L’Informaticien Public, un enjeu démocratique – Acte 1

À l’ARC – Action et Recherche Culturelles asbl, nous répétons à qui veut l’entendre que la fracture numérique est une fracture sociale. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Et que faire pour la résorber ? Le service « Informaticien public » est notre piste de travail, mais aussi de réflexion et de sensibilisation. Récit en plusieurs actes.

Une fracture sociale

L’expression « fracture numérique » est née avec l’apparition de l’informatique dans nos vies quotidienne. À cette époque, elle évoquait surtout la difficulté financière que représentait l’acquisition d’un ordinateur. Et si cette difficulté s’est quelque peu résorbée puisque les prix se sont démocratisés, elle est encore bien présente dans de nombreux ménages (10%).

Mais au fur et à mesure de l’évolution des outils et des services, le phénomène s’est étendu à l’usage de ces appareils et, dans une société du « tout au numérique », à l’utilisation des outils qui nous sont proposés, souvent imposés, pour des démarches administratives, commerciales, sociales. Car disposer d’un appareil et être capable de surfer sur le net ne signifie pas encore qu’on pourra aisément commander un titre de transport, acheter un objet, demander un document… et même, puisque désormais nos dirigeant.e.s politiques et nos médias privilégient ces outils, participer au débat démocratique.

Ce que nous appelons la fracture du 2e degré, celle qui est liée aux compétences numérique, concerne 40% des individus. Quant aux inégalités liées aux utilisations des services essentiels en ligne, elles touchent 56% des personnes à faibles revenus.

Ne pas pouvoir communiquer avec les autres, ne pas avoir accès à l’information, ne pas pouvoir se procurer des documents essentiels, ne pas pouvoir effectuer des démarches en ligne, c’est être exclu de facto d’une société qui se revendique fièrement numérique.

L’ARC n’a rien contre cette évolution. Mais nous estimons qu’il convient de parler de révolution. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que celle-ci n’est pas populaire. Si les pouvoirs publics ne veillent pas à emmener avec elle les personnes les plus précarisées de notre société, c’est à un nouveau type d’exclusion qu’il nous faudra faire face. Une exclusion qui ne fera que renforcer les autres. Elle n’a rien d’une fatalité, mais c’est aujourd’hui, maintenant, qu’il faut y veiller.

ACTE 1
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Aujourd’hui, en Belgique et ailleurs, l’exclusion sociale est aussi numérique. Les informaticien.ne.s public.que.s luttent au quotidien contre cette exclusion, qui n’est pas une fatalité.

L’exclusion numérique, plus généralement appelée « fracture », n’est pas une fatalité et si on a tout à fait le droit de refuser de s’équiper d’un ordinateur ou d’un smartphone, il est intolérable que pour les plus précarisé.e.s d’entre nous, ce ne soit pas une question de choix. Il est tout aussi intolérable de laisser ceux et celles qui, par choix ou non, ne sont pas outillé.e.s, privé.e.s de facto de l’accès à certains biens et services, mais aussi d’un outil d’expression qui devient la norme.

L’ARC Action et Recherche Culturelles asbl offre depuis de nombreuses années divers services dans le domaine du numérique, notamment un espace public numérique (EPN) et des initiations informatiques. Ces services ont longtemps suffi à répondre à la demande : accéder à un ordinateur et/ou apprendre à l’utiliser.

Mais au fil des années sont apparus de nouveaux besoins. Si aujourd’hui de très nombreuses personnes sont équipées (ordinateur et/ ou smartphone), ce n’est pas le cas de toutes (on parle de 10% de foyers qui n’ont pas accès à l’outil). Et au-delà de cette fracture matérielle, les animateurs de l’Arc ont constaté que parmi les publics fréquentant leurs séances d’initiation, ils étaient de plus en plus nombreux à s’y rendre avec des demandes très précises sans pour autant être désireux d’une formation plus complète.

PREMIÈRE LIGNE

Il fallait pouvoir répondre à ces de¬mandes et le format des formations, les attentes des groupes qui suivent ces formations et leur taille ne le permettaient pas. Les animateurs de l’arc ont donc proposé des permanences dans l’EPN de l’Arc, où ils se tenaient à la disposition des gens désireux de créer une adresse mail, de récupérer un mot de passe, de trouver un document, de remplir un formulaire…

L’informaticien public était né.

Très vite, ce service a souhaité se rapprocher des populations de plus en plus écartées d’une société qui se numérisait à grande vitesse sans tenir compte des gens qui n’avaient pas pu, ou voulu, prendre ce train. Le quartier de l’ARC, Notre-Dame aux Neiges, situé au cœur de Bruxelles, est très peu peuplé et populaire. Pourtant, notre intuition de départ était désormais un constat : l’informaticien public répondait à une demande qui n’était rencontrée nulle part. Mais quand on n’a aucune notion informatique, il est très difficile de faire la démarche de se rendre dans un autre quartier, de pousser la porte d’un EPN et de demander de l’aide. Et quand bien même on en serait capable, encore faut-il savoir que c’est possible !

C’est ainsi que nous avons décidé, en 2014, d’explorer les quartiers populaires de Bruxelles et de nouer des partenariats avec les associations qui y étaient implantées et y menaient des actions communautaires. La maison de quartier Buanderie fut notre première implantation.

Ce partenariat et les suivants – nous avons aujourd’hui 11 implantations dans lesquelles nous proposons des permanences hebdomadaires – nous ont permis de répondre à un autre besoin : celui de créer des ponts. Car la fracture numérique est aussi sociale et bien souvent, derrière une de¬mande technique se cache un besoin plus profond que les services de nos partenaires sont à même de combler. Dans un même temps, nos informaticiens publics permettent d’alléger le travail de suivi que les employés de ces associations mènent avec leurs publics, jusque-là trop souvent parasité par des besoins numériques. Nous évoquerons cela dans un prochain article.

ENJEU DÉMOCRATIQUE

Bien sûr, le tableau n’est pas encore idyllique. Nos informaticiens publics, permanents de l’Arc ou bénévoles, ne sont pas encore assez nombreux pour répondre à une demande qui n’a pas fini de croître, puisque, les pouvoirs publics aiment à le répéter, la société de demain sera numérique. Pour assurer nos permanences, nous avons besoin de bénévoles, mais aussi de matériel et de moyens de communication. Dans nos antennes locales, les moyens humains et matériels sont insuffisants également. Nous développons actuellement un site internet qui permettra à tout qui souhaite se mettre au service des autres en matière numérique de le faire de manière optimale. Et depuis peu, nous aidons d’autres professionnel.le.s à répondre aux demandes de leurs publics (des aides familiales notamment).

Nous sommes ambitieux. Nous sommes conscients de développer un métier. Nous sommes actuellement soutenus par la Région bruxelloise et la Fondation Roi Baudouin, mais il est évident que si nous voulons que demain, partout en Fédération Wallonie-Bruxelles, il soit possible de demander l’aide d’un.e informaticien.ne public.que, si nous voulons que personne ne soit tenu à l’écart de cette société en évolution, il nous faudra renforcer notre action et aider d’autres associations et particuliers à développer leurs propres permanences.

L’enjeu est social, économique, éthique. Il est démocratique. Et il est de taille. En se positionnant en première ligne comme des interfaces entre les réalités de terrain et l’inéluctable évolution de notre société, nos informaticiens publics relèvent le défi.

Dans notre prochain article, nous découvrirons avec deux d’entre eux.elles ce que ça signifie au quotidien.

Anne LÖWENTHAL,

Responsable de communication à l’ARC

info@informaticienpublic.be

https://www.arc-culture-bruxelles.be

Arc-Bruxelles – Rue de l’association 20 à 1000 Bruxelles

02 219 68 88