers un adversaire désigné et affronté par « une action collective voulue et concertée »[6]. Une mobilisation consensuelle est en effet plutôt construite comme

une action collective sans adversaire explicite (ni même implicite), mais conforme à l’institution qu’elle sert, collective (largement participative) et volontaire (contrairement à un effet d’agrégation involontaire). Elle se déploie sur une variété d’échelles (organisationnelle et institutionnelle), comprend une dimension transversale, interprofessionnelle ou interinstitutionnelle, relève de la répétition ordinaire du quotidien aussi bien que de l’événement extraordinaire (exceptionnel ou périodique) et s’inscrit dans le cadre prescrit du travail (et non dans l’espace public), ce qui limite son contenu en termes de débat démocratique.[7]

Le combat mené par les « Blouses blanches » de Belgique semble être au centre de ces deux déterminations, partagé entre une modalité consensuelle plus classique à ce type de secteur professionnel[8] et une détermination plus contestataire, liée au constat de la relative inefficacité des revendications consensuelles et à la conviction de plus en plus affinée qu’il existe bien des gens et des systèmes qui sont directement responsables de la dégradation de l’hôpital et qui doivent, désormais, être confrontés dans l’espace public. Enfin, peut-on demeurer dans « le cadre prescrit du travail » dès lors que les conditions du travail sont telles que ce dernier « fait mourir » des individus ?

Le service minimum, c’est ce qui est dénoncé

Le service minimum va relativement de soi en milieu hospitalier. Généralement, en cas de mouvement social, les consultations sont supprimées mais les services d’urgence, notamment, fonctionnent. C’est le cas aussi dans les services de secours et, plus généralement, dans tous les services dont la vie ou la survie des individus peut dépendre. Dans d’autres secteurs, à force d’électoralisme, il parvient à s’imposer petit à petit, y compris quand il n’a pas de sens, comme au chemin de fer belge (SNCB), où l’on sait qu’il suffit d’un ou deux trains à l’arrêt pour que l’ensemble du réseau soit perturbé. Ou comme en prison où, dès qu’il manque des effectifs, des dispositifs aussi basiques que les douches, les promenades et les visites sont supprimés. Or, ce que dénoncent la plupart des travailleur·euse·s quand ils mènent des actions de revendication, c’est d’avoir déjà à travailler ordinairement dans les conditions du service minimum, avec les conséquences très lourdes sur les conditions de travail et les usagers que l’on connait. Cela va même, nous le soulignions et le mouvement des blouses blanches ne cesse d’en témoigner, jusqu’à la mise en danger d’autrui, alors même que le travail est exercé dans les conditions d’exercice supposées normales et régulières.

Il n’est pas rare non plus d’entendre des gens inviter « les grévistes » et « les manifestant·e·s » à frapper « au bon endroit » « au lieu d’empêcher les gens d’aller travailler », suggérant par-là que c’est directement aux pouvoirs politiques et à leurs lieux d’exercice qu’il faut s’en prendre et pas à la voie publique. Mais c’est sans compter la répression très sévère exercée autour de ces lieux où, en Belgique, il est tout bonnement interdit de manifester (puisque situés en zone neutre) et où, partout, les « démonstrations publiques » sont toutes conditionnées à l’obtention d’une autorisation préalable, soit à la formulation d’une revendication « recevable » pour les autorités publiques. Bien plus, c’est manquer le fait que cette forme de radicalisation de l’action des salarié·e·s tend, à la lettre, à objectiver que les politiques et les actionnaires portent une responsabilité immense dans la mise en danger de la santé publique. Mettant en exergue la logique d’exploitation qui s’exerce aujourd’hui dans le milieu hospitalier, l’action des Blouses blanches donne à voir des « tentatives de faire sortir de l’invisibilité les décideurs et les responsables en leur redonnant corps », opérant par-là une action radicale faisant « la démonstration pratique de la pérennité de la maxime de l’exploitation dans le monde réorganisé [du capitalisme contemporain] »[9]. Recourant à la grève comme mode d’action, le processus de dénonciation politique qu’exerce cette lutte prend bel et bien corps dans une rhétorique de dénonciation de l’exploitation dont la population est, en bout de course, la cible, justifiant ainsi que pour « frapper au bon endroit », il est nécessaire d’interpeller ceux qui sont visés par l’exploitation dénoncée, soit « les gens qui vont travailler » autant que les autres.

Faudra-t-il les laisser mourir ?

C’est lors de la soirée organisée à l’ARC le 7 novembre dernier[10], où étaient diffusées des paroles de soignant·e·s en lutte, que la question : « Faudra-t-il les laisser mourir ? » fut posée. De manière provocante certes, mais sans être dénuée de sens puisqu’on en est bien là : des travailleur·euse·s débordé·e·s, des burn out qui se multiplient, un personnel hospitalier qui, de plus en plus, témoigne de sa crainte d’un système qui le pousse à la faute et qui, par la négligence caractérisée de la part de ceux·celles qui le financent, peut mener à la mort des gens qu’il est pourtant censé soigner.

« J’ai peur chaque matin en partant travailler », « On ‘oublie’ tout le temps des gens dans les couloirs, sans même un bouton pour appeler en cas de détresse », « On met les gens dehors alors qu’ils ne sont pas en état, parce qu’on a déjà attribué leur chambre », « On n’a plus le temps de demander aux gens comment ils vont », « Il y a eu des morts, déjà, parce qu’on n’est pas assez nombreu·se·s »…[11]

Les témoignages accablent. Alors que faire ? Comment convaincre nos pouvoirs publics que des écoles qui s’écroulent (littéralement) sur leurs occupants sont une manière de prendre en otage la population ? Comment leur faire comprendre que des prisons surpeuplées où grouillent les rats, où les fruits sont payants et où les psys sont absents, cela augmente les statistiques de criminalité ? Comment leur montrer que sans matériel adéquat et disponible, les pompiers ne peuvent pas éteindre un incendie ? Comment exiger que les soins de santé puissent être prodigués à tou·te·s les patient·e·s dans des conditions décentes, là même où se voit sciemment organisée la précarité de milieu hospitalier, soit la mise en danger de mort de patients dont la garantie de survie dépend, à terme, de la capacité de résistance des employé·e·s à l’oppression professionnelle quotidienne dont ils/elles sont l’objet ? C’est le prix éthique de ces questions qui pousse à nous demander : « Ne faut-il pas laisser mourir les gens, puisque tout est organisé pour que cela arrive ? Ne faut-il pas rendre la responsabilité à ceux qui la portent réellement ? »

La radicalité nouvelle des luttes du milieu hospitalier est de parvenir à imposer dans le débat public l’idée que le néolibéralisme tue, qu’il se transforme progressivement, sous la pression des exigences de rentabilité financière, en un genre de « nécropolitique », c’est-à-dire en une stratégie de gouvernance qui a pour rationalité spécifique de rendre invivable la vie ou la survie d’individus devenus « indésirables », soit dans ce contexte ceux dont la maladie coûte plus qu’elle ne rapporte et qui ne sont pas/plus en mesure de payer (ou de contribuer à la rentabilité des dispositifs de santé). Mais dans une société dont tous les services aux personnes se détériorent et manquent de moyens, la question n’est en réalité déjà plus de savoir si, d’une façon ou d’une autre, les grévistes peuvent ou doivent « laisser mourir » les usagers des services. Elle est déjà passée, au filtre d’une pratique structurelle de destruction du service public dont on observe depuis plus de trente ans l’exercice politicien, à la question « comment les laissera-t-on mourir ? ». La crise de l’hôpital que nous évoquions est devenue le signe d’une violence grave. Cette crise illustre dans notre société contemporaine, pour reprendre les mots d’Agamben, « l’impossibilité [tendancielle, ndr] où se trouve le système de fonctionner sans se transformer en une machine létale »[12], ce qui montre qu’il est devenu impossible de penser séparément la vie biologique et la vie politique de la population. Les grévistes ont alors cette digne résistance, celle de rappeler à qui revient la charge de la réelle prise d’otage, voire de la mise à mort, qui s’opère sous les yeux des mêmes médias qui dénigrent le droit de grève : cette prise d’otage que produisent les acteurs de la précarisation des services de première ligne dont dépend, pourtant, la survie d’une part significative de la population. Les soignants en lutte nous rappellent donc ce fait : « des gens meurent parce qu’on manque de moyens » signifie « des gens meurent parce qu’on nous prive de moyens ». Exposer frontalement que les « manques structurels » que rencontre le capitalisme et qu’affrontent quotidiennement les citoyen·ne·s et les travailleur·euse·s d’aujourd’hui sont, en fait, des « privations structurelles », telle est l’une des valeurs politiques de l’action menée par les Blouses blanches et dont nous avons voulu, ici, exposer l’importance pour enrichir le débat critique et les enjeux de lutte qu’elle soulève.

Anne LÖWENTHAL
Chargée de communication de l’ARC asbl
Nicolas MARION
Chargé de recherche à l’ARC asbl

  • [1] 67 millions d’euros sous forme d’amendement à la loi sur les douzièmes provisoires de novembre et décembre https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_commission-sante-de-la-chambre-approbation-du-fonds-blouses-blanches?id=10369840 (consulté le 13/12/2019)
  • [2] COHEN, D., GUILHAUMOU, J., « Crises et révoltes sociales dans l’historiographie de la France contemporaine », dans Actuel Marx, 2010|1, n°47, p.43.
  • [3] CNRTL, 2018.
  • [4] Pour une synthèse des éléments qui concrétisent la crise hospitalière contemporaine, voir PIERRU, F., « Le cauchemar de « l’hôpital du futur » », dans Le Monde diplomatique, Octobre 2019, pp.1, 20-21. Voir aussi BELORGEY, N., L’hôpital sous pression. Enquête sur le « nouveau management public ». Paris, La Découverte, 2010.
  • [5] Pour un détail de cette distinction conceptuelle des mobilisations dans l’hôpital, voir SAINSAULIEU, I., « La mobilisation collective à l’hôpital : contestataire ou consensuelle », dans Revue française de sociologie, 2012|3, vol.53, pp.461-492.
  • [6] Ibid., p.462.
  • [7] Ibid., pp.462 – 463.
  • [8] Comme par exemple dans les modalités de lutte et de résistance quotidiennes qui prennent place à l’intérieur des cadres réguliers de l’institution hospitalière : réunion d’infimier·ère·s s’opposant aux décisions des médecins, stratégies de détournement des exigences administratives abusives, notamment par la falsification des formulaires, etc.
  • [9] BENQUET, M., « Le nouvel esprit du capitalisme aux prises avec les nouvelles radicalités professionnelles », dans Actuel Marx, 2010|1, n°47, p.93.
  • [10] http://microouvert.be/2019/11/12/la-sante-en-lutte/?fbclid=IwAR3r2VIiURJQmzuZ8NdRVW87lbjjVNLvuGqTd7eCAshuN6tnpJZtoHWPiaI
  • [11] Propos recueillis par les auteurs à l’occasion des manifestations Blouses blanches.
  • [12] AGAMBEN, G., Homo Sacer I : Le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, Seuil, 1997, p.188.